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On imagine souvent la période de la fin de l'Antiquité tardive et du haut Moyen Âge comme une période sombre et morne. Et même si l'expo du cinquantenaire plonge le visiteur dans la pénombre, c'est pour mieux insister sur la beauté et la ferveur des oeuvres présentées, donnant l'impression dans une muséographie aérienne aux pièces éloquentes, d'une fluidité et d'une grande clarté, plutôt que la confusion et le chaos auxquels on rattache souvent cette époque.Prenant pour borne de départ, la déliquescence et la chute de l'Empire romain d'Occident en 476 pour déborder jusqu'au sacre de l'Empereur Otton IV au 13e siècle, l'exposition démontre que cette époque troublée et d'invasions fut aussi une période de migrations, d'échanges, d'influences et de changements... violents ou pas.Partant d'un point de vue national qui voit le propos explorer, en la reconstituant, une maison de paysans mérovingiens précurseurs de la globalisation, à voir la provenance diverse des objets qui décoraient leurs tombes, elle illustre au travers de bornes d'abord le déroulement des mouvements de populations durant toute la période : des Goths aux Francs, des Avars en passant par les Alamans, les Lombards, les Huns voire les Vikings qui séviront jusqu'au 12e siècle. Ces mouvements quasi tectoniques au niveau des populations provoquent un brassage des individus, mais aussi des objets retrouvés chez nous ou ailleurs.Toujours dans ces espaces initiaux, l'expo définit d'ailleurs chaque peuple par un objet : une superbe corne cérémonielle pour l'Irlande celtique, des fibules pour les Vikings, un magnifique ceinturon ouvragé pour les Avars (groupe de cavaliers nomades qui s'installent en Hongrie et très présents au travers de Crossroads), un plat à tête de sanglier perse, une lampe à huile arabe ou un parchemin en latin, l' Évangéliaire de Xanten datant du neuvième siècle dans le cas des Carolingiens, qui clôt en quelque sorte la période.Ensuite, jouant d'un grand espace comme d'un préambule qui évoque d'abord l'héritage gréco-romain (des chapiteaux, mosaïques en provenance de Syrie, d'Égypte ou d'Allemagne un superbe trône épiscopal ouvragé en et sculpté en ivoire - une cathèdre), lequel introduit l'immense salle principale, l'exposition prend le parti d'évoquer et d'enchevêtrer les connections, notamment au niveau de l'écriture et du savoir, pour un temps plutôt uniforme : papyrus égyptiens, coffres à rouleaux et stylets allemands attestent notamment de cette alphabétisation des érudits et des hautes sphères de la société. Les visiteurs les plus jeunes peuvent même s'essayer à l'écriture runique des Vikings (d'autres jeux parsèment l'expo).Au milieu des pièces parfois spectaculaires comme cette reconstitution d'un drakkar et l'exhibition de figures de proue zoomorphes, Crossroads révèle de façon presque discrète l'existence d'une ville internationale à l'époque aujourd'hui disparue du nom de Dorestad, située dans les Pays-Bas actuels et sur les bords du Rhin, non loin d'Utrecht. Sorte de port de péage et de transit maritime, elle illustre l'existence d'un commerce plutôt florissant à l'époque, attesté également par la Route de la soie, témoignant que les voies romaines en Europe restent empruntées malgré la chute de l'Empire romain d'Occident (celui d'Orient existera jusqu'en 1453).Le commerce des âmes est régi dès l'Édit de Constantin par un dieu unique, qu'il soit chrétien, juif ou plus tard musulman. Des témoignages écrits ou sous forme d'objets en atteste (fragment d'une mosaïque à décor géométrique provenant de la synagogue d'Apamée en Syrie, icône byzantine, bifolium d'un Coran), le pouvoir spirituel se doublant d'un pouvoir temporel dans le cas du calife musulman, de l'empereur chrétien ou de l'exilarque de Babylone dans le cas des Juifs. La ferveur religieuse se double souvent de celle dédiée aux reliques, à voir le sarcophage impressionnant de Sancta Chrodoara trouvé à Amay.L'identité s'affirme au travers de bijoux - magnifique fibule discoïde à décor animalier entrelacé en or et nielle typique des Francs, dans une Hongrie pourtant soumise à la domination des Avars - ou dans les rituels funéraires comme le montre notamment une tombe mérovingienne de la Dame de Grez-Doiceau ou des stèles funéraires des trois religions monothéistes, alors que la tombe de la momie copte dite de "la brodeuse Euphémia", entourée de son mobilier de l'Égypte antique, est reconstituée.Dernière section, " Guerre et diplomatie ", sans entrelacs de flèches cette fois, mais pas sans armes, est l'occasion d'admirer l'armement du roi franc Childéric, père de Clovis, retrouvé dans sa tombe tournaisienne, ou, par exemple, un casque Perse.Pour clore ce voyage dans le temps et l'espace, Crossroads évoque les grands voyageurs justement de l'époque dont Égérie, qui entreprit au quatrième siècle un pèlerinage depuis le nord de l'Espagne jusque Jérusalem.Croisant les thématiques, cette concluante exposition "carrefour" redore le blason d'un Âge qu'il faut désormais tenir en " Haut " estime, car il fut bien autre chose que " Moyen ".