Le journal du Médecin :Comment en êtes-vous arrivé à vous intéresser à cette maladie contemporaine qu'est le burn out?

François Pirot:

En effet, on peut voir ce qui arrive à Mathieu, interprété par Jérémie Renier, comme une espèce de burn out. Le corps n'arrive plus à avancer, quelque chose de physique en lien avec le mental qui dit: "stop". Mais je n'ai pas voulu forcément prendre ce mal-être pour point de départ et lui donner une forme cinématographique. J'ai imaginé un personnage dépassé par la vie qui, quelque part, à la fois parce qu'il en a besoin et parce que la nature l'appelle au travers de la vision d'un cerf, déconnecte complètement, s'extrait, effectue un pas de côté complet pendant quelques jours, ce qui lui permet de revenir avec plus de lucidité et, je l'espère, pour dès lors être capable d'agir davantage sur sa propre vie.

Plus serein?

Oui, dans une forme d'apaisement. Ce personnage traverse l'existence comme un somnambule qui n'est plus vraiment maître de sa vie ; Mathieu effectue les tâches qu'il doit effectuer: aller voir son père, essayer de faire fonctionner ce chantier dont le devis a été accepté par son patron mais qui n'est pas réaliste, ceci tandis que sa femme souhaite divorcer et qu'il fait l'autruche.

Il subit?

Complètement, il ne dispose plus d'espace mental pour pouvoir prendre une décision, être plus serein et maître de sa propre vie. Quelque part, cela fait référence à cette sorte de maladie contemporaine: les gens n'ont pas, n'ont plus ou pensent ne plus avoir la possibilité de faire un pas de côté. Mais ce n'est pas un film à thèse. Ce qu'il défend, c'est qu'il faut pouvoir s'octroyer la possibilité de faire un pas de côté, même si cela peut aller à l'encontre des autres, geste que l'on pourrait considérer comme égoïste, dans cette idée de s'extraire et de, quelque part, laisser les autres se débrouiller. Mais en même temps, par moment, c'est peut-être nécessaire. Il faut sans doute pouvoir dans la vie aussi s'octroyer des moments qui sont des vrais pas de côté, où l'on s'extrait complètement, on se déconnecte, ce qui permet de retrouver un équilibre.

Dans notre société hyperconnectée où la question du rendement est souvent mise en avant, cela me semble nécessaire de retrouver de telles zones, tels lieux ou temps. Ces moments et lieux propices à cet état engendrent une détente, permettent de retrouver quelque peu la maîtrise de soi-même: on retrouve une vraie attention dans une forme de contemplation. Cela permet également d'être plus à l'écoute, plus attentif à ce qu'il y a autour de nous. Finalement, et ça peut paraître paradoxal, cet isolement nous permet ensuite de mieux retrouver l'autre.

L'âme que cache la forêt

Un des grands personnages du film, c'est la forêt justement. Êtes-vous sensible à des 'thérapies' comme la sylvothérapie?

Oui, sensible car originaire des Ardennes. J'ai besoin très régulièrement d'aller en forêt, de ce shoot de nature, qui agit sur moi presque comme un médicament. Je m'en suis rendu compte en vivant en ville, et j'ai acquis une cabane en pleine nature, dans laquelle je vais le plus souvent possible, et qui n'est pas connectée à l'électricité ni à l'eau courante: un lieu à l'écart, à partir duquel je pars marcher.

Je crois évidemment aux vertus de la nature et de la forêt, mais cela m'étonne que l'on ait besoin d'en faire une forme de thérapie, comme si on avait besoin de rappeler que cela existe, alors que c'est très accessible, y compris dans les grandes villes.

Pensez-vous que le fait que Jérémie Renier soit le fils d'un kinésithérapeute lui soit bénéfique au niveau de son jeu d'acteur?

En tout cas, Jérémie est très preneur de ce travail un peu physique sur le corps, sur la détente, sur la méditation. C'est un acteur aussi clairement corporel. Raison pour laquelle je l'ai choisi, puisqu'il fallait qu'il dégage une présence physique. Le fait d'avoir eu un parent kinésithérapeute lui a sans doute fait plus facilement prendre conscience de son corps. Mon projet de film lui parlait, car lui-même est dans une phase de remise en question, dans un besoin pour le moment de décrocher. Jérémie n'est pas dans les bois pour le moment, mais il est parti en Arctique dans une aventure très belle, un peu dangereuse et extrême: il cherchait à se dépasser, souhaitait faire dans sa vie ce pas de côté dont je parle dans le film.

