Sous-titré "Le marchand d'armes qui visait les étoiles", ce nouveau roman graphique décrit la vie et la mort de Gerald Bull, génie scientifique, qui avait pour but de développer un canon capable de lancer des fusées dans l'espace et finira par vendre des armes capables d'envoyer des obus à des distances jamais atteintes jusqu'ici. Le destin d'un homme assassiné en 1990 à Uccle, officiellement sans que l'on ne connaisse l'origine des meurtriers. Son existence se terminant... un canon sur la tempe.

Le journal du Médecin: Comment avez-vous découvert cette histoire?

Philippe Girard : Cela fait longtemps que j'en entends parler, étrangement, même s'il est un peu persona non grata au Canada, même au Québec. Cela fait l'affaire de tout le monde d'occulter le cas de Gerald Bull. C'est son attachement à son rêve qui m'a intéressé: sa ténacité m'a fasciné. Au-delà du fait que c'est un homme qui a créé des armes, il avait cette ferme volonté d'aller au bout de son rêve que j'ai eu envie de raconter. Et puis il a un idéal, celui de faire en sorte qu'on puisse envoyer des vaisseaux dans l'espace à moindre coût.

Jules Verne

Il est étonnant de vous voir faire intervenir Jules Verne dont les oeuvres décrivent peu d'armes, et souvent des progrès techniques...

J'ai juste lu "Le tour du monde en 80 jours" plus jeune. Rattacher le rêve de Bull à quelque chose qui trouvait son origine dans son enfance, donnait de la crédibilité à l'idée qu'il n'allait pas l'abandonner. Un ancien politicien québécois, Pierre Bourgault, disait "N'oubliez jamais vos rêves de jeunesse. Ce sont les seuls". Il y a quelque chose de juste dans cette phrase, raison pour laquelle j'avais envie de m'arrimer dans la jeunesse de Gerald Bull pour que son rêve soit crédible. Jules Verne devenait comme un ancrage qui me semblait vraisemblable de ce point de vue.

Il y a quelque chose chez Gerald Bull d'un Oppenheimer tragique. Finalement, Oppenheimer, même s'il travaille sur la bombe atomique, avait un idéal plutôt pacifique. Et puis finalement, Bull et lui se font "entuber", à l'image du tube de canon...

Dans les deux cas, on est d'ailleurs en présence de personnes brillantes, visiblement supérieurement intelligentes, et qui ont tout de même la naïveté de croire qu'ils vont pouvoir aller au bout de leurs objectifs sans se faire récupérer par l'industrie de l'armement. Cela fait partie des grandes questions, en tout cas des grandes interrogations qui m'ont traversé lorsque je me suis intéressé à Gerald Bull. Comment peut-on être aussi brillant et faire l'impasse sur cette réalité-là, à partir du moment où l'on fabrique des armes efficaces? On peut présumer du fait qu'ils ont probablement eu cette interrogation à un moment de leur parcours. Je ne peux pas croire que l'on n'a pas peur de mourir quand on fabrique de telles armes, qu'on commence à fricoter avec des gens très dangereux.

80 % de la technologie que nous employons est d'abord d'application militaire avant de devenir civile...

Oui, même les GPS de nos voitures sont des technologies au départ militaires.

Il est donc édifiant de constater que le progrès vient toujours d'abord des militaires et de l'armée, qu'il faille une compétition militaire pour qu'il y ait une évolution civile...

Nous vivons dans un monde très militarisé sans en avoir conscience.

Assassinat

Pourquoi ne pas écrire en toutes lettres qui sont les assassins de Gerald Bull?

Parce que la question n'est pas élucidée. Même si on présume que beaucoup avaient intérêt à le faire disparaître. Ce qui m'intéressait surtout, c'était de montrer qu'après sa disparition, il continuait à vivre à travers son oeuvre et que finalement, la mort de Gerald Bull, jusqu'à un certain point, n'est pas encore concrétisée. Certaines des armes qui sont utilisées actuellement dans la guerre en Ukraine sont des améliorations de ses inventions, en l'occurrence, des armes extrêmement efficaces et puissantes

On voulait se débarrasser de l'homme parce qu'on savait qu'il allait encore améliorer son canon?

