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Ainsi, le médecin, selon le Pr Gustave Moonen (ULg), devra toujours s'étonner (éviter la banalisation), comprendre (éviter l'ignorance) et critiquer (éviter le narcissisme ou l'aveuglement par son savoir). " La numérisation de l'anamnèse n'est pas imminente et surtout pas souhaitable ", même si des centaines de milliers d'applications médicales sont sur le marché et que le chemin parcouru depuis le stéthoscope de Laënnec est abyssal.En revanche, l'IA va objectiver la sémiologie alimentée par des datas gigantesques. La médecine deviendra davantage une technique de précision en matière notamment de pronostic. Elle élargira les possibilités de la médecine préventive pour un coût à ce jour inconnu mais qui nécessitera des fonctionnaires supplémentaires à la Vierge noire (siège de l'administration des soins de santé à Bruxelles).L'IA peut aussi mener à un encyclopédisme chronique. Le livre numérique et les Moocs (enseignements à distance) ne supplanteront toutefois pas les maîtres. L'hypertrophisme du savoir confronté au temps disponible limité prescrit de modifier le cursus médical en vue de mieux former à la communication médicale vers le patient. Celui-ci, grâce aux applications, devient coacteur de sa thérapie. Le Pr.Moonen cite le stéthoscope automatique mis sur le marché australien qui recommande au patient de prendre du paracétamol ou... de se rendre à l'hôpital le plus proche. Mais l'analyse de la raideur de la nuque ne pourra pas se faire par un robot...Mégadonnées, d'accord mais de quoi parle-t-on au juste ? C'est la question posée au Pr Guillaume Smits, du Centre de génétique humaine de l'hôpital Erasme, lui-même généticien.Grâce à la miniaturisation, les dispositifs médicaux portables, les centres de données et clouds, le big data et le deep learning, " nous sommes passés d'une intelligence artificielle encodée exclusivement par l'humain (1997, Garry Kasparov contre IBM DeepBlue), à une intelligence artificielle que l'humain nourrit d'une base de connaissances pointues et puis qui apprend par elle-même à chaque fois qu'elle expérimente de nouvelles données à haute valeur ajoutée (2017, AlphaGo de DeepMind, devenu le meilleur joueur de Go au monde). En biologie et médecine, ces nouvelles méthodes computationnelles permettent d'identifier des modèles complexes et cachés à l'oeil humain. En effet, si l'humain saisit les modèles dans une vision à basse dimension (ex. les données représentées dans un graphique 2D/3D), l'intelligence artificielle les saisit en haute dimension. Une photographie en couleur possède environ 30 millions de pixels invisibles à l'oeil humain. Analyser une RMN du corps entier ou un ECG de 365 jours est ingérable pour un humain en un temps raisonnable. Un génome humain possède trois millions de variants que la machine doit réduire à quelques variants pertinents ou à des scores simplifiés pour que le bioanalyste puisse les interpréter médicalement. Toutes les données pangénomiques nous feront passer de la lunette de Galilée à la voûte céleste des Hubble modernes. Il ne 'restera plus' à l'humain qu'y mettre du sens, du soulagement, de la guérison, et, si possible et surtout, de la prévention. "Attention à l'utopie de croire que l'expertise médicale en deviendra illimitée pour la simple raison que ces dispositifs permettent l'enregistrement de tous les signaux physiologiques de manière continue et que l'analyse des données se fait en temps réel.Le Pr Serge Uzan, directeur de l'Institut universitaire de cancérologie (Sorbonne), met aussi en garde contre l'utopie de la médecine informatisée : l'e-médecine ne va pas remplacer la médecine, il s'agira d'une e-gestion de la médecine. " Imaginer que l'objectif est celui d'une intelligence artificielle réellement capable d'emmagasiner toutes les connaissances, toutes les compétences, et à travers des algorithmes de décider et mettre en oeuvre de façon autonome le traitement est une illusion. Il s'agira en fait et pour longtemps de logiciels de plus en plus sophistiqués d'aide à la décision. Ce sera, non pas l'IA ou le médecin mais l'IA avec le médecin. "Plus que jamais, l'IA entraînera de nouvelles multidisciplinarités, pas seulement entre médicaux et paramédicaux mais avec des ingénieurs et des informaticiens. " L'innovation se passera autour du patient et comme on disait, from bench to bed, on dira from start up to patient. Le caractère intégrateur de la conception de dispositifs médicaux jouera le rôle de catalyseur de la relation entre des mondes habituellement séparés. "De nouveaux métiers sont indispensables autour de masters en santé. On généralisera la simulation au nom du " jamais la première fois sur un malade "." La réponse à de nombreux problèmes nécessitera des masses importantes de données et leur gestion par des algorithmes de plus en plus sophistiqués. L'amélioration de ces algorithmes au fil de l'eau et grâce aux données accumulées constituant le Deep learning " C'est cet aspect qui fait craindre aux médecins la disparition de leur rôle. Pourtant, " ce risque est réduit si les médecins accompagnent cette évolution en rapprochant leur formation de celle des sciences de l'ingénieur avec de doubles cursus médecine sciences, médecine ingénierie, etc. et que de véritables équipes multidisciplinaires sont constituées. " La formation continue ou recertification deviendra cruciale face aux évolutions technologiques hyperboliques.Le Pr Bron, présent dans la salle, avertit : " attention au Binge learning c'est-à-dire au sens propre, le fait de se saoûler de connaissance... Face à de nouvelles techniques, il faut éviter que le médecin se contente de dire " pour quand " alors que l'ingénieur répond lui " pourquoi ? "En conclusion, l'IA apporte un nouveau paradigme en médecine, mais elle ne fait pas, que du contraire, disparaître le médecin. Celui-ci sera " simplement " aidé dans ses choix par la machine algorithmique mais il devra toujours arbitrer au milieu d'un essaim de datas.