...

Les maladies cardiovasculaires, qui représentent presque un mort sur trois (31%) selon les chiffres de l'OMS, soit davantage que le cancer ou les accidents de la route, restent le tueur n°1 dans le monde, et l'insuffisance cardiaque, provoquée par l'hypertrophie du coeur, contribue largement à cette situation. Investigateur Welbio (1) et président de l'Institut de recherche expérimentale (Irec) (2) de l'UCLouvain, le Pr Jean-Luc Balligand cherche depuis de nombreuses années à comprendre les mécanismes qui entraînent l'hypertrophie du muscle cardiaque et à découvrir de nouvelles cibles pour soigner l'insuffisance cardiaque à fraction d'éjection préservée, qui représente la moitié des insuffisances cardiaques, est de pronostic sévère et pour laquelle, jusqu'à présent, il n'y a pas de traitement d'efficacité éprouvée. Avec sa collègue le Pr Virginie Montiel, cardiologue et également chercheuse à l'Irec, mais aussi grâce à l'apport de néphrologues de ce même institut et de pharmacologues internationaux, notamment australiens et allemands, le Pr Balligand a peut-être trouvé la solution dans un extrait d'une plante utilisée en médecine traditionnelle en Inde. " A priori nous ne pensions pas au monde des plantes, et comme souvent en sciences, il s'agit d'une découverte tout à fait fortuite", dit-il avant de planter le décor. " Nous savons depuis longtemps que le stress oxydatif, provoqué par exemple par l'hypertension, est un déclencheur de l'hypertrophie cardiaque. Mais nous ignorions quelle espèce oxydante donne le signal d'hypertrophie tandis que beaucoup d'études ont montré que les antioxydants systémiques ne sont pas un antidote adéquat." C'est le peroxyde d'hydrogène (H202), aussi appelé "eau oxygénée", par ailleurs un antiseptique bien connu, qui a retenu l'attention des chercheurs louvanistes. " Produit à faibles concentrations par de nombreux types cellulaires, y compris les cellules du coeur, il a des effets bénéfiques sur la santé", explique Jean-Luc Balligand . "Toutefois, à plus fortes concentrations, il envoie des signaux délétères qui peuvent engendrer une hypertrophie cardiaque." Constatant qu'en cas de stress, les cellules cardiaques produisent le peroxyde d'hydrogène hors de la cellule, les chercheurs ont alors interrogé le monde des plantes pour tenter de comprendre comment ce composé pénètre dans les cellules végétales pour activer les réactions menant à l'hypertrophie. Une première bonne inspiration. " Les cellules des racines des plantes utilisent des protéines apparentées aux aquaporines, dont certaines transportent l'eau et le peroxyde d'hydrogène à travers les membranes cellulaires", poursuit le Pr Balligand. " Et donc nous avons émis l'hypothèse que l'aquaporine-1 qui est un canal à eau bien connu chez les mammifères, pouvait aussi, comme certaines protéines analogues des plantes, transporter l'H2O2 et que cette capacité de l'aquaporine-1 était à l'origine de l'hypertrophie du muscle cardiaque." " Plusieurs démarches expérimentales nous ont permis de montrer que l'aquaporine-1 facilite bel et bien le passage de l'H2O2 dans les cellules cardiaques de rongeurs et chez l'être humain et qu'elle active les réactions menant à l'hypertrophie." " Lors de sa thèse de doctorat, il y a un peu plus de cinq ans d'ici, Virginie Montiel avait déjà découvert fortuitement que les souris déficientes en aquaporine-1 avaient des coeurs plus petits que les souris normales et qu'elles ne déclenchaient pas d'hypertrophie lorsqu'elles étaient soumises à un stress qui aurait dû produire le grossissement du muscle cardiaque." " Nous avons aussi identifié une plus grande présence de l'aquaporine-1 dans des biopsies de coeur chez les patients souffrant d'hypertrophie cardiaque par rapport aux sujets sains. Cette protéine est dès lors devenue une cible importante." C'est en cherchant dans la littérature comment bloquer cette aquaporine-1 à l'aide d'un médicament, et en nouant des contacts avec des pharmacologues australiens, que les scientifiques de l'Irec ont trouvé une réponse. Une deuxième inspiration qui trouve son origine dans le monde végétal. " Nous avons découvert qu'un extrait de Bacopa monnieri, une petite plante aquatique connue sous l'appellation populaire de Brahmi et utilisée depuis des siècles dans la médecine indienne ayurvédique, permet d'inhiber l'aquaporine-1", énonce Jean-Luc Balligand. "C'est plus particulièrement la molécule bacopaside, produite par le végétal, qui empêche le passage du peroxyde d'hydrogène dans les cellules cardiaques, et prévient ainsi le développement de l'hypertrophie à la fois dans les cellules humaines in vitro et dans nos modèles expérimentaux de souris." Cette trouvaille est d'autant plus encourageante que le Brahmi est facilement accessible et qu'il existe dans la pharmacopée des extraits standardisés qui ont déjà été utilisés dans des études randomisées cliniques pour lutter contre des maladies neurologiques, sans montrer de toxicité notable. " Le Brahmi pourrait donc aujourd'hui être 'repositionné' pour des indications cardiovasculaires chez les patients à risque de développer une hypertrophie menant à l'insuffisance cardiaque à fraction d'éjection préservée", précise le Pr Balligand. " Afin de tester cette hypothèse, nous avons obtenu un financement de la fondation Roi Baudouin. Nous attendons l'aval d'un comité d'éthique pour lancer une étude pilote, probablement au printemps 2021 car d'ici-là, à cause du coronavirus, nous allons probablement être bloqués dans le recrutement de patients."