...

"C ette bourse de la Fondation recherche Alzheimer, d'une durée de trois ans, permet de consolider notre équipe et de développer l'imagerie de la protéine tau, une technique que j'ai apprise à Boston en 2014 et réimplantée aux Cliniques Saint-Luc depuis 2019", précise Bernard Hanseeuw, professeur à l'Institut des neurosciences (Louvain Aging Brain Lab) de l'UCLouvain. Le premier objectif est de développer une imagerie fine de la protéine tau, afin de visualiser les régions du cerveau atteintes et leurs liens avec les capacités cognitives et les symptômes de la maladie d'Alzheimer. " Cette pathologie se caractérise par les protéines amyloïde et tau. L'imagerie amyloïde qui permet de confirmer le diagnostic de la maladie d'Alzheimer existe depuis 2004 (à Saint Luc depuis 2011). C'est la première des deux protéines à apparaître dans la maladie, mais il s'agit plutôt d'un facteur de risque: on peut en effet avoir de la pathologie amyloïde et une cognition tout à fait normale (ceci concerne un quart de la population à 75 ans). Par contre, l'évolution de la quantité de protéine tau qui se dépose dans le cerveau corrèle très bien avec la performance de mémoire et cognitive de manière générale. On retrouve cette protéine chez tout le monde en vieillissant et au plus elle s'étend, au plus les déficits cognitifs seront importants", explique-t-il. En fait, l'amyloïde agit comme un catalyseur qui accélère le développement de la pathologie tau. L'équipe du Pr Hanseeuw aimerait savoir si certains symptômes apparaissent suite au dépôt de la protéine tau dans certaines régions. " Grâce à l'imagerie, on espère suivre l'évolution de la pathologie tau et voir si elle explique l'évolution de la cognition, de manière individualisée pour chaque patient". à partir de quel seuil faut-il considérer l'examen positif et permettra-t-il de confirmer un diagnostic de maladie d'Alzheimer? " Pour l'imagerie tau, il s'agit de savoir quelle région cérébrale est concernée. Pour l'instant, nous utilisons un seuil en pourcentage: à partir du moment où il y a plus de 15% de voxels (pixels en trois dimensions) positifs, on se dit que cette image est sans doute pathologique. Selon les études d'autopsie sur lesquelles on se base, cette pathologie tau n'existe pas chez le sujet jeune, mais elle est présente chez pratiquement toutes les personnes de 80 ans, de manière très limitée. Peut-être que 5 ou 10% n'est 'pas normal' si on a 25 ans, mais est sans doute fréquent à 80 ans." La présence de la protéine tau est donc associée au vieillissement, ce qui est pathologique c'est son extension au-delà de certaines régions restreintes du cerveau. " Des scientifiques avancent l'hypothèse que nous avons tous la maladie d'Alzheimer et que nous aurions tous de très gros problèmes cognitifs si on vivait deux siècles. Certains d'entre nous développent une pathologie amyloïde qui va accélérer le vieillissement lié à la protéine tau, et qui fait que leur cerveau atteint déjà l'âge de 200 ans à 65, 75, 85 ans", fait-il observer. Dans ce projet soutenu par la Fondation recherche Alzheimer, Lisa Quenon, neuropsychologue, va assurer le suivi cognitif des patients sur une période longue afin de développer des mesures fines de la cognition. " Pour savoir si la protéine tau est vraiment l'élément qui fait que la fonction cognitive disparaît lorsqu'elle se dépose dans une région précise, et pour établir cette corrélation entre l'image et la clinique, il nous faut des tests non seulement sensibles, mais spécifiques de certaines régions cérébrales."Le financement de la Fondation Alzheimer a pour but de recruter de nouveaux patients mais aussi de pouvoir suivre les sujets déjà inclus (via la Clinique de la mémoire) et de pouvoir répéter les tests cognitifs et l'imagerie. Dans ce cadre, le Louvain Aging Brain Lab cherche des volontaires âgés de plus de 55 ans (recherche-alzheimer@uclouvain.be). Le troisième volet de cette recherche est assez inédit: il vise à étudier la possibilité de détecter la maladie d'Alzheimer grâce à une simple prise de sang. " Même si ça reste difficile et qu'il n'y a pas encore de valeurs seuil, il devient possible de mesurer les protéines amyloïde et tau dans le sang, grâce au Single Molecule Array (Simoa), une technologie ultrasensible de détection des protéines. Néanmoins, à l'heure actuelle, en tant que médecin, je n'oserais jamais poser un tel diagnostic sur base d'une prise de sang", concède le neurologue en expliquant s'être lancé sur cette piste parce que des travaux ont déjà montré des corrélations entre les résultats de prise de sang et ceux d'imagerie Petscan ou de ponction lombaire. Le programme de recherche se passe en deux étapes: les participants passent des tests cognitifs rapides et une prise de sang et, ensuite, si cette dernière suscite quelques inquiétudes, ces sujets-là sont rappelés pour faire de l'imagerie et des tests cognitifs plus longs et plus élaborés. On propose aux autres de revenir s'ils trouvent que leurs performances de mémoire déclinent. Enfin, qui dit diagnostic dit traitement, ou du moins espoir de traitement. Bernard Hanseeuw participe donc également à des essais cliniques qui testent l'efficacité de certains médicaments, notamment des AC monoclonaux: " Si ce n'est pas le but premier du projet, la Fondation recherche Alzheimer nous finance parce que nous sommes occupés à développer des outils qui servent à ces essais cliniques, les premiers en Europe visant des volontaires. On veut tester l'aspect préventif de ce genre de traitement et surtout savoir quand traiter. Théoriquement, les anticorps anti-amyloïde devraient en effet être efficaces en prévention et pas en thérapeutique".