Pour commencer, il est toujours un peu difficile de définir la maladie mentale, explique William Pitchot, psychiatre au CHU de Liège. " Le DSM 5 regroupe un nombre astronomique de maladies. On a tendance à les classer selon certains critères. Or, parmi les djihadistes de l'Etat islamique (EI), contrairement à ce que certains pensent, il n'y a pas tellement de personnes souffrant de véritables maladies psychiatriques. On retrouve par contre des personnalités pathologiques. On trouve par contre au sommet de l'EI des personnalités anti-sociales qui sont des psychopathes. Leur structure de personnalité est relativement stable. On ne peut donc pas les soigner facilement avec des médicaments. "

Période de transition

Le terroriste peut être comparé à un suicidaire. Le suicide n'est pas non plus facile à contextualiser. "Le point commun entre ces différentes personnes : ce sont surtout des jeunes immigrés qui se retrouvent dans les rangs terroristes. Ce sont des jeunes en 'période de transition' dans leur vie. Ils sont étudiants, perdus dans leurs études, ils ont perdu un proche, sont confrontés à une rupture amoureuse. C'est une période de vulnérabilité. Autour de 20 ans, on n'est pas encore totalement construit, on est en quête d'identité. C'est là que le message simpliste va avoir un impact. Car l'EI donne des réponses très simples, très claires. Ce message simpliste arrive à un moment de grande incertitude. C'est une idéologie manichéenne prônant une lutte d'apparence noble (elle ne l'est pas, bien sûr) : la lutte du bien contre le mal (l'Occident terriblement superficiel, matérialiste, qui propose une vie de débauche)."

Narcissiques

Parmi les chefs islamistes, une catégorie qui fait beaucoup de mal est celle des narcissiques au sens pathologique du terme. " Le sentiment de toute-puissance peut leur monter à la tête. Ils ont un pouvoir sur les gens comme certains imams (ndlr : le chef de la cellule de Barcelone était un imam). Il faut être très équilibré pour ne pas en abuser. La plupart des imams sont des gens bien. La religion est ce que l'on en fait. Mais certains imams ont des traits de caractère qui peuvent favoriser l'endoctrinement. "

Les imitateurs, en revanche, peuvent être des malades mentaux. " C'est tout à fait imaginable. L'individu a des besoins primaires (boire et manger) et un besoin de lien social, d'appartenance à un groupe. Or ces individus ne sont pas forcément entourés d'une famille aimante. Si, quand on a faim on va manger n'importe quoi, c'est la même chose pour ce besoin d'appartenance : on peut se rallier à quelque chose de mauvais : le patient psychotique va rechercher ce sentiment d'appartenance auprès de l'EI. "

Effet boule de neige : une fois qu'on a endoctriné plusieurs ouailles, celles-ci vont en endoctriner d'autres, souvent des proches en qui elles ont confiance, et qui leur font confiance.

Donc, on ne peut pas non plus leur offrir un traitement en tant que malades mentaux. Mais "cela n'empêche pas une prise en charge de nature psychothérapeutique. On peut modifier leurs croyances. S'ils reviennent de Syrie, c'est bon signe. Ils se sont peut-être rendus compte qu'ils ont été abusés par l'EI. Qu'on leur a menti. Il ne faut pas les condamner d'emblée."

Moyens

Pour autant, la psychiatrie a besoin de moyens considérables face au djihadisme. " C'est comme les délinquants sexuels. Ils sont 'obligés' de voir un psy mais cela ne sert à rien car ils peuvent nous raconter ce qu'ils veulent. Ce qu'il faut, ce sont des moyens. Je ne suis pas sûr que dans tous les pays occidentaux on donne les moyens suffisants pour protéger la société contre des passages à l'acte. "

Le Dr Johan Kalondji-Ditunga (annexe psychiatrique de la prison de Saint-Gilles/Forest) a travaillé il y a quelques temps au contact de djihadistes. " Si tous ne sont pas frappés de maladie mentale, parmi nos rencontres, certains souffraient tout de même de pathologies telle que la paranoïa. J'ai rencontré des personnalités de type anti-social et des personnes ayant de grandes difficultés avec l'autorité ou avec la loi. On observe des psychoses paranoïaques, une appréhension manichéenne persécutoire. Ces personnalités anti-sociales psychopathiques estiment que 'l'autre' est toujours un moyen plutôt qu'une fin. Il n'y a pas, selon elles, d'équivalence entre les humains. Les humains sont toujours utilitaires."

