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Le journal du Médecin: Que reste-t-il d'après vous de l'imagerie nouveaux romantiques aujourd'hui? John Taylor: Je ne sais pas... Focalisons-nous d'abord sur ce qu'elle était à l'époque. Commençons d'abord avec le punk, qui était en colère, politique: un genre autocentré, pas romantique, pas de la musique sur laquelle danser: un mouvement plutôt rebelle. La vague suivante, qui fut la new wave, admettait les chansons d'amour, au contraire du punk, et, consistait par ailleurs en un retour à des morceaux sur lesquels il vous était permis de danser... et pas de pogoter. Les nouveaux romantiques en étaient une forme sophistiquée et Simon était sans doute le parolier le plus romantique du début des années 80. C'est certainement l'une des raisons pour lesquelles les jeunes filles aimaient tant notre musique. C'était très "keatsien", très poétique, et, en même temps, oblique, inhabituel: " des devinettes enveloppées dans des énigmes" comme l'on dit en anglais, à l'image de la chanson The Reflex. C'est compliqué aujourd'hui, car ne nous sommes pas dans une période hautement romantique musicalement. La vague suivante se voulait d'une intense réalité, exemplifiée par U2, et Sting: de la musique pour les masses. Simon venait du punk? Mais le punk se concentrait vraiment sur la singularité. C'était avant tout un esprit, qui me donnait l'envie de jouer, mais je n'ai jamais voulu écrire de chansons politiques. J'écoutais bien sûr les Clash et j'aimais leurs paroles et leur engagement, mais je savais que musicalement ce ne serait pas mon truc. Notre dernier album Future Past, sorti fin de l'an dernier, est un album très romantique et la composition du groupe est la même que sur le premier, à part la guitare qui diffère: il y a donc une philosophie légèrement autre dans le groupe, parce que désormais Graham Coxon de Blur nous a rejoint: un guitariste un peu plus intellectuel qu'Andy Taylor. C'est un tantinet plus existentiel, plus réfléchi, mais essentiellement c'est le même mode opératoire que le premier album. D'une certaine façon, 40 ans plus tard, Duran Duran est encore un groupe de nouveaux romantiques. Nick Rhodes n'arrête pas d'asséner que nous sommes " un groupe moderne, un groupe moderne..". Et j'avais l'habitude de lui rétorquer: " what the fuck does that mean? " Mais désormais, je suis en mesure d'apprécier le fait que nous ne sommes pas bien sûr un groupe de blues rock, mais que nous sommes capables d'inclure constamment de nouveaux éléments si nous le souhaitons, et de les diluer dans l'approche Duran Duran. Mais c'est un boulot délicat de s'ajuster, de s'adapter à de nouveaux sons et styles, et il faut le faire prudemment. Parfois, cela fonctionne et parfois... c'est un désastre. Lorsque vous jouez Save a prayer en concert, au vu de la reprise des Eagles of Death Metal et des attentats de Paris lors du concert de ce groupe au Bataclan qui ont suivi cette version, le sentiment est-il différent depuis ces évènements? Cette chanson ne nous appartient plus: elle est dans le domaine public au sens propre. Nous nous connectons avec les émotions des fans qui la chantent avec nous... et même seuls désormais ; nous devons juste nous asseoir et, dans mon cas, jouer de la basse. Interpréter un tel morceau est incroyable, peu importe la dimension du public qui nous fait face. Les auditeurs ont toujours eu une connexion très forte avec cette chanson, et ce, dès sa sortie. C'est un privilège que de jouer Save a Prayer...