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Dans le cadre majestueux du massif du Luberon, Sophie Le Clercq et Yves Zurstrassen ont acquis, en 2000, ce qui n'était à l'époque qu'un immense pré de moutons, près de 320 ha, "les Davids". Un lieu-dit qui connut une entreprise de maraîchage, depuis disparue, et tenue à l'origine par la famille David au service d'une autre, italienne cette fois, les Sinetti. La plus ancienne bâtisse du domaine, désormais superbement réhabilitée, date du 16e siècle, dans ce lieu chargé d'histoire puisque des Vaudois (disciple de Valdès, précurseur du protestantisme) sont venus d'Avignon s'y réfugier pour échapper au massacre de protestants dans cette terre de réforme, à son tour ensanglantée en 1545 (27 ans avant la Saint-Barthélemy). Le but recherché à l'époque par Sophie Le Clercq, tête chercheuse du couple, sur ce domaine de 120 hectares cultivables - situé à 580 mètres d'altitude et pouvant grimper jusqu'à 700, constitué de vallons et de collines imposantes (on se situe en milieu préalpin), sorte de piémont ensoleillé et que sillonne lorsqu'il n'est pas à sec le Cavalon -, était, pour l'entreprenante héritière Blaton, de ressusciter la polyculture qui exista sur le lieu, mais de manière bio et en plantant en même temps - pourquoi pas? - quelques pieds de vigne. Pour voir... En 2004 apparaissent les premières grappes sur ce domaine constitué d'une maison principale, d'un fournil, d'un petit hameau d'habitations traditionnelles désormais entièrement rénovées avec un goût très sûr par la nouvelle propriétaire, dont c'est l'un des nombreux métiers. En sus du hameau de Treimars, situé sur le domaine, sont en location ceux de Cornille, La Madeleine, la maison du Luc, disséminés dans un rayon de six kilomètres autour du domaine et des impressionnantes gorges d'Oppedette toute proches. Très vite, les essais de vinification s'avèrent probants, au point qu'aujourd'hui le domaine compte 19 cépages qui vont du gewurztraminer au tempranillo, que Sophie adore, en passant par la roussanne et la marsanne. Bien que située géographiquement dans le Luberon, il s'agit d'une AOP Ventoux. Le domaine viticole exploité compte 24 hectares, seuil critique de rentabilité, dont 19 exploités, les cinq autres concernant les vignes nouvellement plantées. La propriété, gérée par la serial entrepreneuse, atteindra sous peu les 34 hectares. Bien entendu, la culture du vignoble a suivi la même philosophie que celle des légumes et des arbres fruitiers présents sur la propriété: il s'agit de vins bios (en rouge, blanc, rosé - "L'éphémère", excellent) récoltés à la main. Vu l'aspect pentu des coteaux, deux chevaux de trait labourent légèrement entre les rangées de vignes l'hiver pour les protéger du gel présent à cette altitude dans cette région inondée de soleil. Les vignes sont arrosées, comme les autres cultures, par un antique système de drainage et de ruissellement d'eau et de cinq étangs. À cette exploitation s'est adjoint en 2021 un chai ultramoderne conçu par l'architecte Marc Barani (qui a rejoint depuis l'Académie des Beaux-Arts de France), d'un brun ocre qui s'intègre parfaitement dans le paysage et la terre qui l'entoure. Un parallélépipède de béton planchette qui le strie horizontalement comme le feraient des planches de bois. Il évoque Le Corbusier et Lloyd-Wright, est doté d'un porte-à-faux immense, protégeant du soleil et qui donne l'impression de regarder vers la vallée et le paysage somptueux en cinémascope depuis la terrasse et le petit restaurant, excellent, et qui utilise bien entendu les fruits et légumes du domaine. S'y trouve également le chai gravitationnel qui accueille les différentes phases du processus de vinification, les passerelles qui surplombent cet ensemble accueillant des expos notamment (celle de Gilbert Fastenaekens, actuellement). Cette culture de la vigne qui s'entoure à son tour de la culture tout court s'intègre parfaitement dans cet ensemble de béton brut qui accueille cuves