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Le 26 mai dernier (date de la mise à jour la plus récente à l'heure de mettre sous presse), l'Organisation mondiale de la santé (OMS) dénombrait 650 cas d'hépatites pédiatriques inexpliquées rapportés depuis le 5 avril dans 33 pays, soit une incidence sensiblement plus élevée qu'au cours de la même période les années précédentes. Le problème touche en outre des enfants jusque-là en bonne santé... et il est loin d'être toujours bénin. La majorité des petits patients guérissent heureusement d'eux-mêmes, mais une transplantation hépatique est tout de même nécessaire chez certains (environ 10%, d'après les données des CDC américains) et, si le taux de mortalité n'est pas clairement établi, on sait que plusieurs enfants sont décédés. Certains médecins pointent du doigt l'adénovirus que l'on retrouve chez 50 à 70% des petits malades (suivant la région), ce qui explique pourquoi certains experts pensent que c'est ce pathogène qui est à l'origine de l'épidémie. D'autres sont toutefois sceptiques, et ce pour une série de raisons. Ainsi, s'il est bien établi que l'adénovirus peut être une cause d'hépatite chez les enfants immunodéprimés, rien n'indiquait jusqu'ici qu'il pouvait également provoquer une grave maladie du foie chez de jeunes patients jusque-là en bonne santé. En outre, alors que les cellules hépatiques présentent généralement une charge virale élevée lorsque l'organe est infecté par l'adénovirus, celui-ci n'a pas été retrouvé dans le foie des petits patients qui ont développé la mystérieuse hépatite. Par ailleurs, nous ne disposons pas à l'heure actuelle de chiffres qui autoriseraient une comparaison avec la population pédiatrique générale (sans hépatite)... mais s'il devait s'avérer que la prévalence du virus est identique dans les deux groupes, l'hypothèse de son implication dans l'augmentation soudaine de l'incidence des hépatites de cause inconnue deviendrait difficilement défendable. Une étude lancée en Grande-Bretagne afin de comparer la prévalence de l'adénovirus chez des enfants avec ou sans hépatite pourrait venir clarifier la question. L'épidémie étant apparue au cours de la vague omicron - un variant dont la contagiosité est sans précédent -, d'autres chercheurs sont plutôt enclins à incriminer le Sars-CoV-2. Une minorité seulement des enfants victimes d'une hépatite inexpliquée (moins de 20%, d'après des chiffres britanniques) étaient contaminés par le coronavirus au moment du diagnostic, mais une part sensiblement plus grande semblaient présenter des indices d'une infection récente. Certains avancent donc que la mystérieuse nouvelle hépatite pourrait être une forme particulière du syndrome inflammatoire multisystémique ( multisystem inflammatory syndrome in children ou MIS-C), un tableau clinique décrit pour la première fois au printemps 2020 chez des enfants contaminés par le Sars-CoV-2 quelques semaines plus tôt. Comme son nom l'indique, ce MIS-C est un syndrome inflammatoire attribué à une réaction tardive et violente du système immunitaire contre le virus. Elle touche principalement le coeur et les vaisseaux, mais d'autres formes de dommages organiques ont également été décrites, y compris au niveau du système digestif. Il existe encore une troisième hypothèse, qui est en réalité une variante de la précédente mais fait intervenir l'adénovirus et le Sars-CoV-2. Dans un groupe de 18 enfants britanniques ayant développé une hépatite, des spécialistes ont constaté la présence systématique d'adénovirus-41, une souche qui s'attaque à l'intestin. On sait par ailleurs que, après l'infection aiguë, le Sars-CoV-2 peut rester présent dans divers organes dont, justement, l'intestin. Un groupe de virologues pensent donc qu'il aurait pu être présent dans l'intestin des enfants lorsqu'ils ont contracté l'adénovirus... et d'après eux, un segment de la protéine spike dont on a pu démontrer qu'il déclenche une réaction rapide et non spécifique des lymphocytes T serait aussi susceptible de pousser le système immunitaire à réagir de manière explosive à la présence de l'adénovirus. Le groupe de recherche appelle donc les médecins à réaliser une analyse des selles chez tous leurs petits patients victimes d'une hépatite sans cause établie afin d'identifier les éventuels foyers de Sars-CoV-2 au niveau de l'intestin, mais aussi à rechercher les paramètres pouvant trahir une hyperactivité du système immunitaire. L'existence concomitante des deux hypothèses, l'une virale, l'autre inflammatoire/immunologique, place évidemment les médecins devant un dilemme. Le traitement d'un syndrome hyperinflammatoire comme le MIS-C repose en effet (notamment) sur des corticostéroïdes... mais si l'hépatite est en réalité due à une infection virale active, cette stratégie peut avoir des conséquences catastrophiques. Pour l'heure, les petits patients victimes d'une hépatite inexpliquée reçoivent donc un traitement de soutien.