C'est non sans fierté et avec une émotion palpable que le CHU de Liège a inauguré officiellement, après huit ans de travaux, son Institut de cancérologie "Arsène Burny" (ICAB).
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"Nous allons tous mourir. Ces quatre mots sont notre seule certitude, et cette réalité d'une mort certaine ne peut être rendue supportable que par le fait que nous n'en connaissions ni le jour ni l'heure. Malheureusement, c'est ce paramètre que le diagnostic de cancer modifie encore trop souvent. Un des pires diagnostics que l'on puisse annoncer à un patient." D'emblée, pour son premier acte en tant que nouveau président du Conseil d'administration du CHU de Liège, le Dr Philippe Boxho, médecin légiste, pose le ton. Il n'y aura pas de langue de bois à l'occasion de l'inauguration du centre intégré d'oncologie du CHU de Liège. "En 2018, 70.400 cas de cancers ont été diagnostiqués en Belgique. C'est une pathologie qui concerne un homme sur trois et une femme sur quatre avant leur 75e anniversaire. Il était temps que notre région dispose d'un centre d'excellence qui rassemble tous les acteurs impliqués dans le diagnostic, le traitement et la recherche sur le cancer, à l'instar de l'Institut Bordet à Bruxelles." Il aura fallu huit ans de travaux, dont près de la moitié de retards. Huit longues années émaillées de "péripéties diverses et variées", rappelle le Dr Boxho. Péripéties qui se sont encore invitées le jour de l'inauguration avec, sous une neige aussi dense que soudaine, une manifestation silencieuse d'infirmières en guise de comité d'accueil des ministres wallonne et francophone de la Santé afin de partager leur mal-être contre le système IFIC 14. Et puis l'absence du Pr Arsène Burny, 89 ans, parrain de l'Institut de cancérologie qui porte fièrement son nom, pour cause de décès de son épouse Arlette, emportée par le cancer quelques jours auparavant. " Je vois ses réactions, je vis ses anxiétés, j'essaie de comprendre... Je me rends compte que c'est très difficile", a confié Arsène Burny, au chevet de son épouse, au Pr Yves Beguin, chef du service d'hématologie du CHU de Liège et président du Conseil de gouvernance du nouvel ICAB. Ce chemin long et douloureux reflète exactement le quotidien décrit par Marc De Paoli, l'administrateur délégué du CHU liégeois, en préambule de la visite des lieux: " Un parcours de soins caractérisé par des rémissions et rechutes, et de nombreuses incertitudes. Et parce que la maladie n'est pas qu'affaire somatique, l'ICAB développe une véritable politique d'accompagnement, centrée sur le bien-être et la multidisciplinarité. Autour du malade, chaque personne, chaque accompagnant, chaque intervenant est important." L'Institut flambant neuf se targue de faciliter la communication entre tous les professionnels, mais aussi de privilégier une vision holistique plutôt que de morceler l'information. "Ce n'est pas un nouvel hôpital dans l'hôpital, c'est un centre d'excellence parfaitement intégré à l'hôpital, et qui partage les mêmes valeurs", insiste De Paoli. En veillant à développer en parallèle les soins, la recherche et l'enseignement, l'ICAB s'empare d'une place de choix au coeur des missions fondamentales d'un hôpital universitaire. Un prix scientifique (10.000 euros) sera remis chaque année à un jeune médecin porteur d'un projet de recherche. Le Dr Arnaud Lombard, neurochirurgien, s'est vu décerner le premier prix ICAB pour sa recherche de nouvelles cibles et thérapeutiques contre les cellules souches de glioblastomes. L'étude d'échantillons tumoraux prélevés chez des patients opérés devrait permettre d'identifier de nouvelles cibles à la surface des cellules souches cancéreuses pour produire des nanobodies spécifiques contre les marqueurs membranaires. "On va surtout faire tout, Philippe, pour mourir le plus tard possible, et conjurer le sort avec la recherche et la prise en charge", tacle Christie Morreale, en souriant, le Dr Boxho. "Il est nécessaire de créer un espace de santé avec des propositions thérapeutiques adaptées aux différentes