Sextet originaire de la Cité ardente, Dan San revient après sept ans d'absence avec un album prolixe de douze chansons de pop sophistiquée et cette fois intemporelles, qui évoquent à la fois les Beatles de la fin au niveau créativité et Nick Drake pour sa mélancolie sous-jacente, son spleen aérien. Les deux fondateurs-compositeurs Jérôme Magnée et Thomas Médard évoquent la genèse de ce disque dont la pochette de plafond à moulures évoque en effet son côté... raffiné.

Le journal du Médecin : À voir la pochette de "Grand Salon", on a le sentiment en effet d'une musique à moulures.

Thomas:(il rit) En tout cas, la métaphore de ces moulures nous plaisait, afin de rappeler la manière dont nous souhaitons fabriquer un album, à savoir ciseler le moindre détail; que ce soit dans l'écriture d'une chanson où nous nous prenions la tête sur la moindre virgule, tout est pensé; même les imperfections sont réfléchies: nous avons préféré conserver la magie d'une prise plutôt que de gommer tout ce qui relève au final de la musique vivante. En tout cas, l'image représente à merveille notre musique.

Il vous faut chaque fois deux années supplémentaires pour sortir un disque: le premier, un E.P., c'était en 2010, le second 2012, le troisième 2016, et celui-ci conçu l'an dernier...

Thomas:(il rit) En effet. Le prochain sera donc dans huit ans! (rires)

Jérôme: En fait, nous avons tous des activités annexes autour de Dan San, des projets solo: nous écrivons de la musique pour le cinéma, le théâtre, la danse contemporaine. Nous ressentons tous le besoin de nous quitter en fin de tournée afin de se mettre en quête d'idées, de se nourrir différemment artistiquement. Dan San est un projet avec lequel nous aimons prendre le temps, bien faire les choses. Nous composons énormément de chansons, 25, pour en jeter des quantités pas possibles. En fait, nous ne sortons l'album qu'une fois certains d'avoir produit le disque dont nous rêvions

T: Les tournées durant lesquelles nous sommes constamment réunis sont souvent intenses, de100 à 120 dates. Et une fois que nous avons terminé de défendre un disque, nous ressentons le besoin aussi de se manquer un peu, afin de retrouver la même fraîcheur une fois à nouveau rassembler. Ceci dit, six ans, c'était tout de même un peu trop long... (il sourit)

Hard Days Are Gone rappelle Lennon pour l'intro et puis Crowded House ensuite...

T: Nous avons beaucoup écouté ce genre de musique plus jeune, qui était celle de nos parents. Nous nous sommes un peu replongés dans nos classiques sur cet album. Nous souhaitions sortir un disque plus atemporel, moins indie.

Covid

Et qu'en est-il du titre de la chanson?

J: cela évoque cette période du covid que nous avons tous traversée. Personnellement, je n'allais vraiment pas bien... et je me suis rendu compte que je n'étais pas obligé d'aller mieux d'un coup. Il suffisait d'aller un tout petit peu mieux demain, puis le jour suivant. Et les mauvais jours s'en iraient... Je me suis mis au piano un jour avec cette idée en tête: cette phrase est arrivée et puis le morceau a suivi. Il s'agit d'un des rares morceaux dont toutes les paroles ont surgi en un seul jet.

T: C'est une espèce de mantra, une sorte de méthode Coué à force de se répéter la même phrase...

"Grand salon" et "La piscine" sont deux lieux d'une habitation. Et comme par hasard, ces deux titres sont deux instrumentaux... "habités" comme une maison.

T: Il s'agit d'un hommage à ces deux lieux de création, dont une ancienne piscine désaffectée dans laquelle certaines chansons ont été modelées, ainsi que le grand salon du studio manoir La Frette près de Paris, et y ont pris leur forme définitive. Ces morceaux instrumentaux évoquent ces deux endroits ...

J: Mais l'on s'en est seulement rendu compte après la sortie du disque. Dans le cas des autres morceaux où nous chantons, les titres sont forcément tirés des paroles. Souvent dans le cas d'instrumentaux, nous regardons dans quel endroit nous nous trouvons afin de donner un titre...

