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La varicelle reste une maladie fréquente, et qui entraîne une certaine morbi-mortalité", explique la Dre Julie Frère (CHU de Liège). Une revue systématique de la littérature [1] a estimé le fardeau de la varicelle en Europe en l'absence d'un programme de vaccination universelle contre la varicelle chez l'enfant. Il serait substantiel, avec un total de 5,5 millions cas de varicelle survenant chaque année dans toute l'Europe. La majorité des cas (3 millions) se produiraient chez les enfants de moins de cinq ans. Chaque année, 3 à 4 millions de patients consulteraient un médecin, 18.000 à 23.000 seraient hospitalisés et 80 décès seraient liés à la varicelle. Selon les chiffres de Sciensano (Jacquinet et al, 2022), entre 2019 et 2022, l'incidence s'élevait à 150-200 cas/100.000 personnes année, avec environ 1.000 hospitalisations par an, surtout chez les moins de cinq ans. "Selon une étude prospective (Blumental et al, 2016) sur l'hospitalisation en Belgique, sur 550 cas en 2011-12 (seuls 14% avaient une comorbidité), 92% concernaient les 0-4 ans et 25% les moins d'un an. 65% présentaient une varicelle "compliquée": la majorité était des atteintes cutanées qu'il s'agisse de surinfection cutanée (27%) ou de cellulite (13%), suivies par des pneumonies (9%) et des complications neurologiques (10%)." Et le zona? Selon Sciensano, en 2021-2022, on a retrouvé 150 à 200 cas/100.000 personnes année, surtout chez les plus âgés. Varicelle et zona sont des maladies évitables grâce à la vaccination. En Belgique, trois vaccins sont actuellement disponibles pour la varicelle: deux vaccins monovalents, vivants atténués (Varilrix®, Varivax®), et un vaccin combiné (ProQuad®), vivant atténué, combinant Rougeole-Rubéole-Oreillons (RRO-V). "Les États-Unis vaccinent contre la varicelle depuis une vingtaine d'années, ils ont la plus grande quantité d'informations", précise Julie Frère. "En 1996, ils ont introduit un programme de vaccination à une dose administrée aux enfants âgés de 12-18 mois. Cette vaccination a montré une réduction de l'incidence globale de près de 90%, avec une diminution des visites ambulatoires de 88%, des hospitalisations de 59%, des coûts médicaux annuels liés à la varicelle de 74% et de la mortalité tous âges confondus."Les mêmes constatations sont faites en Allemagne: "Ils vaccinent depuis 2004, et les données entre 2005 et 2009 montrent progressivement une diminution de 55% du nombre de cas de varicelle, dans tous les groupes d'âge: non seulement chez les jeunes enfants qui sont concernés par la vaccination (64%, 0-4 ans), mais également chez les enfants plus âgés qui n'avaient pas été vaccinés contre la varicelle (38%, 5-9 ans)."Les infections cutanées sont un autre prisme pour analyser l'effet de la vaccination contre la varicelle. "Sophie Blumental (Blumental et al, 2016) a montré dans son étude que des enfants étaient hospitalisés pour des surinfections cutanées liées à la varicelle, une des complications majeures. Au Canada, un centre hospitalier rapporte la diminution de la proportion d'hospitalisations liées à des infections cutanées et des tissus mous, à Streptocoques du groupe A (SGA), suite à l'introduction de la vaccination en 2006. Des infections invasives à SGA étaient toujours observées, mais se présentaient sous une autre forme (pulmonaire, entre autres), mais au niveau cutané, il y avait un impact significatif de la vaccination." "Outre les contrindications liées aux vaccins vivants atténués, ce vaccin est tout à fait sûr", assure-t-elle. "Le vaccin combiné RRO-V présente un risque plus important de convulsions hyperthermiques cinq à six jours après son administration. Ce risque est reconnu comme très faible. Aux États-Unis, ce risque (une convulsion fébrile supplémentaire/2.300 doses administrées) est jugé acceptable pour proposer un programme de vaccination. La combinaison du vaccin peut faciliter la vaccination parce qu'on le donnerait en même temps que le RRO." Il existe des recommandations du CSS sur la vaccination des enfants, des adolescents et des personnes à risque contre la varicelle. Actuellement, en Belgique, il n'y a pas de programme de vaccination universelle de tous les enfants. Dans son avis n°9212 (mars 2017), le CSS recommande cette vaccination pour les sujets à risque accru de développer une varicelle compliquée: personnes et personnels des soins de santé en contact avec des personnes immunocompromises (sauf s'ils ont fait la maladie), femmes en âge de procréer non immunisées et personnes non immunisées en contact avec des jeunes enfants. Pourquoi n'y a-t-il pas de programme de vaccination universelle en Belgique? Julie