Oui.

Observe-t-on un retour du canon en tant que lanceur de fusée, qui était le but ultime de Bull?

Je sais qu'il reste des vestiges des canons qu'il a construits, notamment à la Barbade et à la frontière entre le Canada et les États-Unis. Mais je pense que ce projet a fait long feu. Par contre, pour faire la guerre, il reste clairement d'actualité. À mon sens, cela ne fait pas l'ombre d'un doute que ce que Gerald Bull a conçu est trop efficace pour que l'on s'en détourne d'un point de vue militaire. Il a perfectionné le canon comme personne d'autre de son vivant.

Pourquoi ce choix de raconter en bédé d'abord Leonard Cohen puis Gerard Bull?

Il s'agit de deux rêveurs qui ont réussi l'un et l'autre dans leur domaine. La différence, c'est que, au Canada notamment, on est fier de Leonard Cohen, alors qu'on a honte de Gerald Bull. Mais quelque part, on a affaire à deux génies chacun dans sa sphère. Mais c'est la preuve que selon le secteur que l'on choisit, de la voie que l'on choisit d'emprunter, le succès peut se révéler plus destructeur que l'échec: voilà le lien. Leonard Cohen s'est fait connaître grâce à la poésie. C'est quelqu'un qui s'est retrouvé face contre terre très souvent et que l'on considérait comme un artiste fini, mais qui s'est réinventé grâce à sa poésie. Gerald Bull a également connu des déconvenues, mais s'est également relevé, au moins aussi souvent que Leonard Cohen. Après son séjour en prison, il se relève et se remet au travail. Sauf que la voie qu'il a empruntée le condamne à la détestation. C'est en fait un homme qui a été manipulé du début à la fin, ce qui m'intéressait également. On ne peut pas manipuler un poète, mais on peut manipuler un marchand d'armes.

Ce qui diffère, c'est l'attachement que l'on noue vis-à-vis des deux personnages. Et paradoxalement, j'ai ressenti beaucoup d'attachement pour Gerald Bull très tôt dans mon livre. Je le trouvais très humain et quelque part, vulnérable. Il est orphelin deux fois de mère biologique et adoptive à trois ans d'intervalle et abandonné par son père. Je sentais à quel point ce petit gars-là avait une blessure affective primordiale. Son destin est extrêmement tragique et m'a interpellé.

Tintin

Le fait qu'il ait connu des difficultés dans sa jeunesse, vous a-t-il renvoyé à la vôtre, au divorce de vos parents et la pédophilie d'un prêtre que vous évoquez dans "Tuer Vélasquez"?

Oui, sans doute. C'est sûr que la blessure d'abandon, la trahison, est un élément fondamental dans mon cas. Je pense que les problèmes du jeune Gerald ont fait écho en moi. Mais par contre, si Leonard Cohen a de son côté perdu son père très tôt, à l'âge de onze ans, Il était tellement aimé de sa mère que je ne crois pas que l'on puisse affirmer, sans dire pour autant qu'il était parfaitement équilibré, qu'il ait souffert d'une carence affective comparable à celle de Gerald Bull ou à la mienne. Mais je ne pense pas qu'un auteur puisse s'intéresser à ce genre de sujet s'il ne fait écho dans sa propre existence.

Votre dessin est quasi réaliste. Parce que vous racontez une quasi vérité ?

Non, je dessine vraiment comme je peux: je peux changer de crayon, de palette de couleurs, de papier, mais le dessin lui reste assez stable. J'ai le sentiment qu'il est plus semi que réaliste. Je revendique l'appartenance à la ligne claire. La plus grande influence que j'ai eue en tant qu'auteur de bandes dessinées c'est Tintin, qui reste extrêmement vivant dans mon imaginaire aujourd'hui. J'ai un vrai attachement à cette école de pensée , à ce courant artistique.

