Le Musée Guggenheim Bilbao fête cette année ses 25 ans. Les festivités de ce musée emblématique, conçu par Frank O. Gehry, débuteront avec Jean Dubuffet, artiste d'avant-garde.
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Le Guggenheim à Bilbao est plus qu'un musée. Ce bâtiment unique est devenu un point de repère pour la ville Euskadi. L'architecture et l'art ont réussi à guérir en quelque sorte cette région ravagée par des décennies de terreur et de répression. Le Guggenheim Bilbao a non seulement donné aux Basques un nouveau sentiment de fierté, mais a également contribué de manière significative au développement économique et touristique de toute la région. Une région magnifique, d'ailleurs, de par ses côtes rocheuses, ses villes pittoresques et sa gastronomie considérée comme une des meilleures au monde. Tout y est. Le premier temps fort de cette année anniversaire est l'exposition rétrospective de Jean Dubuffet, l'un des pionniers de l'art d'avant-garde et, dans un certain sens, l'artiste de cour de la famille Guggenheim. Pas moins de trois fois, l'artiste français a été invité à une grande exposition au Solomon R. Guggenheim Museum de New York (1966-1972-1981). Au total, le musée a acheté une cinquantaine de peintures et quelque 300 dessins de Dubuffet depuis 1959. Peggy Guggenheim a fait de même avec douze achats pour sa collection à Venise. C'est pourquoi, en cette année festive, le Guggenheim Bilbao rend hommage à cet artiste unique qui a influencé durablement l'art. Avec Picasso, il est l'un des artistes les plus importants du 20e siècle, qui a donné un nouveau sens au terme "art". Bien qu' il se soit, contrairement au maître espagnol, épanoui tardivement. Dubuffet avait déjà la quarantaine lorsqu'il a échangé son emploi de marchand de vin contre une existence incertaine d'artiste. La base de son développement artistique est le célèbre livre du Dr Hanz Prinzhorn, Expressions de la Folie, dans lequel le médecin décrit les activités artistiques des personnes atteintes d'un handicap mental, qui seront plus tard qualifiées d'"art brut". Inspiré par ce livre, Dubuffet a jeté par-dessus bord toutes les conventions académiques pour explorer de nouveaux horizons artistiques. En pleine Seconde Guerre mondiale, dans le Paris occupé par les nazis, il décide de renoncer à sa vie et se lance, dans son atelier, dans une aventure artistique qui va repousser les limites de l'art. Dès les années 1940, il a commencé à expérimenter ce que l'on pourrait appeler la peinture sculpturale. Il a introduit tous les matériaux possibles dans ses tableaux: pierres, cristaux, sable, corde, verre, papier d'aluminium, huile, toutes sortes d'objets, etc. Révolutionnaire à l'époque. Son influence va des styles extrêmes de Bram Bogart à l'art d'assemblage de Robert Rauschenberg et Roger Raveel. Voire même le pop art, et Andy Warhol. Oui, même le monde de la publicité sont redevables à l'artiste français. L'art de la goutte trouve également son origine dans les expériences de Dubuffet. "L'art doit toujours faire un peu rire et faire un peu peur. Tout mais pas ennuyer", disait l'artiste français. Son art est loin d'être ennuyeux. Il se réinvente constamment (et réinvente l'art). Ainsi, au fil des ans, l'ensemble de la collection a constitué un panorama historique de l'art moderne des années 1940 aux années 1980. Dubuffet s'interroge constamment sur lui-même et sur son art, déplaçant encore et encore les frontières de l'art. Il expérimente les réactions chimiques des différents composants, ajoute des objets à ses tableaux, utilise des supports en mousse ou en polyester, de la peinture vinylique ou de la peinture acrylique, et crée ainsi sans cesse de surprenants spectacles visuels. Il faut parfois chercher pendant plusieurs minutes avant de découvrir des masques et/ou des formes dans les formes apparemment abstraites d'un monde aliénant. Avec Asger Jorn, il réalise même des peintures musicales, bien que le mot musique soit peut-être trop grand pour les sons qu'il produit. Il est constamment à la recherche de l'ordre dans le chaos, ou vice versa du chaos dans l'ordre. Ce n'est pas un hasard si Dubuffet a repris ses pinceaux pendant la Seconde Guerre mondiale. Son oeuvre témoigne d'une profonde aliénation de l'humanité, mais non sans y ajouter une étincelle d'espoir.