Frère revient sur quelques questions et inquiétudes mises en avant lors des discussions sur ce sujet. La première concerne le devenir de la couverture vaccinale contre la rougeole si on introduisait la vaccination contre la varicelle dans le programme vaccinal. "On craignait que si on ajoutait cette vaccination, les personnes choisiraient entre varicelle et rougeole, avec pour conséquence une diminution de la couverture vaccinale contre la rougeole. Cette question pourrait être remise en cause si on proposait un vaccin quadrivalent. Aujourd'hui, on voit plus de varicelle, ce qui inquiète certaines personnes alors qu'il reste extrêmement important de conserver une immunité et une couverture vaccinale contre la rougeole." Deuxième question: quel est le risque de survenue d'infections chez les personnes vaccinées? "Aux États-Unis, en 1996, ils ont introduit un programme de vaccination contre la varicelle. Ce schéma à une dose a montré une belle efficacité avec une diminution des cas, des hospitalisations et de la mortalitémais, après quelques années, on a vu apparaître des infections chez les sujets vaccinés. D'où l'idée de proposer un schéma à deux doses, qu'ils ont introduit en 2006. L'efficacité de ce schéma attaint 98%, elle est augmentée tant chez les enfants que chez les adolescents, mais aussi dans les classes d'âge qui n'étaient pas concernées par la vaccination. Il y a une réduction des "breakthrough infections", c'est-à-dire des infections qui surviennent chez les personnes vaccinées, et si des sujets vaccinés faisaient l'infection, elle était généralement extrêmement modérée. Dans leur surveillance, la grande majorité (75%) des infections sévères surviennent chez les non vaccinés."Troisième question: si on vaccine les jeunes enfants contre la varicelle, y aura-t-il un déplacement de l'affection chez les adultes non vaccinés chez lesquels elle est plus sévère? Est-ce que ce sont des enfants plus âgés qui feront des varicelles, avec potentiellement plus de complications? Julie Frère répond à cette question en prenant à nouveau l'exemple des États-Unis: "Avant l'instauration de la vaccination, donc avant 1996, les cas de varicelle s'observaient essentiellement chez les groupes d'âge 1-4 ans et 5-9 ans, avec une incidence maximale chez les 3-6 ans. En 2004, soit à la fin du programme à une dose, le pic d'incidence maximale s'est bien déplacé vers les 5-14 ans, mais avec une nette diminution du nombre absolu de cas. Leur surveillance se poursuit et montre qu'il y a encore une atténuation du nombre de cas, et que les personnes vaccinées font des varicelles modérées. Il n'y a donc pas d'inquiétude à avoir."Enfin, la dernière interrogation concerne le risque d'augmentation des cas de zona (herpès zoster) liée à la vaccination. "Cette inquiétude est basée sur l'hypothèse du 'booster'exogène", indique-t-elle: "quand on est naïf et qu'on rencontre le virus de la varicelle, on développe une immunité humorale et cellulaire, mais c'est essentiellement l'immunité cellulaire qui est indispensable pour empêcher la survenue d'un zona. Les réactivations endogènes après une varicelle clinique et les boosters exogènes avec un virus sauvage vont maintenir notre immunité et surtout cette immunité cellulaire. Cependant, l'immunité diminue naturellement et peut atteindre un seuil en deçà duquel on est de nouveau à risque de développer une infection clinique, et si on refait une infection après avoir fait la varicelle, on fait un zona.""L'hypothèse était de dire que si on a une population vaccinée, on n'a plus de 'booster'exogène, et on va se retrouver très vite avec des populations dont l'immunité ne permet pas de les protéger contre le zona, et on verra donc apparaître de plus en plus de cas. Or, aux États-Unis en 2006, c'est-à-dire après 20 ans de vaccination contre la varicelle, le premier rapport de surveillance montrait qu'il n'y avait pas lieu de croire que c'était correct. On voit une augmentation des cas de zona (dans tous les groupes d'âge, avec une prédominance chez les plus de 50 ans), mais elle existait déjà avant la mise en place de la vaccination (1996). L'incidence chez les enfants des États qui ont un taux de couverture élevé confirme l'effet protecteur du vaccin.""Par ailleurs, depuis 2007, on voit de moins en moins de cas dans deux groupes: on observe une diminution chez les moins de 20 ans, c'est-à-dire chez ceux qui ont été vaccinés contre la varicelle, ainsi que chez les plus de 60 ans, c'est-à-dire chez ceux qui peuvent bénéficier de la vaccination contre l'herpès zoster (depuis 2006 aux USA). L'augmentation des cas concerne les tranches d'âge non vaccinées (varicelle ou zona)", conclut-elle.