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Dans l'AVC, le temps, ce sont des neurones. Chaque minute d'ischémie, on perd deux millions de neurones qui ne se régénéreront pas. C'est une course contre le temps avant que les neurones soient définitivement ischémiés", met en garde la Dre Marie-Dominique Gazagnes, neurologue, cheffe de clinique et responsable des programmes de neurovasculaire (stroke unit) et de neurorevalidation du CHU Brugmann, où elle travaille depuis près de trente ans. "Neuro-Psychiatrie, le retour: les pièges aux urgences": le titre de la conférence très dynamique qu'elle a donnée le 4 décembre dernier fait référence aux pathologies à cheval entre la neurologie et la psychiatrie. Pourquoi est-ce important, l'AVC? "Parce que c'est la première cause de handicap acquis de l'adulte, 35% des patients gardent de lourdes séquelles et deviennent dépendants (20% sont placés en maison de repos). Ensuite, c'est la deuxième cause de déclin cognitif: autant on ne peut pas prévenir l'Alzheimer, autant on peut éviter la démence vasculaire", indique-t-elle. L'AVC représente plus de 50% des hospitalisations en neurologie. "C'est vraiment énorme! En Belgique, il y a chaque année 19.000 AVC, dont un tiers de récidive. C'est interpellant, ça veut dire que la première fois où la personne fait un AVC, soit ça a été mal pris en charge, on n'a pas mis le bon traitement préventif, soit on ne s'en est pas aperçu. Et un deuxième AVC, c'est plus de séquelles. Après un AVC, 15% récidivent dans l'année sans traitement préventif, trois quarts gardent des séquelles définitives, un tiers deviennent dépendants, un quart souffrent de dépression. Les AVC coûtent une fortune à la société: entre 2.000 et 20.000 euros par AVC. Or, il y en a 52 par jour en Belgique... Enfin, c'est la deuxième cause de décès dans le monde, la mortalité à trois mois est de 30-40%, et à cinq ans, de 40-60%."L'algorithme de suspicion d'AVC change tous les ans, fait observer la neurologue: "Avant, on disait qu'on pouvait thrombolyser dans les trois heures, si on était dans les critères. Maintenant, s'il y a des symptômes depuis moins de quatre heures et demie, on scanne à blanc, on thrombolyse si c'est indiqué. Entre quatre heures et demie et neuf heures, ou pour les AVC du réveil, moyennant un scan de perfusion qui permet de voir s'il y a 'mismatch' (zone de nécrose et de souffrance) et s'il y a une zone à sauver, on peut thrombolyser jusqu'à neuf heures. Donc ça vaut vraiment la peine. Parce que le problème des AVC qu'on rate, c'est qu'on finit souvent par tomber dessus un ou deux jours plus tard, et là, c'est mort!""Un tiers des patients traités dans les trois heures, et un sur six dans les quatre heures et demie, auront un bénéfice significatif: c'est hypercourt! Il faut que le patient arrive dans les temps et qu'aux urgences, il soit diagnostiqué. Si on thrombolyse, on augmente de 30% les chances de guérison sans séquelle, ou avec des séquelles minimes. 50% vont garder des séquelles invalidantes."Il existe aujourd'hui une nouvelle technique qui consiste à faire une thrombectomie après la thrombolyse, en cas de détection d'une occlusion artérielle proximale par angio-CT. "Ça fait cinq ans qu'on le fait en pratique commune. Les résultats montrent une augmentation des patients autonomes à trois mois (Rankin 0 à 2, aucun symptôme à handicap faible: incapable d'assurer les activités habituelles mais autonome) avec l'association thrombolyse + thrombectomie, sans augmentation des complications ou de la mortalité.""Petite cerise sur le gâteau, c'est l'étude Dawn et Defuse 3 pour des AVC de 6 à 24 h (pour lesquels on ne fait plus de thrombolyse), si on a encore accès à la thrombectomie, avec des critères de zones à sauver (c'est très rare), un patient sur deux sort indemne. Donc, jusqu'à 24 h, il faut encore réfléchir à ce qu'on peut faire pour un patient", note-t-elle, en ajoutant qu'on ne thrombectomise que les Rankin de 0 à 2 pré-AVC: "Si le patient était grabataire avant, il ne le sera pas moins après.""Tous les AVC ne sont pas hémiplégiques! Un bon tiers ne l'est pas", précise la Dre Gazagnes en évoquant des cas cliniques d'AVC dont la symptomatologie passait par de l'aphasie, des vertiges non rotatoires, une parésie, une bradypsychie... "Je ne dis pas que c'est simple de diagnostiquer un AVC mais, dans le doute, il faut demander un avis neuro. Dans les AVC, on rate le cortical, le pariétal, le cérébral antérieur et toutes les fosses postérieures. En tant que médecin, on ne peut pas se contenter de faire le test Fast (Face, Arm, Speech, Time), on n'est pas le grand public. Un Fast est normal sur une fosse postérieure, des troubles cognitifs, une cérébrale antérieure...""Quand je parle de l'examen neurologique pour les nuls (voir encadré), c'est celui à faire pour ne pas rater un AVC. Ça prend deux minutes et au moindre doute, il faut demander l'avis neuro", insiste-t-elle. "Le CT-scanner des premières heures ne sert qu'à une seule chose: voir si ce n'est pas une hémorragie. S'il est négatif, c'est un AVC ischémique, on thrombolyse. Au moindre doute, je fais une IRM en aigu."80% des AVC sont ischémiques, dont 60-70% hémiplégiques. "Le problème, ce sont les autres", avertit la neurologue. " Par exemple, le cérébral antérieur qui donne une monoparésie d'un membre inférieur à prédominance proximale: les gens viennent aux urgences parce qu'ils n'arrivent pas à lever la jambe. On peut être déficitaire d'un membre inférieur parce qu'on fait un AVC, sans rien avoir au membre supérieur, avec quelques petits troubles comportementaux: c'est cérébral antérieur, c'est frontal. Avant qu'on ne pense que c'est un AVC... Ça passe sous le radar. C'est terrible!"De la même façon, le fait d'être jeune ou d'avoir des antécédents psychiatriques, voire de parler une langue étrangère, sont des éléments qui, dans un premier temps, feront qu'on ne pensera pas d'emblée à un diagnostic d'AVC. AVC-AIT, même combat? Faut-il les gérer de la même façon? "Absolument", répond-elle. "C'est mon grand challenge de ces dernières années. J'ai monté une clinique de l'AIT dans le cadre d'une étude académique qui a inclus 160 patients, et qui a montré que c'est la plus grande urgence neurovasculaire. C'est l'angor du cerveau, c'est signe que l'AVC va survenir.""Par conséquent, si des patients ont eu un déficit transitoire, c'est aussi urgent qu'un AVC. C'est le moment où il faut faire tout ce qu'il faut pour éviter que l'AVC arrive. C'est vraiment urgent, il faut faire une IRM et s'il y a des lésions, c'est un AIT au sens clinique, mais c'est quand même un AVC s'il a perdu des neurones. La définition de l'AIT, c'est un déficit neurofocal transitoire qui dure moins d'une heure, dont l'IRM en diffusion ne montre pas de perte de neurones. Dès qu'il y a perte de neurones en diffusion, c'est un AVC. Donc, jusqu'à preuve du contraire, un AIT, tant qu'il n'a pas fait son IRM, c'est AIT/AVC. Dès qu'il y a quelque chose d'inhabituel et de brusque, il faut se méfier", conclut Marie-Dominique Gazagnes.