Nous parlions de maison et justement il y a quelque chose de hanté dans votre musique, notamment sur "No One is in the House"

J: Oui, d'ailleurs je crois que le mot anglais haunted est utilisé de nombreuses fois sur ce disque: nous avons un rapport, que ce soit Thomas ou moi, à la nuit, au fait d'être insomniaque. Nous avons par ailleurs toujours adoré les films de Tim Burton, son cinéma un peu sombre. Tout gamins, notre film préféré, c'était "Edward aux mains d'argent". C'était toujours lié à cet univers un peu sombre, noir et au rêve. La musique nous permet aussi de faire surgir tous ces fantômes que nous avons en nous

T: Sombre, noire en effet, mais toujours poétique. Nous ne sommes pas du tout attirés par des films d'horreur ; le côté hanté concerne plutôt l'imaginaire, le fantasme qu'il y a derrière. Je matérialise beaucoup les chansons par les couleurs: "No One is in the House", je l'associe au noir.

Dépression

Quel est le sens de la chanson 1994?

J: C'est une chanson qui évoque la dépression chez l'enfant, dépression dont j'ai été victime quand j'avais huit ans en 1994... Cela m'est revenu à l'esprit après avoir vu un reportage dans un service d'urgence pédiatrique. Un gamin était clairement en dépression: désemparés, ses parents l'y avaient conduit. Le journaliste a demandé à l'enfant "Pourquoi es-tu là?" Et le garçon de répondre dans une simplicité totale, dans une non-pudeur absolue: "Je suis là parce que je ne voulais plus vivre". Cela a fait remonter en moi quelque chose de très fort, je me souviens de ce sentiment-là étant gosse. Pas forcément d'avoir envie de mourir, mais de ne plus avoir envie de vivre. Et je me suis souvenu de l'incompréhension que cela générait dans le monde adulte. Les adultes ne comprennent pas que les enfants n'ont pas la capacité, n'étant ne pas encore complètement formés, de pouvoir gérer cette dépression. Il y a encore aujourd'hui une grande incompréhension du monde adulte face à cette détresse.

Mais musicalement, la chanson correspond aussi à cet état ou avez-vous plaqué les paroles sur une musique existante?

J: Thomas est arrivé avec ce morceau qui était beaucoup plus up tempo.

T: Plus orchestré. Il y avait une boîte à rythmes et deux instruments: la couleur de la chanson n'avait rien à voir, et nous avons tenté de passer par plusieurs étapes dans l'élaboration de cette chanson, la rendant plus dream pop, avec une guitare très réverbée: nous apprécions cette version, mais lui manquait ce petit plus que possédaient les autres. Mais nous sentions qu'il ne manquait pas grand-chose, qu'il ne fallait pas l'écarter. Cette chanson n'appartenait ni à Jérôme ni à moi, mais à nous tous; nous avons dès lors décidé de la chanter tous ensemble. Cette chanson symbolise Dan San: cette entité, cette espèce de monstre que nous formons a donné cette chanson.

Le fait de la chanter ensemble, vous aide-t-il Jérôme? On ne peut s'empêcher de penser à Nick Drake que vous révérez, grand dépressif qui s'est suicidé....

T: Jérôme est un yes man, il chante, il danse la vie! (rires)

J: Il m'est arrivé de retomber en dépression , mais ce n'est pas cas actuellement. Cela m'a en tout cas fait du bien d'écrire ce texte, car c'est quelque chose que j'avais en moi et dont je ne parlais plus. Et du fait de la jouer, de la chanter tout ensemble, j'ai désormais le sentiment d'une transmission, qu'il s'agit d'une chanson qui s'adresse à quelqu'un d'autre. Elle n'est plus tellement liée à l'émotion initiale qui nichait dans écriture et l'enregistrement: désormais, nous l'offrons au public

L'écriture de 1994 aurait-elle servi de catharsis?

J: Sans doute. En tout cas, cela m'a permis d'en parler. Et j'ai le sentiment que rien que le fait de pouvoir en parler vous libère quelque part...

Dan San. Grand Salon. Odessa/Simone Records.

