Icônes du rock alternatif au tournant des années 80, les Throwing Muses qui voisinaient avec les Pixies, existent encore, portés par sa cofondatrice Kristin Hersh, laquelle poursuit en parallèle une carrière solo tout en menant un autre projet collectif, 50 Foot Wave. Son nouvel essai solitaire, Clear Pound Road signe encore l'originalité de sa démarche, de son timbre râpeux, émotionnel, de son style tout en joie étouffée, en rage rentrée voire en tristesse contenue. Kristin en parle d'ailleurs joyeusement...

Le journal du Médecin: Alors que cet album est plutôt positif, la dixième et dernière chanson "Tunnels"semble emplie de tristesse...

Kristin Hersh : Elle évoque l'effondrement mental d'un partenaire à qui son conjoint ne peut venir en aide. Ceci alors que le reste de l'album se révèle amusant, plein d'entrain et positif. Par contre, ce dernier morceau, bien qu'empli de douceur à l'image du reste de l'album, se révèle au final tragique. "Clear Pound Road" se déploie de manière séquentielle à la façon d'une pièce de théâtre, scène après scène jusqu'à l'acte final où soudain tout s écroule devant cette révélation : lorsque votre partenaire, c'est-à-dire votre solidité, votre fondement s'écroule, vous tombez aussi. Je ne souhaitais pas que ce disque soit tragique, mais il tourne un peu en tragédie en fin de compte. (elle rit)

Auteur d'une autobiographie et d'un livre sur votre ami, le rocker canadien Vic Chesnutt notamment, je me demandais si, lorsque vous composez, les paroles surgissaient les premières?

Non. C'est toujours la musique, car les paroles sont amplifiées par un autre instrument, ma voix, qui est omniprésente. Certaines personnes se contentent de chanter. Personnellement, je ne chante jamais, exigeant de ma voix qu'elle produise autre chose. C'est souvent très peu attrayant, car je ne cherche pas à la mettre en avant: je vocalise tout simplement. Mais parfois, c'est vrai, on à l'impression que je chante... (elle rit)

Une sorte de transposition vocale de la poétesse Sylvia Plath?

(elle rit) C'est peut-être vrai, les paroles devraient pouvoir tenir toutes seules, débarrassées de musique. On devrait être capable de les regarder sur la page et observer qu'elles résistent en tant que structure, en tant qu'élément corporel.

Mais je ne souhaite pas les dépouiller de leur musique, car il ne s'agit pas de poésie. Les paroles sont certes poétiques, mais se coulent dans la musique et ne jouent qu'un seul rôle. Ma musique ne doit pas servir de scène, de plateforme aux mots, à mes pensées. D''ailleurs les paroles ne sont pas toujours de l'ordre de mon ressenti, de mes émotions; Je ne m'exhibe pas en dansant des claquettes. Et même si je tentais de le faire, j'en serais incapable. Tout comme Sylvia Plath! (rires)

Catharsis

La musique est-elle une catharsis pour vous ?

Probablement... mais j'espère que non. J'essaie de vider mon sac avant d'entrer dans la chanson. Au sein de mes deux groupes et en solo, la musique n'est au départ pas faite pour être enregistrée et diffusée. Nous jouons d'abord pour être dans le flow et il arrive parfois que nous enregistrions les résultats. Le disque ne représente qu'une infime partie de ce que nous considérons comme notre vie musicale. Mais j'ai besoin de la catharsis, de l'événement musculaire qui consiste à jouer de la musique. J'en ressens le besoin physiquement. Et puis la chanson s'estompe entre mes mains et la guitare, dans le bruit, ou même dans le silence des morceaux acoustiques. Mais j'espère que la catharsis se produit avant que la chanson ne soit écrite. Bien que ces compositions soient autobiographiques, il ne peut s'agir uniquement de moi. La chanson doit m'utiliser... et non l'inverse

Kristin Hersh serait-elle une version acoustique des Throwing muses ou de 50 Foot Wave?

Oui. Sauf que je continue à faire des disques bruyants. Mon album solo précédent, Possible Dust Clouds se révélait par exemple plus "noisy" que celui de ces deux groupes. Au départ, je n'avais pas l'intention d'entreprendre une carrière solo, mais je me suis sentie piégée par Warner Bros, notre label à l'époque. Afin qu'ils nous laissent partir, j'ai proposé d'enregistrer un album solo, parce que j'étais la seule "Muse" à leurs yeux. Et le label a fini par accepter.

