Récit d'un jour ordinaire

Cette nuit j'ai rêvé d'un navire en perdition, qui prenait eau de partout. Il transporte du blé, des passagers, un équipage et des rats. Que faire ? Sauvegarder le blé, cargaison précieuse qui rémunère le rafiot et ses marins, ou sauver l'équipage sans lequel ni blé ni passagers ne survivront ? Privilégier le sauvetage des passagers, tâche immense et aléatoire ? Acquérir un chat qui mangerait les rats, mais le temps presse et de chat on n'a. On calfeutre les brèches tant bien que mal, ici les masques, ici les tests, ici les vaccins en fonction de l'importance de la voie d'eau et des moyens disponibles, cela court partout et les ordres suivent en sens divers. Le capitaine et le médecin de bord, l'air grave, énoncent que la situation est dramatique, qu'il importe de garder son calme et de chanter ensemble. Ses seconds se divisent sur l'utilisation des canots de sauvetage, un sur deux, deux sur trois et dans lesquels charger le blé ? Se créent ainsi des priorités successives en fonction des biens disponibles. Embusqués, les rats n'arrêtent de mordre. Soudain l'immense coque se mit à la verticale et je me réveillai. La réalité prolongeant mon rêve, je passai une longue journée à prendre soin de passagers éperdus, rédigeant des laisser-passer, pansant des plaies et des peurs, asséchant les narines avec de curieux bâtonnets en silicone, combat sans fin contre la mer qui fige et la nuit qui vient. Oh fatigue !

L'instant magique

Vient le soir, et soudain ce lever du soleil sur la mer qui se calme. Plus de navire, plus de tempête, seule cette vidéo d'une minute à peine qui montre un incroyable petit bonhomme, mon dernier petit-fils, qui fait ses dix premiers pas entre sa grande soeur qui le propulse et sa maman qui l'accueille. L'histoire du monde et des primates qui se dressent sur leurs pattes arrière, les premiers pas sur la Lune, le paraplégique qui marche à nouveau avec son exoprothèse, tout ce qui se traîne, se meurt, se désespère, et qui soudain se relève et reprend sa route, se voit résumé dans les premiers pas de ce petit qui ne peut croire à ce qui lui arrive: IL MARCHE SEUL. Petit d'homme à peine croisé en sept mois d'existence, calfeutrés que nous fûmes, sauras-tu jamais à quel point ce soir tu as illuminé nos existences ? La vie est plus forte que le Covid-19, qu'on oubliera un jour, portée par ces premiers pas qui nous rappellent que vous prendrez le relais.

Carl Vanwelde

[1] Véronique Wautier. Allegretto quieto. Arbre à paroles. 2020. 190 pages.

Récit d'un jour ordinaireCette nuit j'ai rêvé d'un navire en perdition, qui prenait eau de partout. Il transporte du blé, des passagers, un équipage et des rats. Que faire ? Sauvegarder le blé, cargaison précieuse qui rémunère le rafiot et ses marins, ou sauver l'équipage sans lequel ni blé ni passagers ne survivront ? Privilégier le sauvetage des passagers, tâche immense et aléatoire ? Acquérir un chat qui mangerait les rats, mais le temps presse et de chat on n'a. On calfeutre les brèches tant bien que mal, ici les masques, ici les tests, ici les vaccins en fonction de l'importance de la voie d'eau et des moyens disponibles, cela court partout et les ordres suivent en sens divers. Le capitaine et le médecin de bord, l'air grave, énoncent que la situation est dramatique, qu'il importe de garder son calme et de chanter ensemble. Ses seconds se divisent sur l'utilisation des canots de sauvetage, un sur deux, deux sur trois et dans lesquels charger le blé ? Se créent ainsi des priorités successives en fonction des biens disponibles. Embusqués, les rats n'arrêtent de mordre. Soudain l'immense coque se mit à la verticale et je me réveillai. La réalité prolongeant mon rêve, je passai une longue journée à prendre soin de passagers éperdus, rédigeant des laisser-passer, pansant des plaies et des peurs, asséchant les narines avec de curieux bâtonnets en silicone, combat sans fin contre la mer qui fige et la nuit qui vient. Oh fatigue !Vient le soir, et soudain ce lever du soleil sur la mer qui se calme. Plus de navire, plus de tempête, seule cette vidéo d'une minute à peine qui montre un incroyable petit bonhomme, mon dernier petit-fils, qui fait ses dix premiers pas entre sa grande soeur qui le propulse et sa maman qui l'accueille. L'histoire du monde et des primates qui se dressent sur leurs pattes arrière, les premiers pas sur la Lune, le paraplégique qui marche à nouveau avec son exoprothèse, tout ce qui se traîne, se meurt, se désespère, et qui soudain se relève et reprend sa route, se voit résumé dans les premiers pas de ce petit qui ne peut croire à ce qui lui arrive: IL MARCHE SEUL. Petit d'homme à peine croisé en sept mois d'existence, calfeutrés que nous fûmes, sauras-tu jamais à quel point ce soir tu as illuminé nos existences ? La vie est plus forte que le Covid-19, qu'on oubliera un jour, portée par ces premiers pas qui nous rappellent que vous prendrez le relais.Carl Vanwelde[1] Véronique Wautier. Allegretto quieto. Arbre à paroles. 2020. 190 pages.