Les derniers chiffres du Centre d'épidémiologie périnatale (Cepip) font état de 178 bébés morts-nés pour 33.602 naissances vivantes en Wallonie en 2020, soit un taux de cinq pour mille naissances. À Bruxelles, le taux est légèrement supérieur en raison de la concentration d'hôpitaux universitaires: 211 morts-nés pour 22.346 naissances vivantes (neuf pour mille).

Ce taux de mortinatalité est stable: il était déjà de cinq pour mille en Wallonie il y a près de 20 ans. Si les grossesses tardives et les progrès des diagnostics anténatals augmentent le risque de mort foetale in utero et d'interruption médicale de grossesse (IMG), on sauve par ailleurs davantage de bébés. La prise en charge de la mort à la naissance a, elle, par contre, radicalement changé ces dernières années.

Accueillir ce petit fantôme plutôt que de l'ignorer

"La logique, jadis, voulait que moins on s'approchait du bébé disparu, mieux on se portait", se souvient Bruno Fohn, psychologue au sein du service de gynécologie-obstétrique de l'hôpital de la Citadelle et pilier du Groupe d'aide au deuil périnatal créé il y a 27 ans. "Mais il s'avérait que le vécu des parents était compliqué: ils avaient l'impression d'avoir abandonné leur bébé, de ne pas avoir été à la hauteur. L'évolution a fait que l'on respecte aujourd'hui la place du parent et l'existence de l'enfant. On sait désormais qu'il est plus difficile de vivre avec un fantôme et que l'on se détache mieux de ce à quoi l'on a été attaché. On propose donc de voir ce bébé, de le rencontrer, l'habiller, lui préparer un faire-part... On va lui dire bonjour pour lui dire adieu."

C'est généralement lors d'un dépistage que survient la découverte d'une malformation ou d'une mort foetale in utero. L'absence d'activité cardiaque - "Docteur, mon bébé ne bouge plus" - est plus rare. La fin du deuxième trimestre de grossesse et le début du troisième sont les moments les plus à risque. Parmi les facteurs de risque, les anomalies foetales, le diabète gestationnel et le décollement placentaire. L'IMG peut, par ailleurs, mener à certaines morbidités maternelles.

Peser ses mots sans toutefois esquiver

Quel est le délai optimal entre l'annonce d'une IMG et l'accouchement? Permettre l'anticipation, même de quelques secondes, est essentiel. "Le mécanisme de protection et d'adaptation psychologique est important", souligne le Pr Frédéric Chantraine, gynécologue obstétricien spécialiste en médecine foetale et maternelle au CHU de Liège. "La patiente attend une réponse rapide, mais le clinicien doit procéder par étapes, préparer ses mots pour l'annonce." Comment, de facto, nommer le tsunami qui va s'ensuivre? "On peut dire, par exemple: 'Ce que j'ai à vous dire va être difficile à entendre et va changer beaucoup de choses pour vous'. Ou encore: 'il n'y a pas de mots faciles pour dire cela, je suis désolé de devoir vous annoncer que votre enfant est décédé'", partage l'obstétricien.

Cette annonce est en rupture totale avec le projet merveilleux qui était en cours. Un vrai chaos émotionnel. Sentiment de culpabilité, d'impuissance et d'échec dans la mission de protection, difficulté, en cas d'IMG, à assumer le choix et ce soudain pouvoir de vie ou de mort (IMG ou poursuite)...

"La réaction débute souvent par un refus, un blocage émotionnel et une désorganisation, voire un isolement", détaille Sophie Degrange, psychologue. Il peut aussi y avoir une ambivalence entre la petite voix qui glisse: "On va le laisser à l'intérieur", "Le médecin s'est planté", "Il y aura peut-être un miracle" et l'autre qui hurle: "Stop, arrêtez ça tout de suite", avec un risque de fuite en avant et de pression sur le corps médical pour "en terminer au plus vite", en croyant ainsi ne pas s'attacher et moins souffrir.

De l'importance de prendre son temps

Si l'on ne peut trop attendre, d'un point de vue médical, en cas de mort foetale in utero, les experts préconisent de laisser passer une nuit, si possible, comme temps de maturation.

