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Après quatre années de déshérence, l'ancienne galerie de Guy Pieters (parti ouvrir sa fondation à Saint-Tropez), située au pied de la Fondation Maeght de Saint-Paul-de-Vence a été reprise et complètement réorganisée par l'architecte Charles Zana qui a redonné du souffle à cette construction moderniste des années 70, laquelle n'est pas sans évoquer Lloyd Wright. Et c'est un autre Belge, Hubert Bonnet, déjà initiateur de la fondation CAB à Ixelles, qui a choisi d'y installer une partie de sa collection d'art minimaliste, en y créant une succursale azuréenne de sa fondation. Ouverte depuis juin 2021, complété d'un restaurant intitulé Sol depuis début avril, le lieu dispose de cinq chambres d'hôtes, dont l'une se situe dans la maison Jean Prouvé, déjà mise en exergue lors d'une expo bruxelloise de la fondation voici quelques années, et d'un parc de sculptures disposé dans la rocaille et qui accueille notamment les oeuvres de Bernar Venet, Frédéric Samyn ou une oeuvre land art signée Richard Long: un cercle de pierre intitulé "Along the way". Ce lieu qui appartint d'abord au galeriste Alexandre de la Salle accueille des expositions ; et celle de cet été est consacrée, sous la lumière éclatante de la Côte d'Azur, à l'oeuvre lumineuse d'Ann Veronica Janssens. Dans une partie du bâtiment, se déploient ses projecteurs, qui diffractent la lumière: en se reflétant sur les murs, ils leur donnent des allures d'oeuvres, à la fois abstraites et impalpables. Une diffraction que l'on retrouve dans un long parallélogramme de verre sur lequel la lumière changeante du jour vient jouer, faisant de ce lingot translucide un trésor d'arc-en-ciel. Parfois, l'art de la plasticienne belge se veut monochrome, au travers d'un carré plaqué or disposé à 45 degrés, ou dans ses aquariums de verre reflétant autant l'eau que la lumière et qui, en surface, présente une couche de paraffine bleue ou rose: un monochrome de Marthe Wéry version aquatique? Tout l'art d'Ann Veronica est là: à la fois fluide, liquide, impalpable immanent, comme lorsqu'elle filme des éclipses de soleil. Le geste est toujours simple: une bombance circulaire dans une plaque de verre, une plinthe en acier poli et miroitant. Intervention minimale pour effet maximal... Parallèle entre cette partie et la deuxième exposition, une grande barre de verre, en effet comme un trait d'union, issue des collections de la fondation, est posée à même le sol auprès des oeuvres auxquelles celle de Ann Veronica Janssens se confronte. Des carrés simples et colorés de Josef Albers, qui renvoient à ceux que l'on voit en lumière décomposée au travers de l'oeuvre de la plasticienne belge ; correspondances géométriques réaffirmées dans l'oeuvre en bois d'Imi Knoebel dont la blancheur brute rappelle Malevitch. André Cadere et son bâton de pluie multicolore évoquent les arts traditionnels amérindiens, approchés d'ailleurs par les époux Albers, et démontrent que l'aspect minimal n'empêche par une forte connotation mystique. Issu du mouvement Colourfield, Kenneth Noland présente un dégradé de couleurs étiré qui personnifie en effet ce mouvement américain des années 50. De mystique, il est aussi question dans l'oeuvre éclatée en bois, presque une charpente, couverte de feutre de Frank Stella, qui, disposée au mur, à des allures de Guernica vue du ciel: la transposition et l'évocation de ce qui restaient des synagogues détruites en Pologne durant la Deuxième Guerre mondiale, et la vue aérienne que l'on pouvait en avoir. Une oeuvre forte et épaisse, en opposition avec celle lumineuse aérienne de Keith Sonnier, le premier à utiliser le néon, et dont l'oeuvre, des lumières reliées par les fils noirs, évoque les vitraux religieux et leurs encadrements. Une sorte de mystique du 20e siècle, poursuivie par l'oeuvre de Dan Flavin, simplissime, mais hypnotique: au mur, deux néons horizontaux l'un vert, l'autre rose, plus court, et posé sur le premier en son milieu ; l'on pense au dessus d'un crucifix, l'INRI surplombant la poutre horizontale d'une croix amputée de sa verticalité. Des oeuvres spectrales également, comme celle d'Anne Truitt, simples lignes dans une toile blanche, jouant du champ contre champ dans l'esprit suprématiste chez Martin Barré, la présence de l'oeuvre s'appréhendant sur les bords colorés d'un carré blanc dans le cas de Heimo Zobernig. A ses pieds, une autre oeuvre d'Ann Veronica, exhumée des collections: un bloc de verre que l'on dirait de glace, quadrillé, dont le démoulage a laissé en surface se dessiner un réseau de lignes: une carte du sensible... A nouveau, ce caractère solide, intemporel de l'oeuvre, et de sa pérennité vole en éclats, à l'instant de la journée où le soleil vient soudain frapper le verre pour l'illuminer, et cède la place à un sentiment de fragilité, d'"éphémérité", de diffraction.... en une fraction de seconde. L'éternité que l'on croit toucher et qui en instant s'efface, l'oeuvre qui est faite pour durer n'est qu'un instant fugace. A sa façon, Ann Veronica Janssens livre une version contemporaine de la vanité et en effet de manière épurée et... "jansséniste " (le fondateur du jansénisme s' appelait... Jansen).