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Sécheresse extrême, feux de forêt inédits, inondations catastrophiques, rapports du GIEC alarmants, COP26 inefficiente... La problématique des changements climatiques induit des stress que l'on qualifie désormais d'éco-anxiété. Il s'agit de l'appréhension et des inquiétudes relatives à l'étendue potentielle des impacts du changement climatique et à l'incertitude de leur nature, de leur calendrier et de leur localisation. Dans quelle mesure la population ressent-elle de l'éco-anxiété et quel est l'impact de ce stress sur sa capacité à s'adapter face aux changements climatiques? L'étude réalisée par Alexandre Heeren, professeur à l'Institut de recherche en sciences psychologiques de l'UCLouvain et chercheur qualifié FNRS, épaulé par Camille Mouguima Daouda et Alba Contreras, apporte des éléments de réponse. "L'anxiété par rapport au changement climatique est apparue il y a 10-15 ans en Australie parce que ce pays a été sujet à de nombreux impacts climatiques et à des changements dans l'environnement. L'Australien Glenn Albrecht, spécialiste en science de l'environnement, est un des premiers à avoir parlé de 'solastalgie', la détresse psychologique liée à la dégradation de l'environnement. L'ouverture de mines à ciel ouvert, il y a 15-20 ans, a créé beaucoup d'émotions négatives, de stress voire de dépression chez les Australiens, parce que cela détruisait le paysage et parce que la capacité ressourçante de la nature n'était plus présente", explique le Pr Heeren. "Pour bien comprendre l'éco-anxiété, il faut se rappeler que l'anxiété est une émotion qui a le but de nous préparer à réagir devant une éventuelle menace. Elle a un rôle adaptatif sur le plan phylogénétique", précise Alexandre Heeren, spécialiste de l'anxiété et du stress. " Avec l'éco-anxiété, il y a beaucoup d'incertitudes sur la nature exacte de ce qui va advenir (quand, sous quelle forme, avec quelles conséquences...). Or, la pierre angulaire de l'anxiété, c'est l'intolérance à l'incertitude. Il y avait donc un lieu pour comprendre d'un point de vue fondamental certains enjeux de l'anxiété".Le deuxième élément qui a porté ce chercheur à se pencher sur ce sujet, c'est son intérêt pour la question environnementale: "Je voyais de plus en plus de jeunes rapporter de l'éco-anxiété, des parents se plaindre sur les forums... Je me suis dit qu'il fallait faire quelque chose et lancer une étude".Dans cette première phase, 2.080 participants (18-70 ans), issus de huit pays francophones d'Europe (Belgique, France, Suisse) et d'Afrique (Gabon, Maroc, Algérie, Rwanda, RDCongo) ont répondu à une enquête en ligne. Résultats? Une personne sur dix est fortement impactée psychologiquement par l'urgence climatique, via des troubles du sommeil, de la dépression ou des pleurs. "On a retrouvé les mêmes chiffres qu'aux Etats-Unis où 11-12% des personnes rapportent un niveau d'éco-anxiété relativement élevé et invalidant. J'insiste: c'est vraiment lié à une crainte des conséquences climatiques à venir. En revanche, pour les 90% restants, cette anxiété est bénéfique et associée à une plus grande propension à mettre en place des comportements adaptatifs éco-responsables. Par exemple, marcher ou prendre les transports en commun plutôt que la voiture, faire attention à sa consommation...", commente-t-il. Les scores d'éco-anxiété sont deux fois plus élevés chez les femmes que chez les hommes et cette anxiété touche davantage les jeunes (moins de 40 ans): "Cela colle aussi avec ce qui a été observé aux États-Unis et en Australie et avec une littérature plus générale en sciences de l'environnement où on voit que les femmes sont plus sensibles aux questions écologiques que les hommes".Aucune association avec le niveau d'éducation et aucune différence entre les pays d'Europe et d'Afrique n'ont été observées. "Contre toute attente, l'éducation n'a aucun lien, quel que soit le pays. Ce n'est pas un 'délire d'écolo-bobo'!", constate le psychologue. Enfin, contrairement à ce que les chercheurs pensaient, l'éco-anxiété s'observe même chez les personnes qui n'ont pas personnellement fait l'expérience d'un impact direct du changement climatique. "Je suis étonné mais personne n'a dit n'avoir jamais ressenti la moindre inquiétude sur ce sujet. Quel que soit le pays, beaucoup de personnes ressentent des émotions négatives par rapport au changement climatique"."On a tendance à oublier que l'anxiété est une très bonne chose parce que c'est une émotion qui nous pousse à nous adapter à ce qu'il y a autour de nous, aux menaces potentielles. C'est ce que rappelle notre étude. Encourageons donc les personnes à exprimer leurs émotions. Ce qui pose problème c'est les 10% qui sont handicapés par l'éco-anxiété et pour qui un travail thérapeutique s'impose pour que les émotions retrouvent leur fonction normale. Malheureusement, il existe très peu de recommandations sur l'éco-anxiété parce que ce n'est pas une pathologie en soi. Est-ce que ces personnes ont d'autres problèmes psychiatriques ou de régulation des émotions, sont-elles trop engagées ou sensibles aux enjeux climatiques? C'est quelque chose qu'il est urgent de clarifier", précise Alexandre Heeren. Ces données doivent donc être confirmées et précisées par d'autres travaux. L'équipe de l'UCLouvain aimerait par exemple préciser le rôle adaptatif de l'éco-anxiété et son évolution dans le temps, étudier l'influence des sources d'information sur l'anxiété perçue par rapport au climat et le lien entre éco-anxiété et désir de devenir parent, ou encore déterminer si l'exposition directe aux conséquences du changement climatique (perte de proches, de biens...) accentue l'éco-anxiété...