Dan San sera à Liège aux Tréteaux le 30 septembre, et le 14 février 24 au Delta de Namur

Sextet originaire de la Cité ardente, Dan San revient après sept ans d'absence avec un album prolixe de douze chansons de pop sophistiquée et cette fois intemporelles, qui évoquent à la fois les Beatles de la fin au niveau créativité et Nick Drake pour sa mélancolie sous-jacente, son spleen aérien. Les deux fondateurs-compositeurs Jérôme Magnée et Thomas Médard évoquent la genèse de ce disque dont la pochette de plafond à moulures évoque en effet son côté... raffiné.Le journal du Médecin : À voir la pochette de "Grand Salon", on a le sentiment en effet d'une musique à moulures. Thomas:(il rit) En tout cas, la métaphore de ces moulures nous plaisait, afin de rappeler la manière dont nous souhaitons fabriquer un album, à savoir ciseler le moindre détail; que ce soit dans l'écriture d'une chanson où nous nous prenions la tête sur la moindre virgule, tout est pensé; même les imperfections sont réfléchies: nous avons préféré conserver la magie d'une prise plutôt que de gommer tout ce qui relève au final de la musique vivante. En tout cas, l'image représente à merveille notre musique. Il vous faut chaque fois deux années supplémentaires pour sortir un disque: le premier, un E.P., c'était en 2010, le second 2012, le troisième 2016, et celui-ci conçu l'an dernier...Thomas:(il rit) En effet. Le prochain sera donc dans huit ans! (rires)Jérôme: En fait, nous avons tous des activités annexes autour de Dan San, des projets solo: nous écrivons de la musique pour le cinéma, le théâtre, la danse contemporaine. Nous ressentons tous le besoin de nous quitter en fin de tournée afin de se mettre en quête d'idées, de se nourrir différemment artistiquement. Dan San est un projet avec lequel nous aimons prendre le temps, bien faire les choses. Nous composons énormément de chansons, 25, pour en jeter des quantités pas possibles. En fait, nous ne sortons l'album qu'une fois certains d'avoir produit le disque dont nous rêvions T: Les tournées durant lesquelles nous sommes constamment réunis sont souvent intenses, de100 à 120 dates. Et une fois que nous avons terminé de défendre un disque, nous ressentons le besoin aussi de se manquer un peu, afin de retrouver la même fraîcheur une fois à nouveau rassembler. Ceci dit, six ans, c'était tout de même un peu trop long... (il sourit)Hard Days Are Gone rappelle Lennon pour l'intro et puis Crowded House ensuite... T: Nous avons beaucoup écouté ce genre de musique plus jeune, qui était celle de nos parents. Nous nous sommes un peu replongés dans nos classiques sur cet album. Nous souhaitions sortir un disque plus atemporel, moins indie. Et qu'en est-il du titre de la chanson? J: cela évoque cette période du covid que nous avons tous traversée. Personnellement, je n'allais vraiment pas bien... et je me suis rendu compte que je n'étais pas obligé d'aller mieux d'un coup. Il suffisait d'aller un tout petit peu mieux demain, puis le jour suivant. Et les mauvais jours s'en iraient... Je me suis mis au piano un jour avec cette idée en tête: cette phrase est arrivée et puis le morceau a suivi. Il s'agit d'un des rares morceaux dont toutes les paroles ont surgi en un seul jet. T: C'est une espèce de mantra, une sorte de méthode Coué à force de se répéter la même phrase... "Grand salon" et "La piscine" sont deux lieux d'une habitation. Et comme par hasard, ces deux titres sont deux instrumentaux... "habités" comme une maison.T: Il s'agit d'un hommage à ces deux lieux de création, dont une ancienne piscine désaffectée dans laquelle certaines chansons ont été modelées, ainsi que le grand salon du studio manoir La Frette près de Paris, et y ont pris leur forme définitive. Ces morceaux instrumentaux évoquent ces deux endroits ...J: Mais l'on s'en est seulement rendu compte après la sortie du disque. Dans le cas des autres morceaux où nous