Mon premier album solo visait donc à faire résilier le contrat de Throwing Muses avec Warner. Mais cette première expérience solo m'a permis de comprendre qu'au niveau de l'industrie musicale, les Throwing Muses était un groupe dont personne ne se souciait. Raison pour laquelle j'ai créé Cash Music en 2007, bien avant le système de Crowdfunding.

Bipolaire

Vous avez souffert de troubles bipolaires. Existerait-il dès lors une sorte de bipolarité musicale entre Kristin Hersh en tant qu'artiste solo d'une part, les Throwing Muses et 50 Foot Wave de l'autre ?

Oui. Car chaque chanson requiert un traitement différent. Je pourrais avoir 50 groupes et ne pas être capable de suivre ce que les chansons attendent de moi. Et c'est parfait! Ce que je préfère, c'est entrer en studio au début d'une session d'enregistrement en connaissant exactement tous les overdubs que je souhaite utiliser, en sachant où je vais placer le micro, quelles parties de cymbales je vais choisir. Je pense ainsi maîtriser tous les éléments et pourtant je me trompe toujours... je reste donc modeste (elle rit)

Vic Chesnutt vous a-t-il inspirée et poussée, à vous lancer à votre tour dans une carrière solo ? Car cet album m'y a fait penser...

Oui bien sûr. Vic était tellement doué pour jouer "petit".J'aimais trop le bruit et je me cachais derrière, étant très timide. Je ne voulais pas être au centre, au premier rang, devant le micro. Je voulais juste rester en retrait et me perdre dans la musique. Vic m'a fait comprendre que l'on pouvait se perdre dans la musique tout en "se crucifiant" devant tout le monde. Une sorte d'art qui n'oublie pas le divertissement. Il disait: "c'est notre travail de trouver un équilibre entre les deux et de nous montrer ". Vic pouvait rester assis là sur scène en silence pendant très longtemps. J'ai finalement réalisé qu'il utilisait le silence comme un son, et la pause comme une mesure. L'on vient de découvrir que notre ouïe entend le silence comme un son... Une sorte de victoire posthume pour Vic Chesnutt (elle sourit).

Il utilisait un mur de silence comme vous utilisiez un mur de... sons?

Oui. J'avoue que je me suis beaucoup amusé lorsque l'on m'a demandé de rédiger un livre à son sujet.

Synesthésie

Quelle est l'influence d'Allen Ginsberg sur ce que vous écrivez, vous qui l'avez rencontrer enfant?

Aucune (elle rit).Ginsberg a tout simplement écrit un poème à mon attention lorsque j'étais enfant. Mon vieil hippie de père vient d'ailleurs de me le renvoyer. Je n'ai pas vraiment lu Ginsberg, si ce n'est ce poème qui m'était dédié.

Vous êtes apparemment "victime" de synesthésie: vous voyez des accords musicaux en couleurs.... Quelles sont dès lors les couleurs de cet album?

Excellente question (elle rit). Une anecdote d'abord: je venais d'entrer dans un saloon de La Nouvelle-Orléans, Le pianiste a joué un accord, un accord long et complexe, puis s'est arrêté m'a regardé et a dit : " Kris, de quelle couleur s'agit-il ? " Et j'ai répondu : Oh, eh bien, c'est bordeaux, mais il y a un peu d'orange brûlé à la fin. Et tout le monde d'acquiescer.

Mais ce disque est en fait aussi un bordeaux argenté avec une bordure jaune, dorée. Et si je ne l'avais pas su, je n'aurais pas eu le courage d'atténuer l'effet de production, qui est extrêmement acoustique, mais bizarrement, rigide dans le rythme qui n'a pas une forme décontractée. Il s'agit donc de combiner la douceur décontractée de la technique sonore à chaque rythme, comme si l'on souffrait d'arythmie cardiaque tout en cherchant à en atténuer les effets. Le résultat m'est apparu très chatoyant, tout en étant très ancré dans une sorte de couleur douce-amère, comme le bordeaux... voire une bouteille de vin du même nom. (elle rit)

Kristin Hersh. Clear Pond Road. Fire Records.