Pour les IMG, la Loi belge (en cours de révision, ndlr) prévoit un délai de six jours. Mise au point diagnostique et pronostique avec les collègues spécialistes, entretiens préparatoires des parents avec l'équipe multidisciplinaire (gynécologue, sage-femme, psychologue, assistante sociale) pour l'hospitalisation, l'accouchement, les rituels funéraires et les démarches administratives... "À nous, professionnels, de bien utiliser ce laps de temps pour accompagner et prendre soin", souligne le Pr Chantraine. L'hospitalisation peut éventuellement être postposée. "Mais il ne s'agit pas, non plus, de laisser du temps pour laisser du temps", tempère Frédéric Chantraine, "il s'agit d'accorder une temporalité accompagnée".

C'est aussi l'occasion de "parcourir l'histoire de ce bébé, de retricoter son histoire et d'ouvrir son futur dans l'histoire de vie du couple", précise Sophie Degrange. Se préparer à accoucher d'un bébé mort nécessite d'aller jusqu'au bout du projet et des rêves associés à cette grossesse. La souffrance parentale peut être aussi grande à huit semaines de grossesse qu'à 35. Chaque vécu est unique. Même s'il ne fait que quelques grammes, ce bébé pèse lourd dans le coeur de ses parents. Certains, bien que plus rares, choisissent de poursuivre l'aventure et de laisser faire la nature, même si ce bébé ne doit vivre que quelques instants à la naissance.

Cécile Vrayenne

Des soins palliatifs dès la naissance, parfois dès la grossesse

Si le concept de soins palliatifs était déjà décrit aux Etats-Unis au début des années '80, chez nous, la Loi - dont un protocole dédié aux soins palliatifs néonataux -, n'a "que" 20 ans (2002). "Nombre de recommandations ont suivi depuis", précise le Dr Caroline Jacquemart, médecin responsable de l'équipe de soins continus et palliatifs pédiatriques au CHR Citadelle.

Ces soins, qui ne sont ni en opposition ni en contradiction avec les soins curatifs avec lesquelles ils coexistent, doivent avoir une approche précoce, dès le diagnostic. En 2021, près de 600 enfants de moins de 18 ans sont décédés, dont 343 nourrissons de moins d'un an. 35 à 40% des décès pédiatriques surviennent en période néonatale. "La philosophie est de favoriser le temps de vie, d'échanges et d'intimité", reprend la Dr Jacquemart la difficulté étant la durée de ces soins qui peut aller de quelques minutes à plusieurs mois.

Quels nouveau-nés sont-ils éligibles à une démarche de soins palliatifs? Ceux qui souffrent d'une pathologie congénitale (agénésie rénale bilatérale, encéphalocèles de grande taille, jumeaux coinjoints), périnatale (encéphalopathie asphyxique sévère, prématurité extrême) ou postnatale (NEC sévère, hémorragie cérébrale parenchymateuse bilatérale).

La limite de viabilité, selon l'OMS, est une naissance à moins de 22 semaines d'aménorrhée (SA) et/ou un poids de moins de 500 gr. Des soins de confort accompagnent les naissances vivantes à cet âge gestationnel (qui n'a pas d'existence légale). À moins de 24SA, des soins palliatifs peuvent être proposés en salle de naissance. Une zone grise d'incertitude pronostique majeure se situe entre 25SA et six jours. On peut établir un palier de prise en charge avec une limite à ne pas franchir lors de la réanimation.

"Le lien avec les parents est important: leur expliquer et répondre à leurs questions, notamment concernant les changements physiologiques, encourager la rencontre avec leur bébé notamment via un peau-à-peau... Ce sont des moments de qualité, lors desquels il nous faut parler vrai et considérer ce bébé comme un individu à part entière", soulignent le Dr Nadège Hennuy, Vinciane Petry et Delphine Rigo du service de Néonatologie du CHR Citadelle. Il faut être attentif au confort et à l'antalgie, une échelle de douleur existe mais l'enfant n'est pas monitoré. Des morphiniques peuvent être administrés via une sonde nasogastrique (moins invasive).

En cas de non-IMG et de poursuite de la grossesse, des soins palliatifs peuvent aussi être proposés et élaborés au préalable. La demande est rare, le projet s'articule alors autour de la motivation des parents à vivre un accouchement normal, à rencontrer leur enfant et à l'accompagner vers sa mort spontanée. Un décès in utero spontané demeure toutefois possible.

