Comme un vague tournis

Cela commence à ressembler à la procession d'Echternach, tant de quarantaines, tant d'annonces rassurantes suivies d'alertes, tant de variants, tant d'espoirs placés dans des vaccins qu'il faut répéter et qui ne protègent qu'imparfaitement, tant d'annonces de traitements miraculeux qui se dégonflent. Et ce week-end, l'annonce qu'à nos frontières les Pays-Bas reconfinent, pendant que des milliers de marcheurs antivax expriment leurs choix dans nos rues, donne aux fêtes de Noël toutes proches un caractère irréel. Dans la salle d'attente, ces divergences ne s'expriment guère, pas plus que lors de la consultation, moitié pour, moitié contre, sans animosité réelle. Le désir de convaincre s'estompe progressivement, mesurant à quel point défendre LA science est dérisoire face à des patients qui de toute bonne foi vous affirment qu'ils ne craignent rien car " bénéficiant d'une bonne immunité " et sont pétris d'informations univoques puisées sur les réseaux sociaux. Comment partager à des convaincus l'expérience du doute scientifique qui nous imprègne dès l'aube de nos études et fut conforté tout au long de notre pratique ?

Je suis médecin, donc je doute. L'épidémie de Covid-19 nous a laminés, stressés, épuisés, et un bon nombre d'entre nous ont payé de leur propre santé le choix de continuer à soigner malgré les risques de se voir contaminés. Nous avons surtout été confrontés à une incertitude jamais rencontrée jusqu'ici devant une pathologie incertaine, fluctuante, aux multiples expressions cliniques, appliquant des consignes successives et contradictoires. Ce doute scientifique face aux avis d'experts est notre fierté, et ce qu'apprennent nos mains dans le cambouis fait partie de la démarche médicale au même titre que le séquençage de l'ARN messager.

Le Covid ne distingue pas ses victimes

Récemment, un patient particulièrement remonté contre LA science et l'obligation vaccinale fit le Covid. Je m'étais engagé à respecter son choix, ainsi que sa phobie de subir un frottis naso-pharyngé. Illettré, les échanges ne furent guère aisés, mais ces défis quotidiens font partie du métier. Situation stimulante sur le plan humain et intellectuel, qui force à élaborer des stratégies de navigation à vue dans lesquelles le médecin assume tous les risques pour un patient qui ne le mesure pas toujours. Traité à domicile, testant régulièrement sa saturation, bénéficiant d'un traitement à la dexaméthasone et aux anticoagulants, ce patient au caractère difficile confia en fin de parcours qu'il n'avait pas mesuré la sévérité de l'affection contre laquelle il s'était tant mobilisé au départ de l'épidémie. Être parvenu à maintenir le contact dans pareilles circonstances m'a rendu heureux. Assumer d'être l'image d'une science et d'une médecine n'ayant ni certitudes ni exclusives est une fierté.

Cela commence à ressembler à la procession d'Echternach, tant de quarantaines, tant d'annonces rassurantes suivies d'alertes, tant de variants, tant d'espoirs placés dans des vaccins qu'il faut répéter et qui ne protègent qu'imparfaitement, tant d'annonces de traitements miraculeux qui se dégonflent. Et ce week-end, l'annonce qu'à nos frontières les Pays-Bas reconfinent, pendant que des milliers de marcheurs antivax expriment leurs choix dans nos rues, donne aux fêtes de Noël toutes proches un caractère irréel. Dans la salle d'attente, ces divergences ne s'expriment guère, pas plus que lors de la consultation, moitié pour, moitié contre, sans animosité réelle. Le désir de convaincre s'estompe progressivement, mesurant à quel point défendre LA science est dérisoire face à des patients qui de toute bonne foi vous affirment qu'ils ne craignent rien car " bénéficiant d'une bonne immunité " et sont pétris d'informations univoques puisées sur les réseaux sociaux. Comment partager à des convaincus l'expérience du doute scientifique qui nous imprègne dès l'aube de nos études et fut conforté tout au long de notre pratique ?Je suis médecin, donc je doute. L'épidémie de Covid-19 nous a laminés, stressés, épuisés, et un bon nombre d'entre nous ont payé de leur propre santé le choix de continuer à soigner malgré les risques de se voir contaminés. Nous avons surtout été confrontés à une incertitude jamais rencontrée jusqu'ici devant une pathologie incertaine, fluctuante, aux multiples expressions cliniques, appliquant des consignes successives et contradictoires. Ce doute scientifique face aux avis d'experts est notre fierté, et ce qu'apprennent nos mains dans le cambouis fait partie de la démarche médicale au même titre que le séquençage de l'ARN messager.Récemment, un patient particulièrement remonté contre LA science et l'obligation vaccinale fit le Covid. Je m'étais engagé à respecter son choix, ainsi que sa phobie de subir un frottis naso-pharyngé. Illettré, les échanges ne furent guère aisés, mais ces défis quotidiens font partie du métier. Situation stimulante sur le plan humain et intellectuel, qui force à élaborer des stratégies de navigation à vue dans lesquelles le médecin assume tous les risques pour un patient qui ne le mesure pas toujours. Traité à domicile, testant régulièrement sa saturation, bénéficiant d'un traitement à la dexaméthasone et aux anticoagulants, ce patient au caractère difficile confia en fin de parcours qu'il n'avait pas mesuré la sévérité de l'affection contre laquelle il s'était tant mobilisé au départ de l'épidémie. Être parvenu à maintenir le contact dans pareilles circonstances m'a rendu heureux. Assumer d'être l'image d'une science et d'une médecine n'ayant ni certitudes ni exclusives est une fierté.