Dans un contexte connu de pénurie de médecins généralistes, notre exigeante profession peine parfois à être attractive : les horaires sont laborieux, les patients de plus en plus exigeants (avec ce sentiment que les soins médicaux devraient se délivrer au rythme de leurs envies, telle une commande passée sur Amazon), les crises sanitaires éprouvantes, les démarches administratives inutilement fastidieuses,... et les conditions de garde en voie de dégradation.

Ah oui, pendant la pandémie du covid, nous avons eu droit à nos applaudissements quotidiens... Mais en parallèle de la limitation des contacts physiques, se sont multipliés les appels téléphoniques, que ce soit pour des avis ou des téléconsultations, notamment pendant la garde de nuit ! Pleins de bonne volonté, nous avons joué le jeu et nous sommes rendus disponibles téléphoniquement pour recevoir les inquiétudes de la population (fièvre, toux, mal de gorge... Covid or not covid ?) à des heures parfois impromptues...

Réveillés, quoi qu'il en soit

Poursuivant sur cette lancée, nous sommes aujourd'hui mis devant le fait que le tri " nuit noire ", qui avait pourtant le mérite de permettre aux soignants de s'accorder un peu de répit pendant la garde nocturne, disparaît - soignants qui ont déjà leur journée de travail derrière eux et qui seront cependant sur le pont le lendemain pour assumer la continuité des soins de leur patientèle. Lot de consolation : la balle est dans notre camp, après avoir rappelé le patient, de choisir de se déplacer ou non... Mais nous serons réveillés quoiqu'il en soit, n'est-ce pas ?

Ou parce que le patient, s'offusquant que son médecin traitant n'ait plus la possibilité de le recevoir le jour-même, en l'ayant pourtant sollicité en fin d'après-midi (!), a eu la bonne inspiration de faire appel au médecin de garde qui, de surcroît, passera en visite à domicile chez lui et lui évitera de se déplacer jusqu'au cabinet ? Combien de patients, une fois la prescription réalisée par le médecin qu'on a fait venir à 22 h pour la fièvre du gamin, s'exclament fièrement qu'ils n'iront chercher le traitement le lendemain matin ?

Nous coûtons trop cher, nous prescrivons trop d'antibiotiques, trop de scanners, trop d'éléments inutiles dans nos prises de sang. Par contre, personne ne bronche quand les patients font appel à un professionnel de la santé en pleine nuit pour une plainte qui pourrait être traitée en journée, et dont la visite coûtera bien plus cher à la société que si elle avait été recadrée/encadrée pour être prise en charge à un moment adéquat. Faut-il compter sur la consommation raisonnable des patients, alors que certains ne paient que le ticket modérateur, dérisoire par rapport au montant total de la visite liée à un déplacement en nuit noire ?

Enfin, les médecins de notre région effectuent les déplacements eux-mêmes, sans chauffeur et par leurs propres moyens, ce qui est éprouvant ; sans le tri " nuit noire " s'ajoutera à cela la fatigue générée par les appels nocturnes, qu'ils soient suivis ou non d'une visite à domicile, parfois avec l'impossibilité de se rendormir. Cette fatigue sera quoiqu'il en soit contre-productive en termes de qualité des soins fournis (que ce soit en nuit noire ou le lendemain auprès de la patientèle habituelle).

L'illusion d'être écoutés ?

Le tri " nuit noire " a le mérite de rendre la nuit (ou les 24h !) de garde plus supportable en termes de pénibilité, avec la possibilité de récupérer partiellement de la fatigue en nuit profonde. Fin février, on nous a demandé d'écrire notre ressenti à nos cercles, pour espérer le retrouver. Cette chance existait-elle vraiment, en étant avertis cinq jours avant la suppression effective du tri ? Pourquoi ne pas avoir été prévenus plus tôt qu'un tel changement se préparait ?

Quel a été le but de la visioconférence du 28 février ? Nous donner l'illusion d'être écoutés ? On s'est contenté de nous exposer la situation telle qu'elle a été décidée, sans concertation, sans notre approbation, mais surtout sans réelle proposition pour manifester notre opposition à ce changement de fonctionnement.

À titre personnel, je suis dégoûtée, et je ne me sens pas défendue ni respectée dans ma profession. Ces gardes, je vais les effectuer (ou plutôt devrais-je dire les subir ?) encore pendant des dizaines d'années, avec le sentiment d'être un pion dont on dispose au bon vouloir des politiques, afin d'agréer le plus grand nombre de la population au détriment de mes conditions de travail.

J'attends de nos responsables de faire le nécessaire pour transmettre le ressenti des acteurs de terrain, de se battre pour faire respecter nos conditions de garde et de récupérer le tri " nuit noire " comme on nous l'a fait espérer. Nous sommes en droit de savoir quelle suite sera réservée à notre demande et d'être tenus au courant de l'évolution de la situation.