Home sweet home... des bois

Jackie Berroyer, déjà présent dans votre premier film "Mobile Home", est un peu votre porte-bonheur...

Je suis assez attiré par la description des personnes plus âgées. Il y avait déjà deux pères dans "Mobile Home", mon film de fiction précédent, dont Jackie avec qui j'ai sympathisé à l'époque.

Notre société est de plus en plus composée de personnes âgées, une réalité qui n'est pas beaucoup montrée au cinéma. Je souhaitais montrer un personnage - celui du père de Mathieu - qui a du mal à vivre cette vie, à tenir son rôle, pour qui la maladie est une forme d'occupation. Maladie terrible bien entendu, mais pour cette personne âgée en tout cas, qui devient veuve puis tombe malade, la maladie est également une manière de recréer un lien avec son fils. Ce genre de personne un peu déprimée qui, suite au décès de sa femme ou de son mari, n'a pas encore réussi vraiment à retrouver une autre façon de vivre et qui, guéri, continue à se présenter comme souffrant.

Se prétendre encore malade est une manière de se retrouver à nouveau entouré?

Et d'être également dans une forme d'action, au travers des examens et consultations médicales. Le personnage de Jacky est paniqué à l'idée de ne plus être malade, ce qui signifie reprendre sa vie en main, un sujet que je traite de façon plutôt humoristique.

Pour conclure, tous les personnages du film se trouvent à la lisière?

Ils sont à la lisière d'une forêt de choix possibles, et sans doute apeurés à l'idée de la transformation qu'ils impliquent.

La forêt soigne

Croulant sous le stress et les responsabilités, Mathieu, architecte et chef de chantier sur le point de divorcer, ne tourne pas rond, et en rond sur son tracteur tondeuse, semblant enfermé dans un cercle vicieux.

Un jour, dans le jardin de sa maison en bord de forêt, surgit un cerf, qu'il suit et qui le conduit en forêt au bord d'un étang à l'eau turquoise, où l'homme de 40 ans prend le temps et suspend son vol...

Son geste questionne son épouse sur le départ, son père, son voisin et ami, son patron... À leur tour, tous se remettent en question, cherchent à retrouver la racine de leurs désirs, leur arbre vital que cache la forêt d'embûches de leurs vies étriquées.

Privilégier l'hêtre au néant

Déjà auteur du remarqué "Mobile Home" en 2012, notre compatriote François Pirot signe un film de personnages à l'orée qui n'osent entrer dans la forêt de leur vie pleine de mystère, de dangers mais aussi d'aventures.

Soutenu par une formidable direction d'acteurs déjà excellents dont Jérémie Renier et Jean-Luc Bideau, le film rend parfaitement, par son côté immobile, l'hésitation des protagonistes et, par son regard et sa lenteur, la contemplation et la sérénité qu'il invite ses personnages - et les spectateurs? - à retrouver.

Car la forêt soigne...