Philippe Girard. Supercanon! Le marchand d'armes qui visait les étoiles. Casterman.

Sous-titré "Le marchand d'armes qui visait les étoiles", ce nouveau roman graphique décrit la vie et la mort de Gerald Bull, génie scientifique, qui avait pour but de développer un canon capable de lancer des fusées dans l'espace et finira par vendre des armes capables d'envoyer des obus à des distances jamais atteintes jusqu'ici. Le destin d'un homme assassiné en 1990 à Uccle, officiellement sans que l'on ne connaisse l'origine des meurtriers. Son existence se terminant... un canon sur la tempe.Le journal du Médecin: Comment avez-vous découvert cette histoire?Philippe Girard : Cela fait longtemps que j'en entends parler, étrangement, même s'il est un peu persona non grata au Canada, même au Québec. Cela fait l'affaire de tout le monde d'occulter le cas de Gerald Bull. C'est son attachement à son rêve qui m'a intéressé: sa ténacité m'a fasciné. Au-delà du fait que c'est un homme qui a créé des armes, il avait cette ferme volonté d'aller au bout de son rêve que j'ai eu envie de raconter. Et puis il a un idéal, celui de faire en sorte qu'on puisse envoyer des vaisseaux dans l'espace à moindre coût. Il est étonnant de vous voir faire intervenir Jules Verne dont les oeuvres décrivent peu d'armes, et souvent des progrès techniques... J'ai juste lu "Le tour du monde en 80 jours" plus jeune. Rattacher le rêve de Bull à quelque chose qui trouvait son origine dans son enfance, donnait de la crédibilité à l'idée qu'il n'allait pas l'abandonner. Un ancien politicien québécois, Pierre Bourgault, disait "N'oubliez jamais vos rêves de jeunesse. Ce sont les seuls". Il y a quelque chose de juste dans cette phrase, raison pour laquelle j'avais envie de m'arrimer dans la jeunesse de Gerald Bull pour que son rêve soit crédible. Jules Verne devenait comme un ancrage qui me semblait vraisemblable de ce point de vue.Il y a quelque chose chez Gerald Bull d'un Oppenheimer tragique. Finalement, Oppenheimer, même s'il travaille sur la bombe atomique, avait un idéal plutôt pacifique. Et puis finalement, Bull et lui se font "entuber", à l'image du tube de canon... Dans les deux cas, on est d'ailleurs en présence de personnes brillantes, visiblement supérieurement intelligentes, et qui ont tout de même la naïveté de croire qu'ils vont pouvoir aller au bout de leurs objectifs sans se faire récupérer par l'industrie de l'armement. Cela fait partie des grandes questions, en tout cas des grandes interrogations qui m'ont traversé lorsque je me suis intéressé à Gerald Bull. Comment peut-on être aussi brillant et faire l'impasse sur cette réalité-là, à partir du moment où l'on fabrique des armes efficaces? On peut présumer du fait qu'ils ont probablement eu cette interrogation à un moment de leur parcours. Je ne peux pas croire que l'on n'a pas peur de mourir quand on fabrique de telles armes, qu'on commence à fricoter avec des gens très dangereux. 80 % de la technologie que nous employons est d'abord d'application militaire avant de devenir civile... Oui, même les GPS de nos voitures sont des technologies au départ militaires.Il est donc édifiant de constater que le progrès vient toujours d'abord des militaires et de l'armée, qu'il faille une compétition militaire pour qu'il y ait une évolution civile... Nous vivons dans un monde très militarisé sans en avoir conscience. Pourquoi ne pas écrire en toutes lettres qui sont les assassins de Gerald Bull? Parce que la question n'est pas élucidée. Même si on présume que beaucoup avaient intérêt à le faire disparaître. Ce qui m'intéressait surtout, c'était de montrer qu'après sa disparition, il continuait à vivre à travers son oeuvre et que finalement, la mort de Gerald Bull, jusqu'à un certain point, n'est pas encore concrétisée. Certaines