...

Qui pratique aujourd'hui les IVG en Belgique ? 80 % des avortements déclarés à la Commission d'évaluation sont réalisés dans des centres extra hospitaliers par 98 % de médecins généralistes. Ils sont environ 90 actuellement. La majorité a 50 ans et plus.En Belgique, l'IVG n'est donc pas une affaire de gynécologues ? C'est lié à des raisons historiques. Les médecins qui se sont battus à l'époque où l'avortement était interdit en Belgique - et il n'y a que 22 ans qu'il est légalisé -, ce sont les généralistes. Ce sont eux qui ont pris le risque de travailler dans l'illégalité. Alors, oui, il y a des gynécologues qui ont été des têtes de proue mais ils formaient des généralistes parce que c'étaient eux qui étaient disposés à faire ce travail. Quelques gynécologues travaillent avec nous dans les centres de planning mais ils sont extrêmement minoritaires. Les gynécologues pratiquent évidemment des curetages et sont donc tout à fait habilités à pratiquer l'IVG mais, en planning, on ne gagne pas beaucoup d'argent... En France, c'est tout à fait le contraire. L'IVG ne peut avoir lieu en dehors de l'hôpital : la majorité des médecins qui le pratiquent est donc constituée de gynécologues.Quelle est la formation requise pour pratiquer l'IVG ? Est-ce une compétence que tous les généralistes devraient avoir ? Certainement pas. Pour faire des avortements, il faut avoir envie de faire des avortements. À partir du moment où l'on n'est pas bien avec ça, il vaut mieux le laisser aux autres, dans l'intérêt des femmes. Jusqu'à présent, la formation avait lieu " sur le tas ". Dans les centres de planning, on formait des gens de bonne volonté intéressés et avec assez peu de critères. Depuis huit ans maintenant, l'ULB a repris une formation beaucoup plus systématisée, avec un plan pédagogique sur trois années et des stages dans des centres extra hospitaliers. C'est une formation qui commence en 4e master, c'est-à-dire en dernière année. Elle se poursuit durant les deux années de master complémentaire en médecine générale. L'ULB produit ainsi chaque année deux ou trois médecins qui sont de bons praticiens de l'avortement en centres extra hospitaliers. Et c'est un vrai métier. Par ailleurs, après 35 ans de pratique, je peux dire qu'il est important de se former de manière structurée : quand on se forme trop vite, de manière sauvage, il y a un fort risque d'abandon, même chez les mieux intentionnés. C'est une formation qui devrait aussi permettre d'assurer la relève. Le problème est que seule l'ULB la propose aujourd'hui.Quelles sont les compétences spécifiques à acquérir ? D'abord, il faut être clair sur le plan philosophique avec le droit fondamental et indiscutable des femmes à avorter. C'est la première chose. La deuxième chose est d'avoir un minimum de compétences en gynécologie médicale, " extra hospitalière ", c'est-à-dire la gynécologie qui n'est ni l'obstétrique ni la chirurgie. Enfin, il faut apprendre une technique, qui est la technique de vacu-aspiration sous anesthésie locale. Et gérer toutes les petites et moyennes complications liées à cette technique.Avec le départ à la retraite des médecins pratiquant l'IVG, le droit à l'avortement est-il déjà menacé dans notre pays ? Si on peut dire que cinq ans, c'est imminent, alors oui, la pénurie est imminente. Dans cinq ans, il y a toute une frange de généralistes pratiquant l'IVG qui arrivent à la pension. On est à minuit moins cinq ! Et quand il n'y a pas de praticiens, une bonne loi ne suffit pas. En France, certaines femmes n'ont déjà plus le choix de la technique et sont directement orientées vers un avortement médicamenteux parce qu'on ne peut plus leur proposer la vacu-aspiration, faute de lieux adéquats. Il faut aussi savoir qu'en Belgique, il y a de vastes régions où il n'y a aucun médecin pratiquant l'avortement ! Dans le sud de la province de Namur et dans l'ensemble de la province du Luxembourg, il n'y a personne, absolument personne.Comment explique-t-on cette disparité géographique ? À nouveau, c'est lié à des raisons historiques mais aussi à des raisons philosophiques, religieuses. Clairement, le sud de la Belgique est beaucoup plus influencé par la religion catholique et par des praticiens qui sortent de l'UCL. Ces inégalités entraînent aussi, dans les zones où il y a peu de ressources, une ignorance spectaculaire. Certaines femmes doivent faire un parcours inouï pour trouver réponse à leur demande. Leur généraliste les renvoie parfois vers un gynécologue, qui ne fait pas d'avortement, qui les renvoie dans le meilleur des cas vers un centre de planning qui, généralement, ne fait pas d'avortements non plus... Rappelons que sur 100 plannings, il n'y en a que 25 qui font des avortements. Heureusement, quand les femmes arrivent dans un centre de planning, elles sont systématiquement réorientées vers un centre qui en fait. Mais il n'est pas rare de voir des femmes qui ont frappé à de nombreuses portes avant de trouver une solution. Il est urgent de mieux informer.Un recours en hausse à la " clause de conscience " La loi du 3 avril 1990 relative à l'interruption de grossesse contient une clause de conscience. Celle-ci figure à l'article 350, 6°, du Code pénal et stipule qu'" aucun médecin, aucun infirmier ou infirmière, aucun auxiliaire médical n'est tenu de concourir à une interruption de grossesse. " En revanche, la loi précise que " le médecin sollicité est tenu d'informer l'intéressée, dès la première visite, de son refus d'intervention. " Or, en Europe, plusieurs pays ont vu augmenter de manière phénoménale le recours à cette clause de conscience. En Italie, où l'IVG est autorisée depuis 1978, le ministère de la Santé indique que 70 à 80 % des gynécologues invoqueraient désormais l'objection de conscience pour ne plus pratiquer l'avortement. Avec, comme résultat, des pratiques clandestines à nouveau en augmentation. " En Italie, en Espagne, la pression des mouvements religieux est telle que beaucoup de médecins se sentent de plus en plus mal à l'aise ", commente le Dr Dominique Roynet. " Dans un contexte où l'avortement n'est pas dédramatisé, où l'on est menacé de se faire traiter d'assassin à tous les coins de rue, bien sûr que certains médecins se sentent investis d'une clause de conscience. On peut comprendre... "