Lorsque nous sommes confrontés à notre finitude, la notion du temps " qui reste " s'impose et questionne... Le patient au centre, la perception du temps qui lui reste est incertaine pour les différents intervenants qui l'accompagnent. Bien souvent, ce temps est imprévisible. Le patient entre dans un moment " suspendu " entre son passé, son présent et l'incertitude de ce qui l'attend. Cette temporalité unique renforce cette part de mystère inhérente à la fin de vie. Elle peut être une attente interminable ou une occasion à saisir pour (se) dire, accompagner, aimer.

En tant que médecins généralistes au chevet d'un patient en fin de vie, nous sommes invités à nous positionner face aux questionnements du patient et de son entourage. La dimension du temps, omniprésente et difficile à définir, rend cette tâche complexe. Mon travail interroge la manière dont les médecins généralistes perçoivent et accompagnent l'incertitude autour du temps de la fin de vie chez leurs patients en prise en charge palliative à domicile, en vue d'ouvrir des pistes de réflexion sur la façon d'accompagner cette incertitude.

Suivant une méthodologie qualitative, j'ai interrogé individuellement (selon un mode semi-directif avec un guide d'entretien) dix médecins généralistes pratiquant en Fédération Wallonie-Bruxelles.

Résultats et discussion

Les résultats sont présentés selon la symbolique de la traversée d'un océan (d'incertitude). Chaque prise en charge d'un patient en fin de vie est unique, souvent complexe et les médecins et autres soignants impliqués naviguent avec le patient et ses proches. Les différentes sources d'incertitude autour de cet ultime voyage sont examinées, de même que les différentes stratégies adoptées pour y faire face.

Au-delà de l'inconfort que l'incertitude peut générer chez le soignant, celle-ci permet d'ouvrir de nouvelles perspectives et renforce la relation de soins avec le patient. Propice à l'émergence d'un espoir bénéfique, elle offre aussi la possibilité d'un accompagnement personnalisé " au jour le jour " au plus proche des souhaits du patient. La métaphore d'un navire avec son équipage illustre l'importance d'un accompagnement pluridisciplinaire ; le patient " capitaine " impliqué dans les décisions, le médecin " navigateur " qui élabore le plan de navigation en collaboration avec le reste de l'équipage, les infirmiers " officiers de quart " au plus proches du patient, à la gestion des opérations quotidiennes, etc.

La valise à destination des médecins généralistes est proposée afin de leur permettre d'accompagner plus sereinement leurs patients en fin de vie. Celle-ci permet de rendre la traversée plus consciente et ancrée dans la réalité du patient.

Conclusion

Peut-être nous faut-il habiter autrement et concrètement ce temps de vie : aller auprès de lui et de ses proches, avec notre écoute, notre empathie, nos doutes et aussi une certaine réassurance... En réaffirmant notre présence et notre disponibilité, peu importe l'évolution de la maladie, nous donnons au patient et aux proches les certitudes dont ils ont besoin. Trouver le moment opportun, le Kaïros, pour aborder et reconnaître en toute humilité cette incertitude, peut permettre au patient d'espérer à nouveau et redonner sens à la relation. Nous ouvrons ainsi un nouveau champ des possibles et permettons au patient de s'exprimer sur ses choix et souhaits concernant sa fin de vie.

Des outils et des balises pour naviguer en mers parfois mouvementées, que sont les prises en charge palliatives au domicile

L'outil développé a pour but de conscientiser les différents acteurs autour du patient. Il offre des outils et des balises au médecin généraliste pour naviguer en mers parfois mouvementées, que sont les prises en charge palliatives au domicile.

Je citerai pour conclure Colette Nys-Mazurequi écrit, dans son ouvrage " Célébration du quotidien ", " Plus on a conscience de l'incertitude de la vie, plus on a envie de célébrer le quotidien " : peut-être une piste pour soigner les détails d'une relation avec son patient et ses proches?

