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Une étude parue dans la revue The Lancet à la mi-février 1 a permis de déceler de hautes concentrations de cytokines dans le sang de patients gravement atteints, signe du fameux choc cytokinique. Ce syndrome est largement décrit dans la littérature scientifique, mais un articule paru récemment dans Arthritis en Rheumatology offre un éclairage intéressant 2 Les auteur-e-s de l'étude indiquent que ce syndrome constitue un signe de réponse immunitaire hyperactive. Il s'agit en fait d'un ensemble de syndromes, à l'origine infectieuse, auto-immune ou iatrogène. L'inflammation systémique qui en découle provoque à son tour une défaillance multiviscérale, avec une grande mortalité à la clé. De nombreuses études sur ce choc cytokinique ont été réalisées sur des patients atteints de lymphohistiocytose hémophagocytaire familiale, une maladie héréditaire rare qui frappe surtout à l'âge néonatal. Les enfants présentent une fièvre persistante, doublée d'une atteinte hépatique. Randy Cron est rhumatologue pédiatrique et professeur à l'université d'Alabama. En 2019, à la veille de la pandémie du coronavirus, il publie Cytokine Storm Syndrome, le premier livre consacré à la fameuse " tempête " cytokinique. Le syndrome provient d'un fonctionnement défaillant des lymphocytes T cytotoxiques et des cellules tueuses naturelles (ou cellules NK), explique le rhumatologue américain 3. Bien que le premier groupe de cellules fasse partie de l'immunité acquise et le deuxième du système immunitaire inné, tous deux utilisent le même mécanisme pour détruire les intrus. Au contact de cellules étrangères, les lymphocytes T cytotoxiques et les cellules NK se mettent à secréter de la perforine, une protéine cytolytique qui crée des ouvertures dans la membrane de la partie adverse. Ces brèches permettent d'injecter des granzymes, qui engendrent la destruction des " aliens ". Les cellules infectées par un virus sont abordées de la même manière. Le système de la perforine comprend plus de dix protéines. Un mutation dans n'importe quel gène qui code pour celles-ci provoque une augmentation du risque de choc cytokinique, poursuit Randy Cron. L'intéressé estime que 10 à 15% de la population sont porteurs d'une telle mutation. La plupart des gens sont porteurs hétérozygotes. Dans des circonstances normales, la situation est sous contrôle, mais gare aux agressions externes. Les lymphocytes T cytotoxiques avec une déficience en perforine restent en contact avec les cellules étrangères environ cinq fois plus longtemps que leurs " collègues " sains, comme s'ils éprouvaient des difficultés à remporter le " bras de fer ". Résultat : des quantités faramineuses de cytokines sont libérées. Voilà la recette de la tempête cytokinique, qui va de pair avec l'inflammation systémique. On rencontre parfois, chez certains patients atteints de ce syndrome, des macrophages qui, sous l'influence de la libération massive de cytokines, deviennent hyperactifs. Ils se mettent à phagocyter des globules rouges normaux, ce qui explique la lymphohistiocytose hémophagocytaire familiale (FHLH) susmentionnée. Certains chercheurs qualifient le choc cytokinique décelé chez des patients infectés par un virus (Covid-19 ou autre) de HLH secondaire (sHLH). Une ferritine en hausse constitue une preuve tangible de choc cytokinique. Tous les patients atteints d'une forme grave du Covid-19 doivent se faire dépister, pour déceler une potentielle hyper-inflammation, estiment Mehta et son équipe dans The Lancet 4. En plus de la ferritine, ils font aussi état d'une vitesse supérieure de sédimentation et d'une diminution des plaquettes. Les chercheurs publient aussi le score HS, qui reprend des critères tant biologiques que cliniques. Les formes non infectieuses du syndrome du choc cytokinique peuvent être traitées par corticoïdes, mais un large consensus existent autour de l'idée qu'il vaut mieux ne pas faire usage de ces produits en cas d'infection 4,5. Certains immunomodulateurs sont également envisagés comme traitement. Mehta et al. pensent ainsi à l'anakinra, un antagoniste au récepteur de l'IL-1. Dans une étude contrôlée et randomisée, ce médicament a permis d'améliorer la survie des patients atteints de septicémie, sans augmentation des effets secondaires. Le tocilizumab (pour le bloquage de l'IL-6) a été approuvé par les autorités chinoises comme traitement chez les patients frappés d'hyper-inflammation et présentant des valeurs d'IL-6 en augmentation. Enfin, le Pr Metha et son équipe mentionnent les inhibiteurs de JAK, potentiellement capables de freiner l'inflammation mais aussi la pénétration du virus dans les cellules. Dans une réponse à l'article du Pr Metha, le pneumologue Andrew Ritchie exprime toutefois son inquiétude. L'intéressé estime qu'il est contre-indiqué de traiter les patients atteints d'une infection virale à l'aide de médicaments qui suppriment le système immunitaire 6. Des recherches cliniques devront permettre de trancher la question.