Dr Inès De Sousa

MG

Dans un contexte connu de pénurie de médecins généralistes, notre exigeante profession peine parfois à être attractive : les horaires sont laborieux, les patients de plus en plus exigeants (avec ce sentiment que les soins médicaux devraient se délivrer au rythme de leurs envies, telle une commande passée sur Amazon), les crises sanitaires éprouvantes, les démarches administratives inutilement fastidieuses,... et les conditions de garde en voie de dégradation.Ah oui, pendant la pandémie du covid, nous avons eu droit à nos applaudissements quotidiens... Mais en parallèle de la limitation des contacts physiques, se sont multipliés les appels téléphoniques, que ce soit pour des avis ou des téléconsultations, notamment pendant la garde de nuit ! Pleins de bonne volonté, nous avons joué le jeu et nous sommes rendus disponibles téléphoniquement pour recevoir les inquiétudes de la population (fièvre, toux, mal de gorge... Covid or not covid ?) à des heures parfois impromptues...Poursuivant sur cette lancée, nous sommes aujourd'hui mis devant le fait que le tri " nuit noire ", qui avait pourtant le mérite de permettre aux soignants de s'accorder un peu de répit pendant la garde nocturne, disparaît - soignants qui ont déjà leur journée de travail derrière eux et qui seront cependant sur le pont le lendemain pour assumer la continuité des soins de leur patientèle. Lot de consolation : la balle est dans notre camp, après avoir rappelé le patient, de choisir de se déplacer ou non... Mais nous serons réveillés quoiqu'il en soit, n'est-ce pas ?Ou parce que le patient, s'offusquant que son médecin traitant n'ait plus la possibilité de le recevoir le jour-même, en l'ayant pourtant sollicité en fin d'après-midi (!), a eu la bonne inspiration de faire appel au médecin de garde qui, de surcroît, passera en visite à domicile chez lui et lui évitera de se déplacer jusqu'au cabinet ? Combien de patients, une fois la prescription réalisée par le médecin qu'on a fait venir à 22 h pour la fièvre du gamin, s'exclament fièrement qu'ils n'iront chercher le traitement le lendemain matin ?Nous coûtons trop cher, nous prescrivons trop d'antibiotiques, trop de scanners, trop d'éléments inutiles dans nos prises de sang. Par contre, personne ne bronche quand les patients font appel à un professionnel de la santé en pleine nuit pour une plainte qui pourrait être traitée en journée, et dont la visite coûtera bien plus cher à la société que si elle avait été recadrée/encadrée pour être prise en charge à un moment adéquat. Faut-il compter sur la consommation raisonnable des patients, alors que certains ne paient que le ticket modérateur, dérisoire par rapport au montant total de la visite liée à un déplacement en nuit noire ?Enfin, les médecins de notre région effectuent les déplacements eux-mêmes, sans chauffeur et par leurs propres moyens, ce qui est éprouvant ; sans le tri " nuit noire " s'ajoutera à cela la fatigue générée par les appels nocturnes, qu'ils soient suivis ou non d'une visite à domicile, parfois avec l'impossibilité de se rendormir. Cette fatigue sera quoiqu'il en soit contre-productive en termes de qualité des soins fournis (que ce soit en nuit noire ou le lendemain auprès de la patientèle habituelle).Le tri " nuit noire " a le mérite de rendre la nuit (ou les 24h !) de garde plus supportable en termes de pénibilité, avec la possibilité de récupérer partiellement de la fatigue en nuit profonde. Fin février, on nous a demandé d'écrire notre ressenti à nos cercles, pour espérer le retrouver. Cette chance existait-elle vraiment, en étant avertis cinq jours avant la suppression effective du tri ? Pourquoi ne pas avoir été prévenus plus tôt qu'un tel changement se préparait ?Quel a été le but de la visioconférence du 28 février ? Nous donner l'illusion d'être écoutés ? On s'est contenté de nous exposer la situation telle qu'elle a été décidée, sans concertation, sans notre approbation, mais surtout sans réelle proposition pour manifester notre opposition à ce changement de fonctionnement.À titre personnel, je suis dégoûtée, et je ne me sens pas défendue ni respectée dans ma profession. Ces gardes, je vais les effectuer (ou plutôt devrais-je dire les subir ?) encore pendant des dizaines d'années, avec le sentiment d'être un pion dont on dispose au bon vouloir des politiques, afin d'agréer le plus grand nombre de la population au détriment de mes conditions de travail.J'attends de nos responsables de faire le nécessaire pour transmettre le ressenti des acteurs de terrain, de se battre pour faire respecter nos conditions de garde et de récupérer le tri " nuit noire " comme on nous l'a fait espérer. Nous sommes en droit de savoir quelle suite sera réservée à notre demande et d'être tenus au courant de l'évolution de la situation.Dr Inès De SousaMG