Titre complet :Le temps qui reste. Comment les médecins généralistes accompagnent l'incertitude autour du temps de la fin de vie chez leurs patients suivis en soins palliatifs au domicile ? Étude qualitative réalisée auprès de médecins généralistes de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

Auteur : Dr Simon Guisset

Promotrice : Dre Emmanuelle Thiry

Master de spécialisation en médecine générale (année académique 2022-2023).

Qui êtes-vous, Dr Simon Guisset ?

Pourquoi avez-vous choisi la médecine générale ?

En tant que médecin généraliste, nous sommes un interlocuteur privilégié du patient concernant sa santé. Le fait d'expliquer au patient les enjeux de sa santé, à son rythme et en vulgarisant les termes médicaux, fait sens pour moi. Une relation de confiance s'installe sur plusieurs années et permet une bonne continuité dans les soins. La proximité que nous avons avec nos patients en médecine générale est selon moi très précieuse. De plus, la pratique en médecine générale est très diversifiée ; une journée n'est pas l'autre. Notre métier offre un large éventail de possibilités de formations ; à chacun l'opportunité d'ajouter une/des cordes à son arc. Le fait d'être confronté à des cas variés est également très stimulant. Ceci nous pousse sans cesse à développer notre curiosité scientifique et d'apprendre un peu plus tous les jours.

Où exercez-vous en ce moment ? Qu'est-ce qui a guidé ce choix ?

Je vis actuellement une année de transition après la fin de mon assistanat en octobre dernier. L'occasion pour moi de réaliser des projets qui me tenaient à coeur avant de m'installer en tant que médecin généraliste. Après un voyage de trois mois, j'ai commencé par divers remplacements en médecine générale ; d'abord à Gembloux puis à la maison médicale de Mont-Saint-Guibert.

À partir d'avril, je vais intégrer l'unité de soins palliatifs du GHDC pour une durée de six mois. Cette opportunité fait suite à l'obtention du certificat interuniversitaire européen de soins palliatifs, une formation qui a renforcé mon désir de mettre en pratique ces connaissances. Je rejoindrai ensuite le Pont du Wery à Floreffe, une équipe avec qui je partage des valeurs et beaucoup d'affinités.

Où avez-vous effectué votre assistanat ?

J'ai effectué mes deux premières années d'assistanat à l'ASBL du Pont du Wery à Floreffe. J'y ai reçu une formation très complète grâce au profil très complémentaire de chacun des membres de l'équipe. Je les rejoindrai d'ailleurs dès octobre prochain. Pour clore mon parcours d'assistant, j'ai eu l'envie de découvrir une autre manière de pratiquer. C'est ainsi que j'ai passé une année à la Maison médicale de Mont-Saint-Guibert. Cette expérience m'a permis de développer ma confiance en moi, d'être plus autonome et d'éveiller en moi l'envie d'axer ma pratique davantage sur des actions préventives et de promotion de la santé. J'y ai découvert la richesse d'une collaboration multidisciplinaire.

Qu'appréciez-vous le plus dans votre pratique ? Et le moins ?

Ce que j'apprécie le plus dans ma pratique, c'est la relation de confiance et le lien particulier que je développe avec mes patients, ainsi que la possibilité de pouvoir les accompagner sur une longue période de leur vie. Cet aspect humain de mon travail est essentiel pour moi et lui donne du sens. J'apprécie également la grande diversité du métier de médecin généraliste, tant dans la singularité de chaque suivi de patient mais aussi dans les multiples possibilités de formations et approches à intégrer dans la pratique.

Ce que j'apprécie le moins, ce sont les contraintes administratives qui peuvent parfois entraver ma capacité à consacrer pleinement du temps à chaque patient.

Votre exercice correspond-il à ce que vous imaginiez en entamant vos études ?

Oui. En entamant mes études, j'aspirais déjà à devenir médecin généraliste. J'ai rapidement pris conscience de l'importance pour moi de travailler en équipe et dans un milieu semi-rural. Cependant, je ne me rendais pas compte qu'il y aurait une telle pénurie de médecins généralistes, au point devoir refuser de nouveaux patients. Il est difficile de savoir qu'il y a des patients aux antécédents complexes qui n'ont plus de médecin traitant.

