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Le Journal du Médecin: Pourriez-vous définir en quelques mots le syndrome d'hubris ? David Owen: C'est un changement de personnalité qui peut affecter n'importe qui. Mais y sont particulièrement vulnérables, les personnes qui ont une position importante. Il peut s'agir du directeur d'une école, d'un ministre, du patron d'un hôpital ou le CEO d'une petite ou une grande entreprise. Bref, un poste sujet à un grand stress. J'ai commencé à rédiger sur le sujet en 2002, époque où la profession médicale résistait toujours à ce terme. Le changement s'est opéré en Europe avec la guerre en Irak, à la suite de laquelle il a été observé que des hommes habitués au combat avaient changé suite aux attaques suicides notamment menées à leur encontre, déclenchant le stress. En 2009, J'ai coécrit en collaboration avec Gerard Russell un psychiatre américain qui s'était concentré sur le cas des présidents des États-Unis, un article à ce sujet dans la revue Brain, intitulé Le syndrome hubristique, un désordre de personnalité acquise ? Aujourd'hui je mettrais changement à la place de désordre et j'enlèverais le point d'interrogation. Il est préférable désormais de le définir comme un changement, avec des variations dans la gravité, mais qui conduit à des décisions désastreuses et provoque des dégâts. Dans le monde des affaires, des individus victimes de ce phénomène peuvent réussir des tests psychologiques haut la main, car c'est uniquement en cas de très gros stress au travail que ces traits peuvent apparaître et se développer. En les repérant précocement, il est possible de les prévenir et d'éviter ce comportement. C'est ici que le rôle de "conscience", de garde-fou intervient et vous citez l'exemple de votre épouse qui vous a empêché de développer ce syndrome lorsque vous étiez aux affaires ? C'est vrai. L'exemple classique est celui de la lettre que Clémentine, la femme de Churchill, lui adresse en 1940 : son épouse lui écrit qu'il n'était plus l'homme qu'elle avait connu. L'une des caractéristiques de l'hubris est la difficulté que l'on éprouve à le pointer. Car il y a de bonnes caractéristiques chez un leader : il doit posséder un certain degré de conviction, et une capacité à diriger, de sortir de la routine quotidienne et saisir l'opportunité que d'autres ne voient pas. Beaucoup de caractéristiques de bon leadership sont dès lors fort proches de l'hubris. Quelle est l'importance des médecins personnels des dirigeants des pays pour détecter le syndrome d'hubris ? Il faut être très attentif à la santé, y compris mentale, de nos dirigeants. Premièrement, arrêter de croire ou faire croire que, victime d'un cancer, l'on peut sans problème continuer à diriger, comme dans le cas de Mitterrand. Le dirigeant peut être remplacé et reprendre son poste une fois guéri. Mais les politiciens pensent ne jamais revenir, et s'accrochent dès lors à leur fonction. Ils se croient irremplaçables et convainquent leur entourage qu'ils peuvent continuer. Ces dirigeants du public ou privé ne doivent pas arrêter de travailler, mais prendre une position de retrait. Une attitude inimaginable pour les personnes à poste à responsabilité victime de ce syndrome. Il faut trouver un mécanisme objectif applicable aux hommes politiques, que leur médecin personnel ne peut mettre en place. Comme un pilote d'avion, en charge des passagers, les politiciens doivent subir un contrôle médical indépendant et non exercé par le médecin traitant, trop proche. Trump souffre-t-il de ce syndrome ? Oui, et il en était victime déjà avant d'être président, depuis l'enfance même, au point qu'il écrit lui-même ces rapports médicaux ! Qu'en est-il de Margaret Thatcher que vous avez côtoyée... Thatcher fut victime d'hubris durant les deux dernières années où elle fut en fonction. Mais je ne crois pas qu'elle avait des symptômes d'Alzheimer. Ce serait téméraire d'affirmer que l'hubris est un signe avant-coureur de la démence, car on n'est pas en mesure de le démontrer. L'ancienne Première ministre n'a pas souffert d'hubris pendant la guerre des Falklands pour l'avoir un peu fréquentée à cette période. Elle était sous tension, énorme, mais elle n'était pas hubristique. Boris Johnson est-il hubristique ? J'écris justement à son propos actuellement, dans le cadre de la sortie en poche de The road to Donald Trump : Boris Johnson n'est pas victime du syndrome d'hubris, mais possède une dose d'"hubricité" propre aux politiciens. Je ne crois pas qu'il soit narcissique. Il est désordonné dans le sens premier du dictionnaire : désinvolte, négligent, confus, irrégulier. Ce qui peut très bien virer en syndrome d'hubris ou toutes sortes de traits peu amènes. Obama, que je cite dans le livre, confie qu'il est notre Trump avec de meilleurs cheveux. Un point de vue perspicace... surtout au niveau des cheveux ! (il rit). Johnson a écrit un livre original à propos de Churchill, dans lequel il explique son admiration pour l'ancien Premier ministre, en prenant en considération des éléments rarement mis en avant : son charme, son art de la gestion humaine, ce qui est le cas de Boris jusqu'à un certain point ; capable de susciter l'empathie en tout cas, sans parler de charisme. Son art oratoire n'est certainement pas celui de Churchill, et puis Boris Johnson est terriblement en pagaille ! Dans son livre sur Churchill, il écrit que l'ancien Premier ministre s'est rendu identifiable par ses cigares... Johnson le sera par ses cheveux : il veut être différent, se créer un personnage... Avec une excentricité anglaise ? C'est le mot, excentrique : terme qu'utilise d'ailleurs Johnson dans son ouvrage pour décrire Churchill...