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Il se porte actuellement fort bien et cherche avec émotion les mots pour l'exprimer, me remerciant davantage pour mes encouragements à entamer ce voyage que pour la guérison de ses symptômes. Ce témoignage ordinaire est un rayon de soleil dans la journée du généraliste, éternel architecte en solutions a priori impossibles : pour ce cas momentanément résolu, combien d'autres en attente? Restons modestes : aucun patient n'est jamais guéri pour de bon, il s'agit d'un processus dynamique, "d'une réponse d'adaptation sans cesse remise sur le métier recentrée sur sa capacité de vivre une vie digne de sens[ii]". Après avoir soulagé sa douleur, il nous faudra nous occuper de sa guérison qui n'est autre chose que la recherche d'un bien-être, long travail de réassurance et de reconnexion à sa propre vie. Si lever la douleur relève de la technique médicale, éloigner la souffrance implique une connaissance intime du patient dans son trajet de vie. Tolstoï, médecin lui-même, décrit dans La mort d'Ivan Ilitch l'anxiété que provoque l'approche de la fin, douleur insurmontable aux médecins, mais calmée quand son fils vient embrasser sa main. Se produisit alors le miracle: " Il chercha sa peur habituelle de la mort et ne la trouva pas. Où était-elle? Quelle mort? Il n'y avait plus de peur parce qu'il n'y avait plus de mort. A la place de la mort il y avait la lumière"[iii].Et si le patient portait sa guérison en lui, bien tapie dans ses peurs, sa douleur, dans le sentiment ancré de son impuissance à pouvoir un jour reprendre sa route? Et si la technique médicale, en colmatant de l'extérieur toutes ces brèches n'avait d'autre but que d'ouvrir la voie vers ce potentiel de guérison que tout patient porte en lui ? Il m'est arrivé d'assister à une leçon de médecine insolite sur un trottoir de Chinatown à Singapour, observant une vieille chiromancienne et une jeune eurasienne l'interrogeant sur son avenir. D'abord un long silence préliminaire destiné à jauger les inquiétudes, les espoirs et le potentiel d'existence. Jamais main ensuite n'aura été plus soupesée, caressée, frôlée, retournée, interrogée, fouillée, écoutée en un ballet tour à tour lent et rapide. Elle écarte les doigts de sa patiente, retire une bague pour mieux voir quel bonheur ou quel malheur elle dissimule, s'enthousiasme à la découverte imprévue d'un événement heureux, attire l'attention sur les risques de telle aventure. Ses yeux effectuent un incessant périple entre la paume et le visage de sa jeune interlocutrice, s'inquiétant de la bonne compréhension de ses paroles, anticipant les questions, répondant aux inquiétudes. Une attitude de souffrance se marque-t-elle sur le visage de la jeune fille? Elle y répond par une indescriptible mimique où les encouragements se mêlent aux mises en garde. Je perçois qu'elle l'encourage à sortir d'elle-même pour oser affronter la vie, car ce sont ses craintes qui la rendent malade et l'empêchent de vivre. "Il vous faut vous éclater" semble-t-elle dire. Le rire occupe une place énorme dans ce colloque singulier, un rire communicatif suscitant la joie de sa ravissante cliente qui ne la quitte pas des yeux, un rire qui guérit autant qu'il encourage à poursuivre la confidence. Quelle leçon de médecine aux médecins tristes! La consultation se termine par une prescription manuscrite, résumant l'entretien sur un minuscule papier déposé au creux de la main : "Gardez ceci, et relisez-le de temps en temps. Il s'agit de vivre, n'oubliez pas, VIVRE. Allez, bonne chance!" Je m'éloigne, pensif. La faculté d'écoute de la vieille chinoise m'a impressionné, tout comme son impressionnante communication non-verbale: j'ai saisi sans peine, sans comprendre un traître mot de chinois, les trois-quarts de ce qu'elle communiquait avec conviction à ses deux interlocutrices. Ecouter, parler, accompagner, encourager, ces multiples facettes de l'art de guérir ont été confiées aux médecins dès la plus haute antiquité. L'extraordinaire développement technique qu'a connu la médecine ces dernières années n'a-t-il pas estompé cet aspect de notre fonction, qu'il nous appartient maintenant de réenchanter.Carl Vanwelde[ii] Hutchinson T, Mount BM, Kearnery M. The healing journey. In: Hutchinson T, editor. Whole person care: a new paradigm for the 21st century. New York, NY: Springer Science and Business Media, LLC; 2011. p. 23-9[iii] Tolstoï L. La mort d'Ivan Ilitch. In: Garnier-Flammarion, editor. Tolstoï/Nouvelles et récits. p. 393-4.[i] Article inspiré par Patricia L. Dobkin, PhD. Au coeur de la guérison. Canadian Family Physician August 2016 vol.62