Séduit par la Tentation de Neuhaus au point de vouloir mettre le pied chez le pralinier ? La société n'est pas cotée en Bourse, mais tel est le cas de son propriétaire : le holding Bois Sauvage, dont quelque 40 % de la valeur est représentée par Neuhaus et Jeff de Bruges, la marque réservée au marché français. Enthousiasmé par la Côte Rotie de la maison Chapoutier, seigneur des Côtes du Rhône, au point de vouloir pénétrer dans les chais ? " Le vin haut de gamme n'est jamais en Bourse ", explique le PDG du groupe. La société a toutefois un important actionnaire belge : le holding Sofina, coté à Bruxelles, qui en possède 27 %.
Alors que les placements traditionnels et réputés très sûrs ne rapportent plus grand-chose, le constat est clair : aujourd'hui, obtenir un rendement intéressant est devenu un métier, accessible seulement aux spécialistes.
Aux côtés des financiers de haut vol
Petites ou grandes, de nombreuses entreprises connues sont absentes de la Bourse, mais ont parmi leurs actionnaires des groupes cotés. Il s'agit souvent de holdings, ces entreprises financières qui ont pour vocation d'investir dans d'autres sociétés. C'est donc indirectement que l'investisseur particulier peut en devenir copropriétaire. Pour le fun ou pour la satisfaction intellectuelle, mais aussi dans l'espoir de réaliser de jolies plus-values. Dans cette optique, on vise plus particulièrement la partie du portefeuille qualifiée de private equity, ou " capital privé " dans le sens anglo-saxon du terme, c'est-à-dire non coté en Bourse. Si Neuhaus et Chapoutier, entreprises matures, correspondent à ce vocable, le private equity fait plus volontiers référence à de jeunes sociétés en plein essor, dans lesquelles on place de grands espoirs de croissance et dès lors la possibilité... de réaliser de juteuses plus-values en cas de cession ou d'introduction en Bourse. Cas exemplaire : la participation de Sofina au capital de Colruyt remonte à 1975, soit deux ans avant l'introduction en Bourse du distributeur de Halle.
Le private equity est un petit monde très fermé qui pèse de plus en plus lourd. On y retrouve des milliers de sociétés financières, mais aussi de riches particuliers, qui se regroupent en alliances durables ou éphémères pour financer une pépinière de jeunes entrepreneurs. Et ceci souvent à l'échelle internationale. Le ticket d'entrée s'y exprime en millions, voire dizaines de millions d'euros. Pas accessible au commun des mortels, même aux investisseurs détenant un sympathique bas de laine...
Il serait cependant dommage de ne pas pouvoir y participer, car c'est à ce niveau que se réalisent les plus-values les plus coquettes. De fait, si l'on s'extasie quand le cours d'une entreprise récemment entrée en Bourse est multiplié par 5, il faut savoir que le cours d'entrée en Bourse peut représenter une multiplication par 50 pour les actionnaires de la première heure. Qui auront toutefois perdu leur mise dans la moitié des cas et réalisé une opération honorable, sans plus, dans la majorité des autres, on ne saurait passer cette vérité sous silence. Il n'empêche que c'est la partie private equity de leur portefeuille qui suscite l'intérêt majeur des investisseurs à l'égard de plusieurs holdings cotés à Bruxelles. Si les participations non cotées ne représentent encore qu'un dixième de la valeur de GBL, le holding du groupe Frère, elles grimpent à 40 % chez Sofina et à une petite moitié chez Brederode. Cas particulier : GIMV, l'ancien holding public de la Région flamande, est entièrement investi dans une cinquantaine de PME, souvent axées sur la technologie, en particulier la biotechnologie.
Chercher le rendement tous azimuts
Le private equity n'est qu'un des nombreux terrains sur lesquels évoluent les groupes financiers internationaux... et auxquels les investisseurs particuliers ont accès grâce à des fonds spécialisés. Le gestionnaire d'actifs écossais Aberdeen en a fait une belle démonstration la semaine dernière, à l'occasion du Trends Investment Summit, manifestation professionnelle qui permet à ces gestionnaires de se présenter à la communauté financière belge. Comme d'autres, Aberdeen a mis sur pied des véhicules d'investissement pratiquant une stratégie appelée multi asset, ou " actifs divers ". Le principe en est on ne peut plus simple : si le rendement obtenu d'un actif n'est plus jugé satisfaisant, on passe à un autre. En pratique, on en retient plusieurs, de diverses sortes, car on va chercher le rendement là où il se trouve, avec une bonne diversification. On se souvient que les fonds de placement ne pouvaient naguère pas s'écarter de leur spécialité. La grande souplesse aujourd'hui accordée à un nombre croissant d'entre eux constitue un indéniable progrès pour l'investisseur.
Que trouve-t-on aujourd'hui dans le portefeuille du Multi Asset Income Fund d'Aberdeen, celui qui est axé sur le rendement ? Les actions cotées n'en représentent que 18 %, pas beaucoup plus que les presque 15 % investis dans les infrastructures. Des obligations européennes ? Il n'y en a plus ! Par contre, celles émises dans les pays émergents pèsent un quart des actifs ! On relève encore 10 % d'obligations garanties par des actifs ( asset backed securities, en langage professionnel), 5 % de produits liés à l'assurance, ou 9 % de " situations spéciales ".
Financer les procès peut rapporter gros
L'intérêt de ces actifs ? Tout simplement des rendements sans commune mesure avec la très maigre rémunération aujourd'hui offerte par les obligations de qualité en euro. Qu'on en juge : pas moins de 7 % pour les obligations indiennes. Elles sont cotées en Bourse locale, voire à Luxembourg pour certaines, et donc accessibles à l'épargnant belge... du moins en théorie. Encore faut-il en détenir un certain nombre pour limiter le risque individuel présenté par les émetteurs, mais aussi couvrir le risque monétaire de la devise locale. Et, d'abord, être correctement informé sur ce marché exotique ! En un mot comme en cent, en pratique, l'investisseur particulier est évidemment hors course.
Il y a toutefois mieux que les obligations indiennes. Les gestionnaires d'Aberdeen pointent ainsi le logement social, qui peut afficher de 8 à 12 % de rendement, tout comme le leasing aéronautique. Autre activité très spécifique à haut rendement, soit 8 à 9 % : les prêts aux entreprises biotechnologiques, qui rembourseront en cédant une partie de leurs royalties. C'est toutefois une activité très particulière qui remporte le pompon : le financement des actions en justice. Pratique relativement répandue dans le monde anglo-saxon, il s'agit d'avancer l'argent payé aux avocats pour construire le dossier et ensuite plaider l'affaire. En se payant sur le dédommagement obtenu... si le procès est gagné. Un métier très spécialisé et à haut risque, avec un rendement en rapport, puisqu'il peut aller jusqu'à 15 % !
Alors que les placements traditionnels et réputés très sûrs ne rapportent plus grand-chose, le constat est clair : aujourd'hui, et peut-être pour plusieurs années encore, obtenir un rendement intéressant est devenu un métier, accessible seulement aux spécialistes. Constat clair mais pas amer, puisque la plupart des intermédiaires financiers proposent des fonds ou SICAV qui permettent à l'investisseur particulier de profiter de cette expertise. On est même surpris qu'il n'en fasse pas davantage étalage !