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"Le repliement des protéines est un problème fondamental parce que chaque cellule vivante ne vit que grâce à ses protéines qui, une fois sorties du ribosome, n'ont que quelques millisecondes pour se replier. Pour certaines, ça se passe sans problème, par contre, pour d'autres, c'est plus compliqué. Des centaines de scientifiques s'intéressent aux maladies du repliement des protéines, comme par exemple lesmaladies d'Alzheimer, de Parkinson, de la vache folle, etc. Dans ces affections, des protéines changent de conformation à certains moments, pour des raisons qu'on ne comprend pas très bien", précise le Pr Jean-François Collet, codirecteur de l'Institut de Duve (UCLouvain) et chercheur Welbio. Son laboratoire de recherche qui planche principalement sur la compréhension des mécanismes permettant aux bactéries de résister aux stress, s'intéresse également aux stress auxquels font face les protéines après leur synthèse. Ces travaux viennent de faire l'objet d'une publication dans Cell[1]. "Quand on s'intéresse au repliement des protéines, on en vient assez rapidement à parler de chaperonnes, des protéines qui en aident d'autres à se replier correctement. La chaperonne qui a été le plus étudiée et dont on retrouve le nom dans tous les livres de biochimie, s'appelle Hsp60 ou GroEL chez les bactéries", ajoute-t-il. Depuis plus de dix ans, l'équipe du Pr Collet travaille sur une autre protéine nommée CnoX. C'est dans ce cadre qu'elle a identifié une interaction entre CnoX et GroEL. "C'était complètement inattendu! C'est le genre de découverte qui vous donne envie d'ouvrir une bouteille de champagne! C'est incroyable parce qu'on part d'une protéine qui n'intéresse personne, CnoX, dont on ne sait quasi rien, et puis, à force de l'investiguer, on aboutit sur la reine des chaperonnes, GroEL, qui a été étudiée depuis 40 ans par des milliers de gens. Notre découverte crée la surprise parce qu'on avait le sentiment de tout connaître de GroEL. Dès lors, on se demande pourquoi cette interaction n'a jamais été identifiée? Et pourquoi ces protéines interagissent? Àpartir de là, notre projet de recherche s'est emballé." L'article du Cell raconte la caractérisation de l'interaction entre GroEL et CnoX, notamment grâce à l'apport d'une technique relativement neuve comme la cryomicroscopie électronique (en collaboration avec la VUB), qui a fourni des informations cruciales sur la structure du complexe protéique GroEL-CnoX. Que fait CnoX avec GroEL? "C'est un modèle qu'il faut continuer à étudier, mais nous avons deuxhypothèses", avance le chercheur. "La première, c'est que CnoX va repérer les protéines qui sont en mauvaise posture dans la cellule et les amener à GroEL, un peu comme un remorqueur. La deuxième, c'est que CnoX va aider à réparer les protéines naissantes déjà endommagées (par exemple par des espèces réactionnelles de l'oxygène) pour qu'elles puissent se faire replier correctement par GroEL." Si cette découverte belge concerne ici les bactéries, elle ouvre résolument une nouvelle voie de recherche. "Très souvent, ce qu'on découvre chez les bactéries est vrai aussi chez la levure, les plantes, l'homme... En étudiant des mécanismes fondamentaux de base, on peut contribuer à faire avancer la connaissance dans tous les organismes. Au niveau conceptuel, le fait qu'on ait trouvé que GroEL ne travaillait pas toute seule mais avec une protéine comme CnoX, qui est une espèce de plug-in, permet de dire qu'il y a peut-être d'autres plug-ins à découvrir... Et alors, mais c'est de la science-fiction, s'ils existent dans les cellules humaines, ils ont certainement une fonction, peut-être liée à telle ou telle maladie...", affirme Jean-Francois Collet. "GroEL a connu ses heures de gloire dans les années 1980-2000 mais depuis, elle était un peu passée au second plan, on pensait que la messe était dite, qu'on avait tout trouvé sur cette protéine. Notre publication dans Cell montre que ce n'est pas si simple. Un de mes collègues en Angleterre m'a dit qu'il ne croyait pas voir un jour un nouvel article sur GroEL dans cette revue!", commente-t-il. Ces travaux donnent en effet l'impression qu'on n'en aura jamais fini de décoder les mécanismes à l'oeuvre dans le vivant. "J'ai lu qu'un biologiste du 19e siècle avait dit qu'on avait découvert tout ce qu'il y avait à découvrir, alors que l'ADN n'avait pas encore été mis en évidence! Je pense que c'est pareil aujourd'hui: il y a inévitablement des choses dont on ne soupçonne même pas l'existence et qu'on découvrira demain." Il illustre son propos en donnant l'exemple des ciseaux génétiques Crispr/Cas9 qui ont valu le prix Nobel de chimie en 2020 à Jennifer Doudna et Emmanuelle Charpentier. "J'ai rencontré cette dernière en 2013, elle n'était même pas invitée aux congrès où j'étais invité! Elle avait des problèmes pour se financer, elle s'intéressait aux mécanismes de défense des bactéries contre les virus, les phages, c'était quelque chose d'assez exotique. Mais en étudiant ça, elle a découvert un mécanisme qui permet de manipuler l'ADN de n'importe quelle cellule: c'est une véritable révolution qui lui a valu le prix Nobel quelques années plus tard. Cela va avoir un impact énorme sur la médecine, or, il y a 15 ans, on était à des années-lumière d'imaginer que cela existait!" Souhaitons le même avenir florissant à l'équipe du Pr Jean-François Collet!