Pour vous, quelles sont les qualités les plus précieuses pour un MG ?

Je pense que la curiosité scientifique renforcée par la formation continue est importante. Notre pratique évolue constamment avec notre société et les découvertes scientifiques. La capacité de remise en question et une certaine humilité sont à mes yeux des qualités précieuses. Ensuite, dans la relation avec nos patients, je pense qu'un médecin généraliste se doit d'avoir une bonne capacité d'écoute et une certaine disponibilité pour ses patients.

Comment envisagez-vous le futur de la médecine générale ?

J'imagine le futur de la médecine générale davantage inscrite au sein d'un réseau de différents acteurs de première ligne, en collaboration autour et pour le bien du patient. Je nourris l'espoir que davantage de ressources publiques soient investies dans la prévention, ce qui nous permettrait d'agir à la source même des problèmes rencontrés par nos patients. Je souhaite voir émerger et se renforcer une vision plus globale de la santé, prenant en compte ses multiples déterminants tels que les aspects sociaux, environnementaux, économiques et personnels. Ainsi, nous pourrons agir de manière plus cohérente face aux défis contemporains qui se présentent à nous.

Avez-vous des projets, à court ou à plus long terme, en rapport avec votre formation et votre carrière de MG ?

À court terme, je souhaiterais intégrer à ma pratique quotidienne un volet davantage préventif. Je souhaiterais avoir une pratique plus respectueuse de l'environnement et éveiller mes patients à ces enjeux (Santé environnementale, prescription consciente/ dé-prescription, mobilité douce...). Je suis convaincu de l'importance de la promotion de la santé au sein de la communauté, tout en créant du lien entre les individus. Ayant également un attrait pour les soins palliatifs, je souhaite garder une activité complémentaire en soins palliatifs. J'ai rejoint récemment l'équipe du Foyer Saint-François, une unité de soins palliatifs à Namur, où j'effectue des gardes et des remplacements occasionnels.

À plus long terme, j'aspire à m'investir dans la formation des futurs médecins généralistes. J'ai un intérêt particulier pour la transmission de connaissances et je serais enthousiaste à l'idée d'animer un séminaire loco-régional, par exemple.

Existe-t-il l'un ou l'autre aspect de la profession de MG qui demanderait à être amélioré, à vos yeux ?

Tout d'abord, je pense que la communication avec les milieux hospitaliers pourrait être améliorée afin de faciliter les transitions de soins et d'assurer une continuité optimale des traitements et prises en charge pour les patients. De plus, il est essentiel de renforcer la collaboration avec l'ensemble des acteurs de première ligne pour offrir des soins plus complets et adaptés aux besoins individuels de chaque patient. Enfin, une diminution de la charge administrative permettrait aux médecins généralistes de consacrer plus de temps à l'essentiel de leur pratique, prendre soin. L'action " crocodile bleu " illustre bien cette charge.

Quels sont vos loisirs ? Avez-vous un violon d'Ingres parallèlement à votre pratique ?

Avez-vous une activité de prédilection qui vous permet de décompresser ? En dehors de mon travail, j'ai un attrait pour les activités plus manuelles. Que ce soit à travers le bricolage et la construction de meubles en bois de récup' ou à travers le jardinage. Depuis quelques années, je prends plaisir à ne négliger aucune étape de la création d'un potager. De la préparation du sol aux graines et semis, jusqu'à bien sûr la croissance des légumes et leur dégustation.

En parallèle, je fais également partie d'une équipe d'improvisation, la " Team Pala ". Une fois par semaine et lors d'évènements, cela me permet de décompresser et de m'évader dans d'autres univers.