Icônes du rock alternatif au tournant des années 80, les Throwing Muses qui voisinaient avec les Pixies, existent encore, portés par sa cofondatrice Kristin Hersh, laquelle poursuit en parallèle une carrière solo tout en menant un autre projet collectif, 50 Foot Wave. Son nouvel essai solitaire, Clear Pound Road signe encore l'originalité de sa démarche, de son timbre râpeux, émotionnel, de son style tout en joie étouffée, en rage rentrée voire en tristesse contenue. Kristin en parle d'ailleurs joyeusement...Le journal du Médecin: Alors que cet album est plutôt positif, la dixième et dernière chanson "Tunnels"semble emplie de tristesse... Kristin Hersh : Elle évoque l'effondrement mental d'un partenaire à qui son conjoint ne peut venir en aide. Ceci alors que le reste de l'album se révèle amusant, plein d'entrain et positif. Par contre, ce dernier morceau, bien qu'empli de douceur à l'image du reste de l'album, se révèle au final tragique. "Clear Pound Road" se déploie de manière séquentielle à la façon d'une pièce de théâtre, scène après scène jusqu'à l'acte final où soudain tout s écroule devant cette révélation : lorsque votre partenaire, c'est-à-dire votre solidité, votre fondement s'écroule, vous tombez aussi. Je ne souhaitais pas que ce disque soit tragique, mais il tourne un peu en tragédie en fin de compte. (elle rit) Auteur d'une autobiographie et d'un livre sur votre ami, le rocker canadien Vic Chesnutt notamment, je me demandais si, lorsque vous composez, les paroles surgissaient les premières? Non. C'est toujours la musique, car les paroles sont amplifiées par un autre instrument, ma voix, qui est omniprésente. Certaines personnes se contentent de chanter. Personnellement, je ne chante jamais, exigeant de ma voix qu'elle produise autre chose. C'est souvent très peu attrayant, car je ne cherche pas à la mettre en avant: je vocalise tout simplement. Mais parfois, c'est vrai, on à l'impression que je chante... (elle rit)Une sorte de transposition vocale de la poétesse Sylvia Plath?(elle rit) C'est peut-être vrai, les paroles devraient pouvoir tenir toutes seules, débarrassées de musique. On devrait être capable de les regarder sur la page et observer qu'elles résistent en tant que structure, en tant qu'élément corporel. Mais je ne souhaite pas les dépouiller de leur musique, car il ne s'agit pas de poésie. Les paroles sont certes poétiques, mais se coulent dans la musique et ne jouent qu'un seul rôle. Ma musique ne doit pas servir de scène, de plateforme aux mots, à mes pensées. D''ailleurs les paroles ne sont pas toujours de l'ordre de mon ressenti, de mes émotions; Je ne m'exhibe pas en dansant des claquettes. Et même si je tentais de le faire, j'en serais incapable. Tout comme Sylvia Plath! (rires) La musique est-elle une catharsis pour vous ? Probablement... mais j'espère que non. J'essaie de vider mon sac avant d'entrer dans la chanson. Au sein de mes deux groupes et en solo, la musique n'est au départ pas faite pour être enregistrée et diffusée. Nous jouons d'abord pour être dans le flow et il arrive parfois que nous enregistrions les résultats. Le disque ne représente qu'une infime partie de ce que nous considérons comme notre vie musicale. Mais j'ai besoin de la catharsis, de l'événement musculaire qui consiste à jouer de la musique. J'en ressens le besoin physiquement. Et puis la chanson s'estompe entre mes mains et la guitare, dans le bruit, ou même dans le silence des morceaux acoustiques. Mais j'espère que la catharsis se produit avant que la chanson ne soit écrite. Bien que ces compositions soient autobiographiques, il ne peut s'agir uniquement de moi. La chanson doit m'utiliser... et non l'inverseKristin Hersh serait-elle une version acoustique des Throwing muses ou de 50 Foot Wave? Oui. Sauf que je continue à faire des disques bruyants. Mon album solo précédent, Possible Dust Clouds se révélait par exemple plus "noisy" que celui de ces deux groupes. Au départ, je n'avais