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Dr Denis Safran (sur BFMTV) : J'ai fait partie de la première colonne de la BRI qui est entrée au Bataclan. Nous ne savions pas s'il y avait des bombes, des terroristes. Nous sommes arrivés, nous avons pu voir cette fosse au milieu. Il y avait des centaines de personnes mélangées malheureusement à des personnes décédées, des personnes indemnes, des personnes plus ou moins blessées. Tout le monde était allongé là, avec les blessés demandant évidemment des secours. Tout le monde était très affolé. Il ne faut pas oublier qu'ils venaient d'essuyer un certain nombre de tirs. La présence des terroristes empêchaient l'intervention médicale ? L'objectif est identique à la médecine militaire : nous n'intervenons que quand la zone est sécurisée. L'objectif est que le médecin ne soit pas tué en premier, sinon il ne servirait plus à rien. Donc nous entrons, l'objectif est de suivre la colonne, car nous sommes avant tout des médecins de police, et là, nous étions dans une situation très particulière parce que quand la colonne BRI est entrée et qu'on a pu constater qu'il n'y avait plus sur place, dans ce petit périmètre, de terroristes, on a considéré que c'était sécurisé et l'objectif était de faire sortir toutes les personnes valides qui pouvaient sortir à pieds ; donc ils se sont échappés, pardonnez-moi l'expression, comme une volée de moineaux et on les a dirigés et ensuite ont commencé à arriver les blessés. Et à ce moment-là, vous êtes dans un dilemme. Certes vous êtes médecin de police, mais vous avez des blessés sous les yeux, donc l'objectif est de s'en occuper. Médicalement, malheureusement on n'est pas en mesure, parce qu'on est seul et il y a un tel afflux de blessés que nous nous retrouvons exactement comme en situation de guerre, de combat, c'est-à-dire qu'on va faire du tri. Il y a donc une masse de blessés avec un médecin. L'objectif pour ce médecin, qui va donc quitter sa colonne, est d'effectuer l'évacuation et le tri des premiers blessés, parce qu'on sait qu'en zone sécurisée, à distance, il y a des secours en grand nombre. Les pompiers, les SAMU, les associatifs, Croix-Rouge et autre n'entrent jamais dans le périmètre qui n'est pas sécurisé et ils restent à distance. Donc nous n'avons pas d'autre personnel de santé à proximité et il faut que l'on se débrouille. Et se débrouiller c'est quoi ? C'est faire du tri, et assurer le transfert, via la police, vers les zones de secours sécurisées. Il s'agissait de blessés de guerre ? Bien sûr, ce sont tous des blessés balistiques. Rien à voir avec une défenestration ou un accident de voiture. Par conséquent nous avons des blessures balistiques typiques qui sont plus ou moins mortelles d'emblée et qui vont entrainer des lésions plus ou moins graves. Donc on sait très bien qu'il va y avoir des lésions qui sont d'une telle intensité que quelle que soit la qualité des secours, les gens ne vont probablement pas arriver vivants à l'hôpital. Vous êtes resté combien de temps seul ? Combien de temps a-t-il fallu pour sécuriser le périmètre ? Si vous voulez, quand le périmètre a été sécurisé, tous les blessés ont été évacués parce que les policiers locaux, en bleu, ce qu'on appelle les bleus, c'est-à-dire les policiers qui ne sont pas spécialisés étaient là et on organisait une noria d'évacuations. Alors, il y avait non seulement des blessés mais également des otages. Il y en avait partout dans ce grand bâtiment, assez ancien, avec des coins et des recoins. Il a fallu faire tout le tour, et on nous appelait sans arrêt, car je n'étais pas le seul médecin de police sur place, il y avait deux médecins de la BRI et deux médecins du RAID qui étaient là. Chacun dans notre coin, on allait chercher des blessés quand on nous les signalait et on assurait la sortie en sécurité des otages parce que vous imaginez bien que les otages n'étaient pas dans un état normal. Ils étaient extrêmement choqués, affolés. Souvent, ils traversaient des zones où il avait des cadavres. Vous imaginez le choc psychologique, le choc traumatique pour ces gens-là qui certes n'étaient pas blessés, mais qui psychologiquement étaient gravement blessés. Tous les témoins nous disent qu'ils n'ont jamais assisté à une scène de cette ampleur Cet attentat est extrêmement différent, car il y avait des terroristes sur place. Et il y avait énormément de blessés dans un petit périmètre, et de plus, dans un temps très court. Un seul des médecins militaires a vu ça peut-être. Vous vous êtes senti dépassé ? (il hésite) Ce serait osé de dire que je ne me suis pas senti dépassé. Non, on ne sent pas dépassé : on fait la mission. On voit bien l'ampleur, on voit bien les limites de nos actions. On en est parfaitement conscient. Donc on essaie de faire au mieux dans les circonstances présentes. Avec, pour nous médecins de police, une obsession de savoir ce qu'il se passe dans ma colonne très exposée. Car en même temps, je suis connecté à la radio, et je sais que ma colonne est au premier étage, qu'elle est très exposée parce que les policiers de la BRI, de la colonne d'assaut, sont allés au feu en sachant pertinemment qu'un certain nombre d'entre eux risquaient d'être tués. Ils y sont allés, et moi, le médecin de mon unité, mes camarades là-haut vont peut-être être très blessés, et je ne suis pas là. Je ne peux pas y aller. J'en ai trop là. Voilà, on ne peut pas se dédoubler.