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Selon l'index de la douleur McGill (pain questionnaire), la névralgie du trijumeau fait partie des dix pires douleurs au monde. Elle occupe la dixième place après la migraine, la colique néphrétique, la fibromyalgie, la polyarthrite rhumatoïde, la maladie de Crohn, l'amputation d'un doigt, l'accouchement, la piqûre de Paraponera (une fourmi tropicale) et l'algoneurodystrophie qui occupe la tête du peloton. Les mécanismes responsables de ce trouble douloureux caractérisé par une douleur faciale paroxystique intense dans les zones innervées par le nerf trijumeau ne sont pas encore clairement établis. "Bien que la plupart des cas soient sporadiques, des groupes familiaux de névralgie du trijumeau suggèrent que des facteurs génétiques peuvent contribuer à ce trouble. Le séquençage de l'exome entier chez des patients atteints de névralgie du trijumeau et présentant des antécédents familiaux positifs a mis en évidence un spectre de mutations des canaux ioniques, y compris les canaux TRP", expliquent les auteurs de l'étude parue dans Proceedings of the National Academy of Sciences, en septembre dernier. Cette étude a exploré les effets pathogènes potentiels d'une nouvelle mutation du canal ionique TRPM7 (A931T), identifiée chez un homme de 73 ans souffrant d'une névralgie du trijumeau familiale. Le canal TRPM7 est normalement perméable aux ions calcium et magnésium. Or la mutation y ouvre un pore 'secondaire', permettant un afflux anormal d'ions sodium qui entraîne une hyperexcitabilité des neurones à l'origine des douleurs. Cette découverte majeure dans la compréhension de cette maladie est le fruit d'une collaboration belgo-italo-américaine. Roberta Gualdani et Philippe Gailly sont chercheurs au sein du groupe de recherche physiologie cellulaire de l'Institut de neuroscience de l'UCLouvain (IoNS). Formée en Italie, la Pr Gualdani combine son intérêt pour la physiologie cellulaire avec son background de chimiste. Professeure à la Faculté de pharmacie et des sciences biomédicales, elle fait partie du Laboratoire de physiologie cellulaire et du Pôle neurosciences de l'UCLouvain, et collabore avec le Pr Stephen G. Waxman de l'Université de Yale (New Haven, Etats-Unis), spécialiste mondial de la douleur et dernier auteur de l'étude publiée dans PNAS." Chimiste, j'ai fait mon PhD en travaillant sur des molécules employées comme analgésiques, c'est comme ça que je suis arrivée à la thématique de la douleur", précise Roberta Gualdani. "Au laboratoire de physiologie, on s'intéresse aux canaux ioniques et on a étudié les caractéristiques de ces protéines dans plusieurs organes et maladies." "Cette mutation du canal ionique TRPM7 a été trouvée chez un patient qui a une histoire familiale positive aux névralgies du trijumeau, ce qui fait penser qu'il y a un facteur génétique qui peut contribuerà l'apparition de la maladie. Tous les mécanismes ne sont pas encore compris, nous avons juste mis le doigt sur le fait que cette maladie a probablement une base génétique. Grâce à cette découverte, on a fait des progrès dans la compréhension de cette affection, qui touche moins de 1% de la population", fait-elle observer. " On ouvre ainsi la porte au développement d'un médicament qui ciblerait la mutation de cette protéine et éviterait les inconvénients des analgésiques classiques, trop généraux et accompagnés d'effets secondaires." "J'aimerais ainsi transposer le concept de médecine de précision, mieux connu dans le domaine du cancer, pour traiter la douleur car la génétique semble jouer un rôle dans ce domaine et cette piste est peu explorée. On pourrait donc chercher des thérapies ciblées à partir du profil génétique des patients: ici,ça consisterait àbloquer un courant de sodium étant donné que la mutation a la caractéristique de créer et d'ouvrir un pore secondaire dans les canaux ioniques. Il n'y a pas encore d'équipes qui cherchent ce genre de traitement. La médecine de précision par rapport à la douleur n'en est encore nulle part. C'est assez nouveau comme démarche", ajoute-t-elle. La collaboration avec le laboratoire du Pr Stephen Waxman est toujours d'actualité, mais l'équipe belge a aussi des projets indépendants. "D'autres travaux concernent d'autres mutations. On n'en est qu'au début", insiste Roberta Gualdani. La chercheuse est notamment en train de développer un nouveau laboratoire chargé de dériver des cellules souches à partir du sang des patients atteints par des douleurs neuropathiques familiales, afin d'obtenir des modèles in vitro des neurones sensoriels de la maladie.