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L'image qui s'impose généralement à nous lorsqu'il est question de la méditation est celle d'un moine bouddhiste assis en lotus, immergé dans son monde intérieur. Cette vision est réductrice. Méditer ne requiert pas d'adopter une posture particulière, de se couper du monde extérieur, de ne plus " penser à rien " ou de plonger dans un océan de spiritualité. Antoine Lutz, chercheur de l'Inserm au Centre de recherche en neurosciences de Lyon, rapporte même que certains manuels relevant de la tradition bouddhique évoquent (sans doute de manière métaphorique, précise-t-il) l'existence de 84.000 formes de méditation.Le Pr Steven Laureys, directeur de recherches FNRS et responsable du Centre du Cerveau au CHU de Liège, compare la méditation au sport. Dans les deux cas, de nombreuses disciplines sont pratiquées et, de même qu'il y a des athlètes de haut niveau et des sportifs occasionnels, il y a des méditants experts, qui se sont adonnés durant des milliers d'heures à la méditation, et des méditants non aguerris.Mais de quoi parlons-nous en fait ? Selon le moine tibétain Matthieu Ricard, docteur en génétique cellulaire et traducteur du dalaï-lama, la méditation a pour but d'adoucir l'esprit et de le rendre gérable afin de pouvoir choisir de se concentrer ou simplement de se détendre, mais surtout de se libérer de la tyrannie des tourments et de la confusion mentale. Autrement dit, ses objectifs sont en phase avec ceux de la psychologie clinique, de la neuropsychiatrie et de la médecine préventive.Comme le soulignait Antoine Lutz en 2012, dans le magazine Cerveau et Psycho, les textes bouddhistes stipulent que toute méthode efficace pour y parvenir " doit introduire des changements dans les états émotionnels et cognitifs, notamment dans les habitudes centrées sur soi ". Pour ce faire, " ces changements prennent comme point de départ l'observation détaillée des états émotionnels et une compréhension des phénomènes mentaux ".Voilà qui nous met inévitablement sur la piste du cerveau. Fonctionne-t-il différemment chez les méditants ? Sa structure elle-même est-elle modifiée par la méditation ? Celle-ci a-t-elle un impact objectivable sur la santé mentale, voire physique ?Avant 1980, peu d'études scientifiques ont été consacrées à la méditation. Dans les années 1970, le psychologue américain Daniel Goleman avait entrepris une expérience réunissant une trentaine de méditants experts et une trentaine de méditants " amateurs ". Ces travaux, au cours desquels étaient mesurés des marqueurs de stress tels que le rythme cardiaque et la transpiration, semblaient montrer que lors de la projection d'un film d'horreur, les experts recouvraient un niveau de stress conforme à la normale beaucoup plus rapidement que les non-experts. Toutefois, cette conclusion était hâtive, car l'expérience attribuait à la méditation des vertus qui relevaient peut-être d'autres facteurs. En effet, les experts en méditation ne se contentent pas de méditer ; généralement, leur mode de vie diffère de celui des débutants, entre autres sur le plan des habitudes alimentaires et de repos.En 1983, Tenzin Gyatso, le quatorzième dalaï-lama, rencontre le neuroscientifique et philosophe chilien Francisco Varela, qui décédera en 2001. Leurs échanges sont fructueux, et ils décident la tenue de symposiums où des méditants côtoieront des chercheurs de renom. En 1987, Francisco Varela et l'avocat américain R. Adam Engle franchissent une étape supplémentaire en fondant l'Institut Mind and Life (Esprit et Vie) dont la finalité est la " science contemplative ", en particulier l'exploration des relations entre la science moderne et le bouddhisme.Ces deux initiatives furent les moteurs d'un intérêt scientifique croissant pour les mécanismes cérébraux sous-tendant les pratiques méditatives ainsi que pour l'étude de leurs éventuels bienfaits pour la santé de l'esprit et du corps.Encore fallait se frayer un chemin dans le dédale des multiples formes de méditation afin d'asseoir des protocoles expérimentaux rigoureux. Aussi les neurosciences se sont-elles attachées à l'étude de trois types de méditation : les méditations par attention focalisée, de pleine conscience et de compassion (ou d'amour-bienveillance).Dans la première, le méditant se concentre sur une " cible ", généralement sa propre respiration. Dans la seconde, il observe ses perceptions, ses sensations corporelles internes et ses pensées, mais en les gardant sous contrôle. " Il s'agit de porter son attention sur le moment présent, instant après instant, de façon intentionnelle et sans émettre de jugement de valeur ", précise le Pr Jon Kabat-Zinn, de l'Université du Massachusetts. Enfin, la méditation de compassion consiste à cultiver un sentiment de bienveillance envers autrui.Depuis une vingtaine d'années, le concept de " pleine conscience " ( mindfulness en anglais) a connu un essor considérable à travers deux types de thérapies qui ont gagné droit de cité dans de nombreux centres médicaux en Europe et aux États-Unis : la MBSR (réduction du stress basée sur la pleine conscience) et la MBCT (thérapie cognitive basée sur la pleine conscience pour la dépression). Fondées sur des programmes normalisés, validés et reproductibles, ces deux approches peuvent servir de support à une recherche scientifique de qualité.Dans La méditation, c'est bon pour le cerveau1, livre dont la parution aux éditions Odile Jacob est fixée au 10 septembre et dont il existe une version néerlandophone 2, Steven Laureys indique que " plus de 1.300 études cliniques sur la méditation et la pleine conscience ont été enregistrées à travers le monde au cours des vingt dernières années ".Beaucoup et peu à la fois ! En vérité, ce nombre demeure assez dérisoire quand on sait par exemple qu'en moyenne, 4.500 publications scientifiques sont consacrées chaque année aux antidépresseurs. " Or ", dit Steven Laureys, " des études ont montré que la méditation pouvait receler un effet thérapeutique aussi important que des anxiolytiques, des antidépresseurs ou des antidouleurs. " Évidemment, on manque encore de données sur de vastes populations pour en être définitivement sûr. Par ailleurs, comme le signalait Antoine Lutz dans une interview accordée au magazine Le Point en juin 2017, il faut pouvoir faire la part des choses, établir ce qui revient à la méditation en tant que telle et ce qui doit être attribué à d'autres facteurs.Quoi qu'il en soit, différentes études d'imagerie cérébrale ont mis en évidence que la pratique méditative modifiait le cerveau tant dans sa structure que dans son fonctionnement. Ainsi, des recherches concluent à une augmentation du volume de la matière grise dans certaines régions cérébrales après à peine 8 semaines de pratique méditative journalière. De même, lors de travaux 3 réalisés à l'Unité de recherches GIGA Consciousness de l'Université de Liège, Steven Laureys et ses collaborateurs ont constaté, entre autres, que le moine tibétain Matthieu Ricard (69 ans à l'époque) possédait un cerveau bien connecté et qu'il arrivait à le contrôler de manière exceptionnelle par comparaison avec des personnes non méditantes du même âge.Il ne s'agit là que de deux exemples parmi bien d'autres. Dans notre prochain numéro, nous aborderons la question finalement la plus cruciale : la méditation protège-t-elle le corps et l'esprit ?