A côté de cela, l'un ou l'autre schizophrène par mimétisme peut commettre évidemment un passage à l'acte. Mais c'est plus rare.

Les organisateurs des attentats sont plus déterminés. Mais la folie, là aussi, est une explication facile. " La réponse est complexe. Le sujet est à pénétrer par l'angle sociologique. En criminologie, on a beaucoup travaillé sur ces enjeux géopolitiques instrumentalisés, les failles personnelles, les rencontres malheureuses qui fabriquent un rapport au monde selon ces modalités-là. "

Persécution

Quant aux gourous qui séduisent les jeunes, le Dr Kalondji a eu assez peu de contacts avec les processus d'endoctrinement. "Mais j'ai rencontré l'un ou l'autre gourou dont le rapport au monde est clairement paranoïaque et la haine de valeurs qu'ils estimaient persécutoires (les nôtres) a été transmise auprès des jeunes... "

Enfin, le Dr Kalondji est peu familier du vocable "trouble mental", essentiellement anglo-saxon. " Il est utilisé à partir de normes statistiques pour définir la normalité de l'anormalité. Donc, le trouble mental est plus un écart de la norme. "

Côté thérapie, " c'est la grande illusion du déconditionnement et de la déradicalisation. On ne sait pas quels sont les programmes efficaces de déradicalisation. Je pense qu'il faut plutôt viser la prévention que la thérapie ou la réadaptation. "

"J'ai commis des erreurs mais je ne suis pas un terroriste"

"J'ai commis des erreurs et j'ai blessé des innocents mais je ne suis pas un terroriste", a déclaré Hicham Diop, jeudi matin, devant le tribunal correctionnel de Bruxelles. L'homme doit répondre de tentative d'assassinat dans un contexte terroriste. Il avait poignardé deux policiers à Schaerbeek en octobre 2016.

Hicham Diop a expliqué au tribunal qu'il avait agi dans un accès de rage et qu'il avait perdu le contrôle de ses actions, victime d'effets secondaires d'un médicament qu'il prenait à ce moment-là.

"Je n'ai toujours aucune explication claire sur ce que j'ai commis", a-t-il dit. "Mais je vivais avec un sentiment de colère permanent", a-t-il ajouté.

Hicham Diop, un Belge âgé de 43 ans, avait agressé deux policiers à Schaerbeek le 5 octobre 2016. Ancien militaire adepte de "kick-boxing", il s'était jeté sur un policier et une policière, les frappant avec un couteau. L'un d'eux avait été blessé au ventre et l'autre au cou mais ils avaient pu quitter l'hôpital le soir même.

Le prévenu avait été interpellé peu de temps après, à proximité, par une seconde patrouille de police. Il avait encore cassé le nez d'un policier, suite à quoi le collègue de ce dernier lui avait tiré une balle dans la jambe pour le neutraliser.

Auditionné ensuite, Hicham Diop avait déclaré que l'attaque sur les policiers n'était pas un acte terroriste. Elle était, selon ses avocats, à mettre en relation avec des faits remontant à 2011, lorsqu'il avait été renversé par un véhicule de la police fédérale.

Hicham Diop n'avait pas émis de revendication lors de l'agression mais il avait tenu des propos liés au terrorisme pendant son interrogatoire à la police.

(Belga)