chantons, les titres sont forcément tirés des paroles. Souvent dans le cas d'instrumentaux, nous regardons dans quel endroit nous nous trouvons afin de donner un titre...Nous parlions de maison et justement il y a quelque chose de hanté dans votre musique, notamment sur "No One is in the House"J: Oui, d'ailleurs je crois que le mot anglais haunted est utilisé de nombreuses fois sur ce disque: nous avons un rapport, que ce soit Thomas ou moi, à la nuit, au fait d'être insomniaque. Nous avons par ailleurs toujours adoré les films de Tim Burton, son cinéma un peu sombre. Tout gamins, notre film préféré, c'était "Edward aux mains d'argent". C'était toujours lié à cet univers un peu sombre, noir et au rêve. La musique nous permet aussi de faire surgir tous ces fantômes que nous avons en nous T: Sombre, noire en effet, mais toujours poétique. Nous ne sommes pas du tout attirés par des films d'horreur ; le côté hanté concerne plutôt l'imaginaire, le fantasme qu'il y a derrière. Je matérialise beaucoup les chansons par les couleurs: "No One is in the House", je l'associe au noir.Quel est le sens de la chanson 1994? J: C'est une chanson qui évoque la dépression chez l'enfant, dépression dont j'ai été victime quand j'avais huit ans en 1994... Cela m'est revenu à l'esprit après avoir vu un reportage dans un service d'urgence pédiatrique. Un gamin était clairement en dépression: désemparés, ses parents l'y avaient conduit. Le journaliste a demandé à l'enfant "Pourquoi es-tu là?" Et le garçon de répondre dans une simplicité totale, dans une non-pudeur absolue: "Je suis là parce que je ne voulais plus vivre". Cela a fait remonter en moi quelque chose de très fort, je me souviens de ce sentiment-là étant gosse. Pas forcément d'avoir envie de mourir, mais de ne plus avoir envie de vivre. Et je me suis souvenu de l'incompréhension que cela générait dans le monde adulte. Les adultes ne comprennent pas que les enfants n'ont pas la capacité, n'étant ne pas encore complètement formés, de pouvoir gérer cette dépression. Il y a encore aujourd'hui une grande incompréhension du monde adulte face à cette détresse.Mais musicalement, la chanson correspond aussi à cet état ou avez-vous plaqué les paroles sur une musique existante? J: Thomas est arrivé avec ce morceau qui était beaucoup plus up tempo. T: Plus orchestré. Il y avait une boîte à rythmes et deux instruments: la couleur de la chanson n'avait rien à voir, et nous avons tenté de passer par plusieurs étapes dans l'élaboration de cette chanson, la rendant plus dream pop, avec une guitare très réverbée: nous apprécions cette version, mais lui manquait ce petit plus que possédaient les autres. Mais nous sentions qu'il ne manquait pas grand-chose, qu'il ne fallait pas l'écarter. Cette chanson n'appartenait ni à Jérôme ni à moi, mais à nous tous; nous avons dès lors décidé de la chanter tous ensemble. Cette chanson symbolise Dan San: cette entité, cette espèce de monstre que nous formons a donné cette chanson. Le fait de la chanter ensemble, vous aide-t-il Jérôme? On ne peut s'empêcher de penser à Nick Drake que vous révérez, grand dépressif qui s'est suicidé....T: Jérôme est un yes man, il chante, il danse la vie! (rires)J: Il m'est arrivé de retomber en dépression , mais ce n'est pas cas actuellement. Cela m'a en tout cas fait du bien d'écrire ce texte, car c'est quelque chose que j'avais en moi et dont je ne parlais plus. Et du fait de la jouer, de la chanter tout ensemble, j'ai désormais le sentiment d'une transmission, qu'il s'agit d'une chanson qui s'adresse à quelqu'un d'autre. Elle n'est plus tellement liée à l'émotion initiale qui nichait dans écriture et l'enregistrement: désormais, nous l'offrons au public L'écriture de 1994 aurait-elle servi de catharsis? J: Sans doute. En tout cas, cela m'a permis d'en parler. Et j'ai le sentiment que rien que le fait de pouvoir en parler vous libère quelque part...