maladies. La demande, par le patient, de thérapies complémentaires a augmenté de 120%, ces dix dernières années", souligne la ministre wallonne de la Santé. "Une vision plus holistique de notre médecine doit prendre le pas et l'individu doit lui-même être acteur de sa santé, avec une prise de conscience sur les choix à opérer en fonction des diagnostics et traitements posés par les professionnels." Faire évoluer notre modèle de soins et intégrer à la médecine scientifique conventionnelle des médecines plus naturelles complémentaires et des thérapies de style de vie (activité physique, gestion du stress, nutrition) est un "modèle qui montre d'excellents résultats, et nous amène à une nouvelle ère, celle de l'individualisation des soins par la pluridisciplinarité des approches thérapeutiques, celle de la médecine intégrative." " Il est possible d'appliquer les progrès les plus pointus de la science dans un modèle multidisciplinaire, tout en privilégiant une approche soucieuse de la personne humaine, de sa souffrance, de ses craintes et de ses espoirs", renchérit Valérie Glatigny, ministre de la Recherche scientifique et des Hôpitaux universitaires en FWB, qui souligne l'importance cruciale de la recherche fondamentale et la nécessité de transférer les découvertes vers les applications cliniques, pour "aller de la paillasse du laboratoire au lit du malade". "On ne peut plus dire qu'on va voir LE spécialiste de telle ou telle pathologie", enchaîne le Pr Yves Beguin, "ce n'est plus ce qui est requis pour offrir la meilleure prise en charge. Ce dont on a besoin, c'est d'une équipe qui se parle, qui prend en compte les caractéristiques individuelles du patient, dont ses projets de vie et ses ambitions - ou son absence d'ambitions - pour le futur. Les chances de survie progressent, mais la qualité de vie des patients reste fort imprégnée. À cause des traitements, la qualité de vie diminue parfois, et s'il est important de vivre le plus longtemps possible, il est parfois plus important de vivre moins longtemps mais mieux. C'est tout le sens d'avoir un centre intégré qui offre un support dans cette épreuve qui n'est pas que physique mais aussi très largement psychosociale. À nous de mettre en oeuvre l'excellence au quotidien et de faire en sorte que ces mots aient un sens concret pour les patients." D'ici 2030, le cancer pourrait devenir la première cause de décès et mettre en péril les soins de santé, "un constat mis en évidence par le Baromètre belge du cancer", rappelle Christie Morreale. Avec plus de 190 nouveaux cas de cancer par jour, la Belgique est quatrième au classement européen. Et de rappeler la nécessité d'une "vraie stratégie de prévention et promotion de la santé", qui pourrait éviter 40% des cancers mais "ne représente aujourd'hui que 1,7% des dépenses de santé, c'est trop peu. J'ai lancé un appel à projets pour une programmation avec des dizaines de millions d'euros pour un plan de santé publique. J'espère aussi que la clôture de Proxisanté permettra d'organiser davantage la première ligne en connexion avec les hôpitaux." "Les batailles de la vie ne sont pas gagnées par les plus forts ni les plus rapides, mais par ceux qui n'abandonnent jamais. Arsène Burny, dévoué à la lutte contre le cancer et qui a tant apporté à la santé, incarne cela", ajoute la ministre wallonne, talonnée par sa consoeur communautaire: "l'occasion est trop belle de pouvoir égratigner sa légendaire modestie. Il n'y a pas meilleur modèle pour nos étudiants, chercheurs et cliniciens." Et Arsène Burny, ce héros malgré lui, de conclure dans une capsule vidéo enregistrée à domicile: "Un Institut, dit le dictionnaire, est un établissement où l'on cherche. Tous ceux qui viendront chercher le soutien, la guérison, trouveront des personnes qui cherchent le bien, le mieux, la guérison. Mon nom? J'en suis très fier, mais j'insiste sur le fait que ce nom est générique: il représente l'entièreté des personnes qui travaillent dans le Télévie depuis 35 ans. Ces lieux ont une âme, et avoir une âme est l'essentiel d'un institut de cancérologie."