Le journal du Médecin :Comment en êtes-vous arrivé à vous intéresser à cette maladie contemporaine qu'est le burn out? François Pirot:En effet, on peut voir ce qui arrive à Mathieu, interprété par Jérémie Renier, comme une espèce de burn out. Le corps n'arrive plus à avancer, quelque chose de physique en lien avec le mental qui dit: "stop". Mais je n'ai pas voulu forcément prendre ce mal-être pour point de départ et lui donner une forme cinématographique. J'ai imaginé un personnage dépassé par la vie qui, quelque part, à la fois parce qu'il en a besoin et parce que la nature l'appelle au travers de la vision d'un cerf, déconnecte complètement, s'extrait, effectue un pas de côté complet pendant quelques jours, ce qui lui permet de revenir avec plus de lucidité et, je l'espère, pour dès lors être capable d'agir davantage sur sa propre vie. Plus serein? Oui, dans une forme d'apaisement. Ce personnage traverse l'existence comme un somnambule qui n'est plus vraiment maître de sa vie ; Mathieu effectue les tâches qu'il doit effectuer: aller voir son père, essayer de faire fonctionner ce chantier dont le devis a été accepté par son patron mais qui n'est pas réaliste, ceci tandis que sa femme souhaite divorcer et qu'il fait l'autruche. Il subit? Complètement, il ne dispose plus d'espace mental pour pouvoir prendre une décision, être plus serein et maître de sa propre vie. Quelque part, cela fait référence à cette sorte de maladie contemporaine: les gens n'ont pas, n'ont plus ou pensent ne plus avoir la possibilité de faire un pas de côté. Mais ce n'est pas un film à thèse. Ce qu'il défend, c'est qu'il faut pouvoir s'octroyer la possibilité de faire un pas de côté, même si cela peut aller à l'encontre des autres, geste que l'on pourrait considérer comme égoïste, dans cette idée de s'extraire et de, quelque part, laisser les autres se débrouiller. Mais en même temps, par moment, c'est peut-être nécessaire. Il faut sans doute pouvoir dans la vie aussi s'octroyer des moments qui sont des vrais pas de côté, où l'on s'extrait complètement, on se déconnecte, ce qui permet de retrouver un équilibre. Dans notre société hyperconnectée où la question du rendement est souvent mise en avant, cela me semble nécessaire de retrouver de telles zones, tels lieux ou temps. Ces moments et lieux propices à cet état engendrent une détente, permettent de retrouver quelque peu la maîtrise de soi-même: on retrouve une vraie attention dans une forme de contemplation. Cela permet également d'être plus à l'écoute, plus attentif à ce qu'il y a autour de nous. Finalement, et ça peut paraître paradoxal, cet isolement nous permet ensuite de mieux retrouver l'autre. Un des grands personnages du film, c'est la forêt justement. Êtes-vous sensible à des 'thérapies' comme la sylvothérapie? Oui, sensible car originaire des Ardennes. J'ai besoin très régulièrement d'aller en forêt, de ce shoot de nature, qui agit sur moi presque comme un médicament. Je m'en suis rendu compte en vivant en ville, et j'ai acquis une cabane en pleine nature, dans laquelle je vais le plus souvent possible, et qui n'est pas connectée à l'électricité ni à l'eau courante: un lieu à l'écart, à partir duquel je pars marcher. Je crois évidemment aux vertus de la nature et de la forêt, mais cela m'étonne que l'on ait besoin d'en faire une forme de thérapie, comme si on avait besoin de rappeler que cela existe, alors que c'est très accessible, y compris dans les grandes villes. Pensez-vous que le fait que Jérémie Renier soit le fils d'un kinésithérapeute lui soit bénéfique au niveau de son jeu d'acteur? En tout cas, Jérémie est très preneur de ce travail un peu physique sur le corps, sur la détente, sur la méditation. C'est un acteur aussi clairement corporel. Raison pour laquelle je l'ai choisi, puisqu'il fallait qu'il dégage une présence physique. Le fait d'avoir eu un parent kinésithérapeute lui a sans doute fait plus facilement prendre conscience de son corps. Mon projet de film lui parlait, car lui-même est dans une phase de remise en question, dans un besoin pour le moment de décrocher. Jérémie n'est pas dans les bois pour le moment, mais il est parti en Arctique dans une aventure très belle, un peu dangereuse et extrême: il cherchait à se dépasser, souhaitait faire dans sa vie ce pas de côté dont je parle dans le film. Jackie Berroyer, déjà présent dans votre premier film "Mobile Home", est un peu votre porte-bonheur... Je suis assez attiré par la description des personnes plus âgées. Il y avait déjà deux pères dans "Mobile Home", mon film de fiction précédent, dont Jackie avec qui j'ai sympathisé à l'époque. Notre société est de plus en plus composée de personnes âgées, une réalité qui n'est pas beaucoup montrée au cinéma. Je souhaitais montrer un personnage - celui du père de Mathieu - qui a du mal à vivre cette vie, à tenir son rôle, pour qui la maladie est une forme d'occupation. Maladie terrible bien entendu, mais pour cette personne âgée en tout cas, qui devient veuve puis tombe malade, la maladie est également une manière de recréer un lien avec son fils. Ce genre de personne un peu déprimée qui, suite au décès de sa femme ou de son mari, n'a pas encore réussi vraiment à retrouver une autre façon de vivre et qui, guéri, continue à se présenter comme souffrant. Se prétendre encore malade est une manière de se retrouver à nouveau entouré? Et d'être également dans une forme d'action, au travers des examens et consultations médicales. Le personnage de Jacky est paniqué à l'idée de ne plus être malade, ce qui signifie reprendre sa vie en main, un sujet que je traite de façon plutôt humoristique. Pour conclure, tous les personnages du film se trouvent à la lisière? Ils sont à la lisière d'une forêt de choix possibles, et sans doute apeurés à l'idée de la transformation qu'ils impliquent.