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Le journal du Médecin: Comment est né le Record Store Day? Yves Deblander: Il est né aux USA en 2008, en prenant le Comic Book Day comme exemple: des tirages exclusifs de bédé étaient réalisés à cette occasion, le procédé a été adapté au marché du vinyle. En général, cette initiative, qui fut lancée en 2009, se déroule en Europe et dans le monde le troisième week-end d'avril, sauf événement exceptionnel comme le covid. Depuis le début de la pandémie, il y a eu plusieurs séances de rattrapage au cours des années 2020 et 2021, ceci en partie du fait des confinements. Dans le cas de l'édition 2022, les organisateurs ont mis en avant l'argument du non-suivi par les usines de pressage pour réaliser une deuxième session en juin. Du fait du timing, les usines de pressage sont en effet dans l'incapacité de tout délivrer en temps et en heure. Quelque 400 références, albums, maxi 45 tours sortent le jour du Record Store Day, les pressages variant d'un pays à l'autre. On compte également quelques sorties CD, mais cela reste marginal. Le covid a-t-il diminué l'impact du Record Store Day ? Non, nous restons au niveau des 400 références, et il y a des artistes pour qui chaque année sort un tirage exclusif, qu'il s'agisse de Bowie, Cure, U2, des Stones ou Prince, soit un 45 ou un 33 tours. À votre niveau, depuis quand la vente du vinyle a-t-elle dépassé celle du CD? En valeur financière, le vinyle est plus important car plus onéreux. En termes quantitatifs, il est devenu majoritaire depuis sept ans. Certains artistes décident de ne sortir leur vinyle qu'à l'occasion du Record Store Day: le principe étant que l'on édite un pressage disponible uniquement à cette date. S'il ne se vend pas bien, on le retrouve lors de l'édition suivante. Il existe d'ailleurs des titres du Record Store Day d'artistes connus, sortis voici quatre ans, que l'on peut encore commander, même si c'est plutôt rare. Comment le Record Store Day se traduit-il au niveau de votre magasin? C'est un jour où tous les collectionneurs débarquent: une file d'une vingtaine de personnes se constitue rapidement dès le matin devant le magasin. Certains font le "pèlerinage" du Record Store Day : ils sont à Bruxelles à 9h45 devant le magasin, à 10h15 ils sont partis, font le tour des autres disquaires indépendants bruxellois qui participent, et puis filent à Gand et Anvers. Les disques ne peuvent être réservés, les disquaires n'étant pas certains de pouvoir les commander. Mais nous sommes à l'écoute de la clientèle. Si l'on nous demande trois fois le Primal Scream du Record Store Day, nous en prenons cinq ou six afin de contenter ceux qui le désireraient. Mais nous ne pouvons pas réserver les disques: il faut jouer le jeu et intégrer la file. Il ne resterait que deux usines de pressage au monde, la plus importante se situant aux États-Unis? C'est faux. Jack White possède sa propre usine de pressage, par exemple... Il est également producteur et presse des labels. Je suis convaincu qu'il en existe d'autres, dans les pays de l'Est notamment. Le problème au niveau des usines se situe dans le fait que cette technologie n'est pas si évidente à répliquer: il manque d'ingénieurs afin de réparer les machines existantes, semble-t-il... L'industrie musicale est à nouveau en pleine progression depuis 2017. Désormais, la vente en streaming, en ligne, a dépassé la vente physique... Sans doute, mais à notre niveau, nous constatons une augmentation de la vente de vinyles et même de CDs... Un retour étonnant du CD que, personnellement, j'explique dans le cas des musiques urbaines - rap et hip-hop: dans ces genres musicaux, les vinyles se révèlent bien plus onéreux que la moyenne de ceux qui concernent le rock, la chanson française ou le jazz. Au niveau de ces musiques dites urbaines, un Kanye West, un Mac Miller vendent un vinyle à 50 euros, prix de vente public auquel les jeunes achètent, puisqu'ils écoutent majoritairement ces musiques-là, comme Orelsan. Un dernier Mac Miller est sorti l'an dernier, un album soi-disant oublié, vendu à 95 euros ; le dernier album de Damso coûtait 59 euros. Les jeunes, qui ont déjà du mal à posséder une platine, achètent des vinyles parfois avant même d'avoir une platine et se créent une pré-collection avant de pouvoir l'écouter - c'est une mode actuellement. Puis, ils se rendent compte qu'ils peuvent acheter le Kanye West à 9,90 euros le CD. Parce qu'une fois passées les ventes massives du début, ce format tombe rapidement dans le midprice en ce qui concerne le hip-hop: soit le jeune fan l'achète à 9,90 en CD, soit à 60 en vinyle... Le calcul est vite fait. La présence physique de la musique va-t-elle se perpétuer? Je le crois. Bien que cela restera marginal. Dans l'univers des personnes qui écoutent de la musique, le streaming domine. Mais ce qui est intéressant avec le retour du support physique, par rapport à ce qui se passait il y a 15 ou 20 ans, c'est que la jeunesse revient au format "album". Auparavant, on écoutait ces plateformes en random au hasard, en picorant au travers de playlists. Les jeunes achètent à nouveau un album, une continuité, et reviennent à ce format, face A et B, et ne choisissent pas forcément la formule playlists de morceaux connus. On voit par exemple avec TikTok que l'album le plus vu de l'année dernière est "Rumours" de Fleetwood Mac! Parce que popularisé à nouveau par TikTok: ces jeunes ont découvert l'une ou l'autre de ses chansons mythiques, et de ce fait nous nous retrouvons à vendre cet album vieux de 45 ans à des clients de 18 ans.