en inox et en bois, l'absence de mécanisation dans la vigne n'empêchant pas une contemporanéité du matériel utilisé. Élevé en barriques ou en foudres, le vin est présenté dans une boutique où se vendent également d'autres produits des Davids comme les confitures et jus, espace d'une épure contemporaine et un bon goût jamais mis en défaut. Le lieu et l'architecture, notamment du fait de ses cuves en béton aux allures d'énormes amphores, évoquent également un temple solaire aztèque ou les architectes modernistes mexicains comme Luis Barragan, impression renforcée au sortir de la boutique où se trouve la fresque murale énorme de Yves Zurstrassen, jazzy, dansante, joyeuse, faite de rouge et blanc bien entendu, et qui, cette fois, évoque dans sa forme les peintures murales de Diego Rivera, autre artiste mexicain justement. Entreprenante, Sophie a notamment ouvert un fournil destiné aux domaines et dont les surplus sont vendus, a planté des chênes truffiers (40 kg de truffes en 2021) il y a 15 ans: elles sont vendues au chai du domaine, domaine qui couvre un paysage grandiose laissant apparaître dans les massifs les traces d'anciennes carrières d'ocre (comme à Roussillon). L'arboriculture y a également pris racine avec des figuiers, pêchers, abricotiers, une volonté de rénover ici aussi le patrimoine arboricole de la région en replantant des amandiers disparus comme les pistachiers qui vont également bientôt pousser sur cette portion du parc naturel du Luberon. Sophie Le Clercq ne réhabilite pas seulement les demeures, mais aussi les paysages... En faisant appel au paysagiste Bas Smets, désigné pour réenchanter le parvis de Notre-Dame de Paris, elle ne s'est pas trompée, choisissant un architecte de jardin, presque janséniste ou protestant, qui privilégie l'humilité dans ses interventions et dans son parcours de plusieurs kilomètres dans le domaine entre forêt, garrigue et vignes. Cet artiste cherche à révéler la beauté de la nature plutôt que de chercher à la transformer. Les images d'un monde flottant et naturel viennent à l'esprit en arpentant le beau plancher qu'il a conçu ou en empruntant le pont-rambarde de bois qui enjambe un vallon de garrigue. Un arbre vénérable retrouve sa prestance grâce à son intervention, un "champ de cosmos" évoque en effet une constellation de couleurs, au milieu duquel serpente un chemin et surgit une source, dont l'affaissement ressemble à l'impact d'une météorite, ressemblance dont cet endroit tire son nom. Une communion avec les éléments naturels et en effet... le cosmos. Dans ce parcours seront progressivement installées quelques oeuvres de land art disposées par la commissaire d'exposition Anne Pontegnie, qui officia au Wiels, des oeuvres souvent originelles comme celle de David Nash. Le nombre de ses interventions artistiques sera limité car le but n'est pas de constituer un jeu de piste ou une accumulation, mais plutôt de développer une symbiose entre art et nature, dans ce pays de montagne et de soleil. Irradiante et solaire, Sophie Le Clercq, la biodynamique mécène, a également mis sur pied un festival culturel, les Estivales du haut Cavalon, qui en est à sa troisième édition. Durant trois semaines au domaine et dans les lieux culturels environnants, il mélange littérature, débats, musique classique, jazz, documentaire et photographie, dans une sorte de salon (de Provence) en plein air souvent ou aux abords du chai notamment, ceci dans une ambiance décontractée, chaleureuse et dans une allégresse constante. Un univers dont Sophie est l'astre et Yves le dieu art... Domaine Les Davids: www.lesdavids.fr/enLocation:www.lhdd.fr/Les Estivales du Haut Cavalon: https://estivaleshautcalavon.fr. Jusqu'au 9 août, avec notamment les écrivains Pascal Quignard, Maylis de Kerangal, Tom Lanoye, Laure Adler, les comédiens Marie-Christine Barrault et Stéphane Freiss, la chorégraphe Anne Teresa De Keersmaeker, le musicien classique Pascal Amoye et le jazzman Evan Parker, pour n'en citer que quelques-uns.