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Figure incontournable et indémodable de la disco au même titre que Giorgio Moroder ou Nile Rodgers, le Français Marc Cerrone, qui a vendu plus de 30 millions d'albums au cours de sa longue carrière et s'est vu récompensé de Grammy Awards, a entamé une nouvelle carrière de DJ, il y a quelques années. Le voici qui sort, sous forme de compilation, un remix de ses plus grands succès, augmenté de collaborations avec des pointures comme Dimitri From Paris. À 70 ans, celui qui a aussi bien collaboré avec Jimmy Page qu'Axelle Red, Daft Punk que les Beastie Boys, Lena Lovich que Run DMC, et qui a raconté son parcours dans une autobiographie parue en 2018, évoque pour nous, sans détour ni fausse modestie, sa carrière, en débutant par ce 30e opus.Le journal du Médecin: Ce dernier album serait-il à son tour une sorte d'autobiographie musicale? Marc Cerrone: Pour tout artiste, chaque disque est un peu l'autobiographie du moment. Surtout lorsqu'il s'agit d'une personne telle que moi, qui n'ait jamais cherché à tout prix le succès. Mais vous reprenez bien vos anciens succès sur ce disque... Cela s'est fait naturellement. J'ai pris les platines il y a un peu plus de huit ans sur les conseils de ma maison de disques: je trouvais la demande étrange, mais j'étais tout de même très excité car cela me permettait de prendre part à des festivals auxquels je n'aurais jamais pu prétendre auparavant. J'ai donc choisi une console, que j'ai bourrée de samples, de cordes, de cuivres, de belles guitares, de titres issus du catalogue que je détiens, étant mon propre producteur. Et puis j'ai commencé à me lancer dans une série, à prendre des risques, alors qu'évidemment le public s'attendait à ce que je passe les originaux. Au fur et à mesure, je les ai modifiés, gardant les a cappella, balançant la base d'un autre titre, pour concevoir un live set. Quelques titres ont fini par émerger. Mon entourage, ma maison de disques et le public ont apprécié, alors que j'avais pourtant tenté de jouer les remix de mes morceaux que de grands DJs avaient réalisés, et dont les spectateurs ne voulaient pas. J'étais donc condamné à jouer les vintages, mais en les faisant évoluer. À en donner une relecture?Comme l'on peut en faire en live avec des musiciens. Sauf que dans le cas présent, j'étais tout seul. Raison pour laquelle le disque s'intitule "Cerrone by Cerrone". Cela devait rester un concept: le disque fait une heure et une minute. Il s'agit d'un set conçu pour entrer chez les gens et les accompagner dans les fêtes, lequel prend la forme d'un pack d'une heure, raison pour laquelle j'ai voulu conserver le même chanteur tout au long des morceaux.Au contraire du disco, on a l'impression que la techno ne vous séduit pas vraiment...Le titre "Supernature" a largement influencé la techno qui reste de la musique discothèque, avec des sonorités plus aiguës. Personnellement, j'apprécie le côté black, le son rond, un peu soul et classe. La techno est plus dure, et "Supernature" possédait une sonorité un peu froide, mais mon jeu de basse et de batterie l'a sans doute arrondi pour le situer dans les prémices de l'électro, plutôt que de la techno. Avez-vous des accointances avec Don Henley des Eagles, qui est également batteur, compositeur et interprète?Non, ni avec Dave Grohl. D'ailleurs, aujourd'hui, la nouvelle génération de batteurs fait techniquement très mal, et je me situerais loin derrière. Mais quand je croise de grands drummers, tous me disent: "Personne n'a promu l'instrument batterie auprès du grand public comme tu l'a fait". Sur le plan technique et talent par contre...Si vous n'êtes pas le plus technique, vous possédez un sens inné du groove?Raison pour laquelle j'ai beaucoup été samplé, ce qui m'a permis de traverser les époques et les générations, d'être associé à de nouveaux tubes. Pourquoi exhibiez-vous des femmes nues sur vos pochettes à l'époque? Uniquement par provocation?Pas du tout. Lors de mon premier album, "Love In C Minor", que j'ai enregistré dans le studio mythique Trident à Londres, le dernier soir à la fin du mixage, pour remercier mes collaborateurs, je les ai conviés au studio avec champagne et petits fours, accompagné de la musique du disque terminé, afin de privilégier l'esprit de groupe plutôt que d'apparaître comme le leader. Les choristes qui avaient participé à l'enregistrement ont commencé à produire des gémissements pour se marrer. J'ai dit à mon ingénieur de tout enregistrer. Avec leur permission, j'ai tout gardé. Sortant de là, il m'est apparu évident que la pochette devait avoir un sens un peu sexué. Ce qui correspond bien avec le côté soyeux de la musique, un peu dentelle, déshabillé. Et puis le disco a ce côté un peu érotisant...N'oublions pas que la pilule venait d'arriver et que de ce fait la société était très branchée sexe: on pouvait baiser sans accident. D'un seul coup, les nanas n'étaient pas obligées d'attendre d'être mariées pour se faire sauter. Il y a ensuite l'irruption des discothèques, concept qui n'existait pas avant 1974: le night-club consistait en une demi-heure de slow, une autre de rapide, en diffusant toutes les chansons que le public entendait en radio. L'inverse des discothèques, qui allaient proposer de la musique spécifiquement conçue pour ces nouveaux lieux qui combinaient la nuit, l'alcool, le corps qui transpire, qui bouge... tout cela était très excitant.À bien observer votre parcours, on se rend compte que l'on pouvait devenir célèbre aux USA sans connaître un mot d'anglais... Oui. Aujourd'hui, tout le monde parle un peu anglais, l'apprend en classe, mais à l'époque, je devais me déplacer avec un traducteur, ce qui amusait beaucoup mes interlocuteurs américains. (il rit) Un entretien d'Aristide Padigreaux