pas l'intention d'entreprendre une carrière solo, mais je me suis sentie piégée par Warner Bros, notre label à l'époque. Afin qu'ils nous laissent partir, j'ai proposé d'enregistrer un album solo, parce que j'étais la seule "Muse" à leurs yeux. Et le label a fini par accepter. Mon premier album solo visait donc à faire résilier le contrat de Throwing Muses avec Warner. Mais cette première expérience solo m'a permis de comprendre qu'au niveau de l'industrie musicale, les Throwing Muses était un groupe dont personne ne se souciait. Raison pour laquelle j'ai créé Cash Music en 2007, bien avant le système de Crowdfunding. Vous avez souffert de troubles bipolaires. Existerait-il dès lors une sorte de bipolarité musicale entre Kristin Hersh en tant qu'artiste solo d'une part, les Throwing Muses et 50 Foot Wave de l'autre ? Oui. Car chaque chanson requiert un traitement différent. Je pourrais avoir 50 groupes et ne pas être capable de suivre ce que les chansons attendent de moi. Et c'est parfait! Ce que je préfère, c'est entrer en studio au début d'une session d'enregistrement en connaissant exactement tous les overdubs que je souhaite utiliser, en sachant où je vais placer le micro, quelles parties de cymbales je vais choisir. Je pense ainsi maîtriser tous les éléments et pourtant je me trompe toujours... je reste donc modeste (elle rit)Vic Chesnutt vous a-t-il inspirée et poussée, à vous lancer à votre tour dans une carrière solo ? Car cet album m'y a fait penser...Oui bien sûr. Vic était tellement doué pour jouer "petit".J'aimais trop le bruit et je me cachais derrière, étant très timide. Je ne voulais pas être au centre, au premier rang, devant le micro. Je voulais juste rester en retrait et me perdre dans la musique. Vic m'a fait comprendre que l'on pouvait se perdre dans la musique tout en "se crucifiant" devant tout le monde. Une sorte d'art qui n'oublie pas le divertissement. Il disait: "c'est notre travail de trouver un équilibre entre les deux et de nous montrer ". Vic pouvait rester assis là sur scène en silence pendant très longtemps. J'ai finalement réalisé qu'il utilisait le silence comme un son, et la pause comme une mesure. L'on vient de découvrir que notre ouïe entend le silence comme un son... Une sorte de victoire posthume pour Vic Chesnutt (elle sourit). Il utilisait un mur de silence comme vous utilisiez un mur de... sons?Oui. J'avoue que je me suis beaucoup amusé lorsque l'on m'a demandé de rédiger un livre à son sujet. Quelle est l'influence d'Allen Ginsberg sur ce que vous écrivez, vous qui l'avez rencontrer enfant? Aucune (elle rit).Ginsberg a tout simplement écrit un poème à mon attention lorsque j'étais enfant. Mon vieil hippie de père vient d'ailleurs de me le renvoyer. Je n'ai pas vraiment lu Ginsberg, si ce n'est ce poème qui m'était dédié.Vous êtes apparemment "victime" de synesthésie: vous voyez des accords musicaux en couleurs.... Quelles sont dès lors les couleurs de cet album?Excellente question (elle rit). Une anecdote d'abord: je venais d'entrer dans un saloon de La Nouvelle-Orléans, Le pianiste a joué un accord, un accord long et complexe, puis s'est arrêté m'a regardé et a dit : " Kris, de quelle couleur s'agit-il ? " Et j'ai répondu : Oh, eh bien, c'est bordeaux, mais il y a un peu d'orange brûlé à la fin. Et tout le monde d'acquiescer. Mais ce disque est en fait aussi un bordeaux argenté avec une bordure jaune, dorée. Et si je ne l'avais pas su, je n'aurais pas eu le courage d'atténuer l'effet de production, qui est extrêmement acoustique, mais bizarrement, rigide dans le rythme qui n'a pas une forme décontractée. Il s'agit donc de combiner la douceur décontractée de la technique sonore à chaque rythme, comme si l'on souffrait d'arythmie cardiaque tout en cherchant à en atténuer les effets. Le résultat m'est apparu très chatoyant, tout en étant très ancré dans une sorte de couleur douce-amère, comme le bordeaux... voire une bouteille de vin du même nom. (elle rit)