Pour commencer, il est toujours un peu difficile de définir la maladie mentale, explique William Pitchot, psychiatre au CHU de Liège. " Le DSM 5 regroupe un nombre astronomique de maladies. On a tendance à les classer selon certains critères. Or, parmi les djihadistes de l'Etat islamique (EI), contrairement à ce que certains pensent, il n'y a pas tellement de personnes souffrant de véritables maladies psychiatriques. On retrouve par contre des personnalités pathologiques. On trouve par contre au sommet de l'EI des personnalités anti-sociales qui sont des psychopathes. Leur structure de personnalité est relativement stable. On ne peut donc pas les soigner facilement avec des médicaments. "Le terroriste peut être comparé à un suicidaire. Le suicide n'est pas non plus facile à contextualiser. "Le point commun entre ces différentes personnes : ce sont surtout des jeunes immigrés qui se retrouvent dans les rangs terroristes. Ce sont des jeunes en 'période de transition' dans leur vie. Ils sont étudiants, perdus dans leurs études, ils ont perdu un proche, sont confrontés à une rupture amoureuse. C'est une période de vulnérabilité. Autour de 20 ans, on n'est pas encore totalement construit, on est en quête d'identité. C'est là que le message simpliste va avoir un impact. Car l'EI donne des réponses très simples, très claires. Ce message simpliste arrive à un moment de grande incertitude. C'est une idéologie manichéenne prônant une lutte d'apparence noble (elle ne l'est pas, bien sûr) : la lutte du bien contre le mal (l'Occident terriblement superficiel, matérialiste, qui propose une vie de débauche)."Parmi les chefs islamistes, une catégorie qui fait beaucoup de mal est celle des narcissiques au sens pathologique du terme. " Le sentiment de toute-puissance peut leur monter à la tête. Ils ont un pouvoir sur les gens comme certains imams (ndlr : le chef de la cellule de Barcelone était un imam). Il faut être très équilibré pour ne pas en abuser. La plupart des imams sont des gens bien. La religion est ce que l'on en fait. Mais certains imams ont des traits de caractère qui peuvent favoriser l'endoctrinement. "Les imitateurs, en revanche, peuvent être des malades mentaux. " C'est tout à fait imaginable. L'individu a des besoins primaires (boire et manger) et un besoin de lien social, d'appartenance à un groupe. Or ces individus ne sont pas forcément entourés d'une famille aimante. Si, quand on a faim on va manger n'importe quoi, c'est la même chose pour ce besoin d'appartenance : on peut se rallier à quelque chose de mauvais : le patient psychotique va rechercher ce sentiment d'appartenance auprès de l'EI. "Effet boule de neige : une fois qu'on a endoctriné plusieurs ouailles, celles-ci vont en endoctriner d'autres, souvent des proches en qui elles ont confiance, et qui leur font confiance. Donc, on ne peut pas non plus leur offrir un traitement en tant que malades mentaux. Mais "cela n'empêche pas une prise en charge de nature psychothérapeutique. On peut modifier leurs croyances. S'ils reviennent de Syrie, c'est bon signe. Ils se sont peut-être rendus compte qu'ils ont été abusés par l'EI. Qu'on leur a menti. Il ne faut pas les condamner d'emblée."Pour autant, la psychiatrie a besoin de moyens considérables face au djihadisme. " C'est comme les délinquants sexuels. Ils sont 'obligés' de voir un psy mais cela ne sert à rien car ils peuvent nous raconter ce qu'ils veulent. Ce qu'il faut, ce sont des moyens. Je ne suis pas sûr que dans tous les pays occidentaux on donne les moyens suffisants pour protéger la société contre des passages à l'acte. "Le Dr Johan Kalondji-Ditunga (annexe psychiatrique de la prison de Saint-Gilles/Forest) a travaillé il y a quelques temps au contact de djihadistes. " Si tous ne sont pas frappés de maladie mentale, parmi nos rencontres, certains souffraient tout de même de pathologies telle que la paranoïa. J'ai rencontré des personnalités de type anti-social et des personnes ayant de grandes difficultés avec l'autorité ou avec la loi. On observe des psychoses paranoïaques, une appréhension manichéenne persécutoire. Ces personnalités anti-sociales psychopathiques estiment que 'l'autre' est toujours un moyen plutôt qu'une fin. Il n'y a pas, selon elles, d'équivalence entre les humains. Les humains sont toujours utilitaires."A côté de cela, l'un ou l'autre schizophrène par mimétisme peut commettre évidemment un passage à l'acte. Mais c'est plus rare.Les organisateurs des attentats sont plus déterminés. Mais la folie, là aussi, est une explication facile. " La réponse est complexe. Le sujet est à pénétrer par l'angle sociologique. En criminologie, on a beaucoup travaillé sur ces enjeux géopolitiques instrumentalisés, les failles personnelles, les rencontres malheureuses qui fabriquent un rapport au monde selon ces modalités-là. "Quant aux gourous qui séduisent les jeunes, le Dr Kalondji a eu assez peu de contacts avec les processus d'endoctrinement. "Mais j'ai rencontré l'un ou l'autre gourou dont le rapport au monde est clairement paranoïaque et la haine de valeurs qu'ils estimaient persécutoires (les nôtres) a été transmise auprès des jeunes... "Enfin, le Dr Kalondji est peu familier du vocable "trouble mental", essentiellement anglo-saxon. " Il est utilisé à partir de normes statistiques pour définir la normalité de l'anormalité. Donc, le trouble mental est plus un écart de la norme. "Côté thérapie, " c'est la grande illusion du déconditionnement et de la déradicalisation. On ne sait pas quels sont les programmes efficaces de déradicalisation. Je pense qu'il faut plutôt viser la prévention que la thérapie ou la réadaptation. "