Lorsque nous sommes confrontés à notre finitude, la notion du temps " qui reste " s'impose et questionne... Le patient au centre, la perception du temps qui lui reste est incertaine pour les différents intervenants qui l'accompagnent. Bien souvent, ce temps est imprévisible. Le patient entre dans un moment " suspendu " entre son passé, son présent et l'incertitude de ce qui l'attend. Cette temporalité unique renforce cette part de mystère inhérente à la fin de vie. Elle peut être une attente interminable ou une occasion à saisir pour (se) dire, accompagner, aimer.En tant que médecins généralistes au chevet d'un patient en fin de vie, nous sommes invités à nous positionner face aux questionnements du patient et de son entourage. La dimension du temps, omniprésente et difficile à définir, rend cette tâche complexe. Mon travail interroge la manière dont les médecins généralistes perçoivent et accompagnent l'incertitude autour du temps de la fin de vie chez leurs patients en prise en charge palliative à domicile, en vue d'ouvrir des pistes de réflexion sur la façon d'accompagner cette incertitude.Suivant une méthodologie qualitative, j'ai interrogé individuellement (selon un mode semi-directif avec un guide d'entretien) dix médecins généralistes pratiquant en Fédération Wallonie-Bruxelles.Les résultats sont présentés selon la symbolique de la traversée d'un océan (d'incertitude). Chaque prise en charge d'un patient en fin de vie est unique, souvent complexe et les médecins et autres soignants impliqués naviguent avec le patient et ses proches. Les différentes sources d'incertitude autour de cet ultime voyage sont examinées, de même que les différentes stratégies adoptées pour y faire face.Au-delà de l'inconfort que l'incertitude peut générer chez le soignant, celle-ci permet d'ouvrir de nouvelles perspectives et renforce la relation de soins avec le patient. Propice à l'émergence d'un espoir bénéfique, elle offre aussi la possibilité d'un accompagnement personnalisé " au jour le jour " au plus proche des souhaits du patient. La métaphore d'un navire avec son équipage illustre l'importance d'un accompagnement pluridisciplinaire ; le patient " capitaine " impliqué dans les décisions, le médecin " navigateur " qui élabore le plan de navigation en collaboration avec le reste de l'équipage, les infirmiers " officiers de quart " au plus proches du patient, à la gestion des opérations quotidiennes, etc.La valise à destination des médecins généralistes est proposée afin de leur permettre d'accompagner plus sereinement leurs patients en fin de vie. Celle-ci permet de rendre la traversée plus consciente et ancrée dans la réalité du patient.Peut-être nous faut-il habiter autrement et concrètement ce temps de vie : aller auprès de lui et de ses proches, avec notre écoute, notre empathie, nos doutes et aussi une certaine réassurance... En réaffirmant notre présence et notre disponibilité, peu importe l'évolution de la maladie, nous donnons au patient et aux proches les certitudes dont ils ont besoin. Trouver le moment opportun, le Kaïros, pour aborder et reconnaître en toute humilité cette incertitude, peut permettre au patient d'espérer à nouveau et redonner sens à la relation. Nous ouvrons ainsi un nouveau champ des possibles et permettons au patient de s'exprimer sur ses choix et souhaits concernant sa fin de vie.L'outil développé a pour but de conscientiser les différents acteurs autour du patient. Il offre des outils et des balises au médecin généraliste pour naviguer en mers parfois mouvementées, que sont les prises en charge palliatives au domicile.Je citerai pour conclure Colette Nys-Mazurequi écrit, dans son ouvrage " Célébration du quotidien ", " Plus on a conscience de l'incertitude de la vie, plus on a envie de célébrer le quotidien " : peut-être une piste pour soigner les détails d'une relation avec son patient et ses proches?Titre complet :Le temps qui reste. Comment les médecins généralistes accompagnent l'incertitude autour du temps de la fin de vie chez leurs patients suivis en soins palliatifs au domicile ? Étude qualitative réalisée auprès de médecins généralistes de la Fédération Wallonie-Bruxelles.Auteur : Dr Simon GuissetPromotrice : Dre Emmanuelle ThiryMaster de spécialisation en médecine générale (année académique 2022-2023).