Renouer le contrat de confiance lors de la grossesse suivante

Quelles sont les questions auxquelles le gynécologue et le médecin généraliste risquent d'être confrontés lors de la grossesse suivante ?

"Cette consultation se prépare, prévoyez de la disponibilité et un dossier solide. Prenez par exemple contact avec les généticiens pour avoir leurs résultats car ce sera l'une des premières questions des parents", conseille d'emblée le Pr Romain Favre, obstétricien spécialiste en diagnostic prénatal et médecine foetale, ancien chef de service aux Hôpitaux universitaires de Strasbourg et intervenant du colloque. "L'autopsie est d'autant plus importante que l'aspect macroscopique du bébé était normal - en cas de cardiopathie, par exemple. Il vous faudra éteindre cette petite voix parentale qui répète "Mon bébé était pourtant beau à la naissance...", qui nourrit le fantasme que le médecin s'est peut-être trompé."

Affronter le passé

Revenir sur la grossesse antérieure n'est pas une option. "Laissez les parents expliquer leur parcours et intéressez-vous à la relation avec l'équipe qui les a pris en charge pour ne pas y référer à nouveau si ça s'était mal passé. Évaluez leur degré d'anxiété et planifiez déjà le suivi de la nouvelle grossesse en proposant des échographies référées, une IRM, des prélèvements, voire un éventuel suivi psychologique", poursuit le Pr Favre.

Les attentes du couple après un échec sont énormes, il est essentiel de poser le cadre tôt. "Dites que vous ne cacherez rien. Soyez naturel, regardez-les dans les yeux et si vous ne vous sentez pas à l'aise, parce que c'est beaucoup d'émotion, n'hésitez pas à passer la main. Ce couple mérite d'avoir un adulte qui assure devant lui. N'hésitez pas non plus à aborder la question de la culpabilité: elle peut être massive, surtout en cas d'IMG tardive avec foeticide."

Pas de précipitation

Le Pr Favre attire également l'attention sur les risques (faux positif) de vouloir "aller trop tôt" dans la pose du diagnostic en cas de pathologies récurrentes (polykystose rénale autosomique récessive, par exemple), ou encore de se focaliser sur un seul type de récidive (et de citer son expérience avec une première grossesse interrompue pour anasarque, puis une seconde pour achondroplasie). "Enfin, il faut aussi accepter la possibilité de demande des parents de poursuivre la grossesse malgré une pathologie lourde", précise l'obstétricien.

Et de conclure: "Si le couple revient, c'est le signe que vous avez assuré et il faut renouer ce contrat de confiance." "Mais ne vous sentez pas coupable non plus s'il ne revient pas", tempère le Pr Vincent Rigo, chef du service de Néonatologie du CHR Citadelle de Liège. "Certains parents préfèrent tourner la page complètement, même s'il n'y a aucune faute du praticien".

