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Pour répondre à cette question, le Dr Edmond Brasseur, responsable des urgences au CHU Notre Dame des Bruyères (CHUNDB) à Liège, et l'équipe du Pr D'Orio ont réalisé une étude 1. En mars 2017, pendant neuf jours consécutifs, ils ont réalisé une enquête auprès des patients admis aux urgences au CHUNDB et au CHU Sart Tilman, qu'ils s'y soient rendus par eux-mêmes, référés par un généraliste ou un spécialiste ou après appel téléphonique. Au total, 1.945 patients (âge moyen 39,8 ans) ont été inclus, environ la moitié dans chacune des deux unités, 96,2% ont déclaré avoir un MG.Résultats ? 68% des patients sont venus d'eux-mêmes aux urgences, 17% référés par un MG, 8,5% par un spécialiste et 7% après un appel au 112. Parmi ceux qui s'y sont rendus de leur propre initiative, 51% pensaient que c'était l'endroit le plus approprié pour leur problème de santé, pour 24%, c'était le lieu le plus accessible, 15% pensaient avoir besoin de soins spécialisés, 4,2% ont invoqué le stress, 4,6% la réputation de l'hôpital, et seul 1% des raisons financières." On a tordu le cou à une rumeur à laquelle je ne croyais pas trop, qui était que les patients viennent aux urgences parce qu'ils ne payent pas ", constate le Dr Brasseur. " Mais, ce qui nous a interpellés c'est que, quel que soit le moment (jour, nuit, week-end), la majorité vient en pensant que son état de santé relève des soins urgents. Ce qui confirme mon postulat de départ : les gens sont de bonne volonté et de bonne foi : sans avoir de formation médicale ou paramédicale, la plupart ne se trompe pas, 80% des patients relèvent bien des urgences et 20 à 30% sur- ou sous-estiment leur état. "Autre point d'étonnement : pour le public, les urgences sont un lieu de soins particulièrement accessible en journée. " La nuit, le médecin de garde est joignable et il voit les patients dans l'heure ou les deux heures, alors qu'en journée, pas mal de généralistes travaillent majoritairement sur rendez-vous. L'évolution de la médecine est telle que les jeunes médecins organisent leur activité de façon à garder assez de temps pour leur vie privée. ". Notons le cas particulier de la pédiatrie et des parents inquiets qui ont envie que leur enfant soit vu le jour même.En fait, ce travail a été réalisé dans le cadre de la thèse de doctorat qu'Edmond Brasseur est en train de finaliser et qui porte sur l'orientation des patients en préhospitalier : " En 2011, le CHU de Liège a été contacté par le cercle de médecine générale du Condroz. Avec l'équipe des Urgences, nous avons développé un outil de régulation appelé Salomon (Système algorithmique liégeois d'orientation pour la médecine omnipraticienne nocturne) qui permet aux infirmiers de réguler les appels de nuit (vers la MG de garde, vers l'aide médicale d'urgence ou reportés au lendemain). Après avoir validé l'outil scientifiquement, on a commencé à réguler le cercle du Condroz, d'autres ont suivi. "Après quelques années de fonctionnement, l'urgentiste s'est rendu compte qu'il n'y avait pas beaucoup d'appels après minuit. " D'autre part, on était assez étonné de voir qu'à peu près un tiers des patients qui appelaient la médecine générale la nuit relevaient in fine des urgences. "En journée, les urgences sont souvent surpeuplées. " Mais, la cause principale n'est pas le flux entrant, ce ne sont pas les 10-15% de patients que l'on pourrait 'renvoyer' en médecine générale qui vont solutionner ce problème ", estime-t-il. " Il n' y aura pas une solution miracle mais plusieurs visant l'entrée des patients, l'organisation interne, le flux sortant (vers les services hospitaliers et vers le domicile)... Le triage téléphonique ne sera pas suffisant parce que beaucoup se présentent aux urgences sans avoir contacté qui que ce soit. Il faudra peut-être un outil informatique disponible en ligne, utilisable par la population, et réorienter quand nécessaire à l'entrée des urgences ou du cabinet de médecine générale, sans perdre de temps. "Ensuite, il faudrait augmenter le nombre de médecins généralistes et les consultations sans rendez-vous pour absorber en journée ces soins non programmés. " Partout où il y a un numerus clausus, on rencontre une pénurie relative : il n'y a pas tellement moins de médecins par nombre d'habitants, en Belgique, au fil des années, par contre, on 'manque de médecins' suite à l'évolution des mentalités des jeunes médecins qui veulent préserver leur qualité de vie, à la féminisation de la profession, au vieillissement de la population médicale... " Et à une société habituée à tout obtenir tout de suite.Récemment évoquée par le KCE, le manque de littératie en santé ( lire jdM n° 2614) est aussi l'une des clés du problème : " On sait que l'anxiété est majorée par le fait que les gens vont sur Internet : soit ils n'ont pas la bonne information, soit ils ne l'ont pas comprise. Il faudrait donc une meilleure maîtrise de l'information, que les médecins ou les organisations médicales créent des outils d'information vulgarisée, accessibles aux patients. "Actuellement, deux autres outils dérivés de Salomon sont en cours de développement, ils feront l'objet de la thèse du Dr Alison Gilbert : Persee (Protocole d'évaluation pour la réorientation vers un service efficient extra-hospitalier) permet aux infirmières de renvoyer les patients admis aux urgences vers un service de MG de garde (poste de garde, cabinet de consultation sans rendez-vous) et Odissee (Outil décisionnel et informatique des structures de soins efficientes existantes), un algorithmique vulgarisé d'autotriage qui vient d'être présenté par le Dr Brasseur le 13 janvier dernier à l'occasion des voeux de l'administrateur délégué au CHU de Liège.