des armes qui sont utilisées actuellement dans la guerre en Ukraine sont des améliorations de ses inventions, en l'occurrence, des armes extrêmement efficaces et puissantesOn voulait se débarrasser de l'homme parce qu'on savait qu'il allait encore améliorer son canon?Oui.Observe-t-on un retour du canon en tant que lanceur de fusée, qui était le but ultime de Bull? Je sais qu'il reste des vestiges des canons qu'il a construits, notamment à la Barbade et à la frontière entre le Canada et les États-Unis. Mais je pense que ce projet a fait long feu. Par contre, pour faire la guerre, il reste clairement d'actualité. À mon sens, cela ne fait pas l'ombre d'un doute que ce que Gerald Bull a conçu est trop efficace pour que l'on s'en détourne d'un point de vue militaire. Il a perfectionné le canon comme personne d'autre de son vivant. Pourquoi ce choix de raconter en bédé d'abord Leonard Cohen puis Gerard Bull? Il s'agit de deux rêveurs qui ont réussi l'un et l'autre dans leur domaine. La différence, c'est que, au Canada notamment, on est fier de Leonard Cohen, alors qu'on a honte de Gerald Bull. Mais quelque part, on a affaire à deux génies chacun dans sa sphère. Mais c'est la preuve que selon le secteur que l'on choisit, de la voie que l'on choisit d'emprunter, le succès peut se révéler plus destructeur que l'échec: voilà le lien. Leonard Cohen s'est fait connaître grâce à la poésie. C'est quelqu'un qui s'est retrouvé face contre terre très souvent et que l'on considérait comme un artiste fini, mais qui s'est réinventé grâce à sa poésie. Gerald Bull a également connu des déconvenues, mais s'est également relevé, au moins aussi souvent que Leonard Cohen. Après son séjour en prison, il se relève et se remet au travail. Sauf que la voie qu'il a empruntée le condamne à la détestation. C'est en fait un homme qui a été manipulé du début à la fin, ce qui m'intéressait également. On ne peut pas manipuler un poète, mais on peut manipuler un marchand d'armes. Ce qui diffère, c'est l'attachement que l'on noue vis-à-vis des deux personnages. Et paradoxalement, j'ai ressenti beaucoup d'attachement pour Gerald Bull très tôt dans mon livre. Je le trouvais très humain et quelque part, vulnérable. Il est orphelin deux fois de mère biologique et adoptive à trois ans d'intervalle et abandonné par son père. Je sentais à quel point ce petit gars-là avait une blessure affective primordiale. Son destin est extrêmement tragique et m'a interpellé. Le fait qu'il ait connu des difficultés dans sa jeunesse, vous a-t-il renvoyé à la vôtre, au divorce de vos parents et la pédophilie d'un prêtre que vous évoquez dans "Tuer Vélasquez"? Oui, sans doute. C'est sûr que la blessure d'abandon, la trahison, est un élément fondamental dans mon cas. Je pense que les problèmes du jeune Gerald ont fait écho en moi. Mais par contre, si Leonard Cohen a de son côté perdu son père très tôt, à l'âge de onze ans, Il était tellement aimé de sa mère que je ne crois pas que l'on puisse affirmer, sans dire pour autant qu'il était parfaitement équilibré, qu'il ait souffert d'une carence affective comparable à celle de Gerald Bull ou à la mienne. Mais je ne pense pas qu'un auteur puisse s'intéresser à ce genre de sujet s'il ne fait écho dans sa propre existence.Votre dessin est quasi réaliste. Parce que vous racontez une quasi vérité ? Non, je dessine vraiment comme je peux: je peux changer de crayon, de palette de couleurs, de papier, mais le dessin lui reste assez stable. J'ai le sentiment qu'il est plus semi que réaliste. Je revendique l'appartenance à la ligne claire. La plus grande influence que j'ai eue en tant qu'auteur de bandes dessinées c'est Tintin, qui reste extrêmement vivant dans mon imaginaire aujourd'hui. J'ai un vrai attachement à cette école de pensée , à ce courant artistique.