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Le journal du Médecin: Même si Les Intranquilles n'est pas un film sur la maniaco-dépression, avez-vous consulté des médecins pour préparer le film? Joachim Lafosse: oui, un psychanalyste et deux psychiatres qui sont aussi psychanalystes. L'un de ces psychiatres a fondé un centre à l'hôpital Paris Sainte-Anne qui propose des consultations psychanalytiques aux patients maniaco-dépressifs. Ils ont lu le scénario et ont principalement travaillé avec Damien Bonnard qui joue le rôle de l'artiste bipolaire. Damien a rencontré des patients du centre et a relu le scénario avec le chef de service. Le film est en partie basé sur mon enfance. Mon père était maniaco-dépressif et a été hospitalisé. J'ai donné des indications et partagé mes expériences avec Damien, mais le chef de service a analysé chaque scène pour sa justesse, comme la représentation des symptômes, les crises ou la fatigue, par exemple. Pourquoi ne montrez-vous pas les médecins et le diagnostic dans votre film? Je voulais surtout montrer le quotidien et l'environnement d'une personne malade, et aussi l'effet de la bipolarité sur la famille qui entoure le malade. Et en réalité, il existe une théorie, celle du professeur émérite de psychologie Roland Gori, selon laquelle le diagnostic est mieux gardé dans la sphère médicale. Dès que le diagnostic est posé, cela provoque des problèmes de toutes sortes. Toute la vie du patient et de son environnement en est marquée. Cela devrait faire l'objet d'une enquête plus approfondie. Par exemple, pendant la pandémie, nous avons commencé à tout regarder du point de vue du Covid. Cela a accentué des problèmes sans rapport avec le Covid et non la cause de celui-ci. Il a fallu recommencer à vivre et regarder le monde autrement, en savourant un art qui change notre regard. Malheureusement, il fut alors décidé que l'art n'était pas essentiel. Je pense que c'était une grosse erreur car cela nous aurait aidés à nous en sortir. Je suis pro-vaccin, bien sûr, et la médecine a fait un travail fantastique, mais la dimension psychologique de ce qui nous est arrivé a été ignorée. Dans le film, les relations s'enveniment à un tel point qu'on se croirait dans un thriller. Est-ce vraiment une réalité? Quand j'ai été confronté à la psychose de mon père quand j'étais enfant, ça ressemblait vraiment à un thriller, c'était vraiment terrifiant. Le travail avec les psychiatres a clairement montré que le trouble bipolaire est l'une des maladies qui causent le plus d'anxiété dans l'environnement. Ce que voit le spectateur dans ce film c'est avant tout le caractère dévastateur de la maladie sur son environnement. C'est important pour vous de faire passer un message? J'ai décidé de faire des films très jeune, grâce à Kramer contre Kramer. J'avais le même âge que le petit garçon du film en fait. Et dans notre famille, nous ne parlions pas de nos problèmes, par contre, en parlant de ce film, nous parlions en réalité de notre propre situation sans la mentionner explicitement. Quand j'ai compris qu'un film pouvait avoir cette action là, j'ai voulu devenir réalisateur. Maintenant que j'ai fait un film qui raconte une partie de mon enfance, je vois des téléspectateurs venir vers moi et partager leurs histoires uniques. Pour que les gens retournent au cinéma, il faut souligner que lorsqu'ils regardent un film, ils deviennent eux-mêmes réalisateurs et auteurs. Parce qu'une oeuvre d'art est réalisée par deux personnes: l'artiste et le spectateur qui lui donne son essence à travers son regard spécifique. En tant que spectateur, vous venez découvrir vos propres expériences que vous avez oubliées ou que vous cachez peut-être et vous pouvez les échanger par la suite. Pour vous, faire des films, c'est partager des expériences que vous trouvez précieuses. Et vous parvenez toujours à toucher les gens. Qu'est-ce que Les Intranquilles apportera aux spectateurs selon vous? J'espère que le film leur apprendra qu'il faut être curieux de l'autre et qu'il ne faut pas mettre les gens dans une case, qu'un malade est plus que la maladie.