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Une femme dont la grossesse s'est arrêtée à neuf semaines se présente à l'hôpital pour un curetage. Arrivée, seule, à 7 heures, comme prévu avec l'établissement de soins, elle n'est prise en charge qu'à 16 heures, sans n'avoir vu personne entre-temps. Après l'intervention, l'obstétricienne passe dans sa chambre et lui lance: "Tout s'est bien passé, j'envoie le matériel à l'anatomopathologie." "C'est à ce moment-là que cette femme s'est cassée", raconte, en détachant bien ses mots, le Dr Oguz Omay (Suisse), psychiatre en périnatalité. Cette patiente, brisée par son interruption médicale de grossesse (IMG), s'est présentée à son cabinet en 2019. "Il n'y a pas eu de temps dédié pour accompagner cette femme", analyse le Dr Omay. "Le 'système' aurait dû remarquer qu'elle était seule... Et pourtant, cette hospitalisation a coûté cher!Mais rien n'a été fait..." Rien, jusqu'à ces deux mots - "le matériel" - qui ont fait basculer psychologiquement cette jeune femme, elle-même soignante. Avec ce cas puisé au coeur de son expertise en périnatalité, Oguz Omay, invité au séminaire organisé par La Marcé francophone[1] et l'ASBL Epsylon vendredi dernier à Uccle, illustre le concept de "virtuosité relationnelle": une mise en relation interpersonnelle, qui permet de "générer du bien-être plutôt que des ratés", comme dans l'exemple précité où "dela souffrance psychique a été surajoutée à la souffrance inéluctable de la grossesse arrêtée", glisse le psychiatre. La virtuosité relationnelle est donc l'inverse de la souffrance psychique surajoutée. C'est elle qui permet - autre exemple vécu et narré par le Dr Omay - à une maman endeuillée par la perte de son enfant emporté par une leucémie de repasser régulièrement devant l'hôpital où il a définitivement fermé les yeux "car elle le vitcomme un endroit chaleureux, où l'on s'est bien occupé de son enfant". Ou encore, cette autre maman qui voit son bébé épileptique réanimé par les secours et à qui l'urgentiste répond doucement, en totale connexion avec elle, quand elle dit: "Ne le nourrissez pas, je l'allaiterai à l'hôpital", "Je ne pense pas que ça va être possible, Madame..." "Le contact initial, enrichi d'ajustements permanents pour approfondir la connexion, rend la rencontre interpersonnelle véritable. Elle permet de se sentir compris avec finesse, aidé avec compétence et entouré de manière fiable", décrit Oguz Omay. Pour allier compétences professionnelles et virtuosité relationnelle, il est urgent de "repérer les ponts aveugles dans nos pratiques et de ne pas devenir étranger à soi-même. Au contraire, la rencontre interpersonnelle habite le soignant et lui permet de se sentir moins épuisé." Renforcer le réseau de soutien en périnatalité est essentiel face aux enjeux psychiques autour de la naissance, selon Luc De Tavernier, directeur de la plateforme bruxelloise de santé mentale, qui rappelle que "10 à 20% des femmes développent des troubles psychiques, dont des TOC, des dépressions post-partum..., qui trop souvent ne sont pas assez identifiés ni traités". Les troubles de santé mentale constituent un enjeu majeur. Et de citer la pédopsychiatre Tara Berenbaum, pour qui "les 1.000 premiers jours de la vie nous façonnent pour devenir ce que nous sommes". "Il faut une approche et un soutien multidisciplinaires, du médecin généraliste à l'ONE, en passant par toutes les lignes", insiste Luc De Tavernier. "Il faut investir dans la santé mentale autour de la périnatalité et la psychopathologie du premier âge." L'intérêt du travail en réseau remonte aux années 2000, rappelle de son côté le Dr Karin Mendelbaum, psychiatre à la clinique La Ramée (ASBL Epsylon). Les premières unités "maman-bébé" ont vu le jour en Scandinavie dans les années 70, l'intérêt pour le développement de bébé et les interactions parentales date du milieu des années 80. "Après le covid, il faut mobiliser encore plus le réseau, activer les ressources, sensibiliser et favoriser les échanges entre acteurs de terrain pour apporter une prise en charge aux patients au plus près de leurs besoins", exhorte la spécialiste. Quelle est la situation en Belgique, actuellement? "La santé mentale des enfants et des ados a fait l'objet d'un mémorandum en 2019, et un groupe de travail existe depuis 2021 au sein du Comsmea (Comité pour la nouvelle politique de santé mentale pour enfants et adolescents, NdlR)", explique le Dr Vildan Goban, pédopsychiatre à l'Huderf (H.U.B.). Le Conseil supérieur de la santé vient également de s'emparer de la thématique, en mettant sur pied un groupe de travail. Au niveau de l'offre de soins en secteur périnatal, en cas de troubles modérés à sévères, on dénombre des unités temps plein aux soins intensifs, à La Ramée, La Lisière (IHP, Initiative d'habitation protégée) et l'Unité parents-bébé à la clinique Saint-Jean (Bruxelles), l'Unité Parenthèse à la Citadelle et l'Unité de jour Fil-à-fil (Liège) et enfin l'Unité parents-bébé aux Clairs Vallons (Ottignies). Les troubles modérés à légers peuvent être pris en charge en soins dits semi-intensifs, en unité de jour à l'Huderf ou par des équipes mobiles psychologiques et du travail à domicile (les SAP de l'ONE, p.ex.).