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En plus de deux siècles d'existence, c'est la première rétrospective que le Rijksmuseum consacre à Vermeer, la seule qui se soit déroulée auparavant ayant eu lieu à la Mauritshuis de La Haye, puis à Washington en 1995 et 1996.Jean-Michel Wilmotte parvient à rendre toute la ferveur et l'intimité des toiles, souvent petites, du maître, dans des salles de grandes dimensions peintes dans des tons sourds, afin de mettre en lumière les oeuvres, et dont les rideaux tirés évoquent les drapés somptueux des toiles de Vermeer.Une expo thématique servie par des textes introductifs dans chaque espace, qui privilégient la précision et la concision, ce qui n'est en rien gênant. En cheminant parmi les différentes thématiques, l'oeil est frappé par la maîtrise de la lumière, la couleur, la perspective, le sentiment de calme et la focale mise sur le sujet (humain), si ce n'est dans les deux toiles du début, une rue de Delft (qui ressemble, en mieux, à celle de son collègue delftois Pieter de Hooch) et la vue de la ville depuis la campagne environnante.Très vite, pourtant, Vermeer se veut un peintre d'intérieur, le monde pénétrant souvent l'intime via la fenêtre et la clarté qui en résulte.Le visiteur se voit témoin d'un événement que le génie de l'artiste lui donne à voir en trois dimensions, même s'il s'agit d'une peinture : en partant d'une simple toile, Vermeer nous faire voir des étoiles...Très vite donc, sa peinture s'intériorise (" Christ dans la maison de Marie et Marthe "), et ce père de famille né protestant épouse les convictions catholiques de sa femme qui lui donnera 15 enfants ! " L'entremetteuse ", à trois personnages, voit leurs visages floutés, l'intérêt de Vermeer se trouvant ailleurs dans les corps, le drapé des vêtements.Signe de sa conversion, son bleu ultramarin apparaît dans " La liseuse à la fenêtre " : un bleu marial, virginal, catholique. Tableau fabuleux où le visage de la jeune femme, très détaillé cette fois, face à la fenêtre ouverte, se concentre sur la lecture, tandis que sur la table à l'avant-plan, une corbeille de fruits, prise dans les plis d'un drap ou d'une nappe épaisse, rappelle la vanité de l'existence et, qui sait ?, l'éphémérité des amours. D'ailleurs, le tableau du Cupidon sur le mur en arrière-fond n'a été révélé qu'il y a quatre ans, sous une couche de blanc pudiquement appliquée depuis la création du tableau. Le bleu est encore discret - la corbeille de fruits, quelques touches sur le couvre-lit - comparé au vert van Eyck du rideau de droite : ce n'est qu'un début...Mais ces scènes dont le regardeur est le témoin (in)discret (" La lettre d'amour ", scène observée depuis l'embrasure), sont celles de l'instant décisif cher à Cartier-Bresson, le moment fatidique qui invite le 'voyeur' de la scène à imaginer la suite, ce qui rend les tableaux de Vermeer si vivants.Dans les portraits par exemple, celui de la sublime " Jeune fille à la perle ", on imagine cette demoiselle qui est tout regard se retourner complètement et s'exclamer " oui, c'est moi ! ", comme dans une célèbre publicité pour le parfum Loulou. " La dentellière " est sans doute sur le point de terminer sa tâche (un ouvrage... bleu) ou de se piquer. La maîtresse qui reçoit la lettre de sa servante et écrit sur une nappe bleue va sans doute recevoir de grandes nouvelles qui viennent, comme la lumière, de l'extérieur.Que disent, que veulent les visiteurs, un officier, un gentilhomme, dont la silhouette fait rire une jeune fille effarouchée pour l'un, lui donne à boire un verre de vin pour l'autre ? Ces toiles, si vives, ont un air de " to be continued... " qui leur enlève leur aura, mais pas leur attrait de " dernière scène ".Et quand Vermeer décrit des instrumentistes, la musique muette résonne, qu'il s'agisse d'un luth, d'un virginal : devant une chaise couleur ultramarine pour l'une des peintures ou de la musicienne vêtue d'une robe de même couleur dans le cas de l'interprète de l'autre.Bien sûr, " La laitière " verse éternellement son lait, et la scène est si lumineusement vivante que l'on se convainc qu'il est encore frais.Des toiles moins connues ou éculées sont également présentes, comme celle du " Géographe " qui, un sextant à la main sur une carte, regarde vers la fenêtre, le grand dehors, dans ce qui semble être une robe de chambre... couleur azur, bien entendu. L'exposition époustouflante surtout par le nombre de chefs-d'oeuvre réunis, qui lève le... rideau, le voile sur le mystère Vermeer, mais heureusement pas totalement (pas comme une fenêtre hollandaise sans rideau), se termine ou presque par une curieuse vanité intitulée " Allégorie de la foi catholique " : au-devant, un serpent ensanglanté, une pomme qui a roulé et, derrière, sur un siège, semblant défaillir, une femme gironde vêtue de la couleur mariale. Ève se pâmant de son péché ? Qu'un Vermeer ne pouvait passer... au bleu.Bernard RoisinVermeer, jusqu'au 4 juin au Rijksmuseum d'Amsterdam, Museumstraat 1, Amsterdam. Infos: https://www.rijksmuseum.nl/fr/visitez/vermeerÀ lire également dans le jdm de ce 23 février, "Bleu" de Delft, l'autre exposition consacrée au maître Vermeer dans sa cité natale.