Les derniers chiffres du Centre d'épidémiologie périnatale (Cepip) font état de 178 bébés morts-nés pour 33.602 naissances vivantes en Wallonie en 2020, soit un taux de cinq pour mille naissances. À Bruxelles, le taux est légèrement supérieur en raison de la concentration d'hôpitaux universitaires: 211 morts-nés pour 22.346 naissances vivantes (neuf pour mille).Ce taux de mortinatalité est stable: il était déjà de cinq pour mille en Wallonie il y a près de 20 ans. Si les grossesses tardives et les progrès des diagnostics anténatals augmentent le risque de mort foetale in utero et d'interruption médicale de grossesse (IMG), on sauve par ailleurs davantage de bébés. La prise en charge de la mort à la naissance a, elle, par contre, radicalement changé ces dernières années. "La logique, jadis, voulait que moins on s'approchait du bébé disparu, mieux on se portait", se souvient Bruno Fohn, psychologue au sein du service de gynécologie-obstétrique de l'hôpital de la Citadelle et pilier du Groupe d'aide au deuil périnatal créé il y a 27 ans. "Mais il s'avérait que le vécu des parents était compliqué: ils avaient l'impression d'avoir abandonné leur bébé, de ne pas avoir été à la hauteur. L'évolution a fait que l'on respecte aujourd'hui la place du parent et l'existence de l'enfant. On sait désormais qu'il est plus difficile de vivre avec un fantôme et que l'on se détache mieux de ce à quoi l'on a été attaché. On propose donc de voir ce bébé, de le rencontrer, l'habiller, lui préparer un faire-part... On va lui dire bonjour pour lui dire adieu." C'est généralement lors d'un dépistage que survient la découverte d'une malformation ou d'une mort foetale in utero. L'absence d'activité cardiaque - "Docteur, mon bébé ne bouge plus" - est plus rare. La fin du deuxième trimestre de grossesse et le début du troisième sont les moments les plus à risque. Parmi les facteurs de risque, les anomalies foetales, le diabète gestationnel et le décollement placentaire. L'IMG peut, par ailleurs, mener à certaines morbidités maternelles.Quel est le délai optimal entre l'annonce d'une IMG et l'accouchement? Permettre l'anticipation, même de quelques secondes, est essentiel. "Le mécanisme de protection et d'adaptation psychologique est important", souligne le Pr Frédéric Chantraine, gynécologue obstétricien spécialiste en médecine foetale et maternelle au CHU de Liège. "La patiente attend une réponse rapide, mais le clinicien doit procéder par étapes, préparer ses mots pour l'annonce." Comment, de facto, nommer le tsunami qui va s'ensuivre? "On peut dire, par exemple: 'Ce que j'ai à vous dire va être difficile à entendre et va changer beaucoup de choses pour vous'. Ou encore: 'il n'y a pas de mots faciles pour dire cela, je suis désolé de devoir vous annoncer que votre enfant est décédé'", partage l'obstétricien. Cette annonce est en rupture totale avec le projet merveilleux qui était en cours. Un vrai chaos émotionnel. Sentiment de culpabilité, d'impuissance et d'échec dans la mission de protection, difficulté, en cas d'IMG, à assumer le choix et ce soudain pouvoir de vie ou de mort (IMG ou poursuite)..."La réaction débute souvent par un refus, un blocage émotionnel et une désorganisation, voire un isolement", détaille Sophie Degrange, psychologue. Il peut aussi y avoir une ambivalence entre la petite voix qui glisse: "On va le laisser à l'intérieur", "Le médecin s'est planté", "Il y aura peut-être un miracle" et l'autre qui hurle: "Stop, arrêtez ça tout de suite", avec un risque de fuite en avant et de pression sur le corps médical pour "en terminer au plus vite", en croyant ainsi ne pas s'attacher et moins souffrir.Si l'on ne peut trop attendre, d'un point de vue médical, en cas de mort foetale in utero, les experts préconisent de laisser passer une nuit, si possible, comme temps de maturation.Pour les IMG, la Loi belge (en cours de révision, ndlr) prévoit un délai de six jours. Mise au point diagnostique et pronostique avec les collègues spécialistes, entretiens préparatoires des parents avec l'équipe multidisciplinaire (gynécologue, sage-femme, psychologue, assistante sociale) pour l'hospitalisation, l'accouchement, les rituels funéraires et les démarches administratives... "À nous, professionnels, de bien utiliser ce laps de temps pour accompagner et prendre soin", souligne le Pr Chantraine. L'hospitalisation peut éventuellement être postposée. "Mais il ne s'agit pas, non plus, de laisser du temps pour laisser du temps", tempère Frédéric Chantraine, "il s'agit d'accorder une temporalité accompagnée".C'est aussi l'occasion de "parcourir l'histoire de ce bébé, de retricoter son histoire et d'ouvrir son futur dans l'histoire de vie du couple", précise Sophie Degrange. Se préparer à accoucher d'un bébé mort nécessite d'aller jusqu'au bout du projet et des rêves associés à cette grossesse. La souffrance parentale peut être aussi grande à huit semaines de grossesse qu'à 35. Chaque vécu est unique. Même s'il ne fait que quelques grammes, ce bébé pèse lourd dans le coeur de ses parents. Certains, bien que plus rares, choisissent de poursuivre l'aventure et de laisser faire la nature, même si ce bébé ne doit vivre que quelques instants à la naissance.Cécile Vrayenne