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Je m'appelle Thibaud De Blauwe, jeune gériatre à l'hôpital de Jolimont, à La Louvière, engagé en octobre 2020 (fin de mon assistanat). Par la présente, je tenais à vous faire part de mon inquiétude depuis l'instauration du contrôle du temps de travail des assistants. A noter que je suis d'ailleurs heureux d'avoir pu échapper à ces mesures. Bien sûr, les six années d'assistanat n'ont pas été une sinécure, mais je n'ai pas eu l'impression non plus d'avoir été exploité à outrance. Ce qui m'a parfois manqué, c'est un peu de supervision, mais les nouvelles mesures n'amélioreront pas ce point. Par contre, elles diminueront à coup sûr la qualité de la formation de nos futurs collègues. La médecine (comme bien d'autres métiers) est plus qu'un travail, elle est exercée par des passionnés et imposer un contrôle (dont la responsabilité est laissée à l'appréciation des institutions qui, elles-mêmes, la délèguent aux maîtres de stage et, ensuite, aux superviseurs de salle) entraînera une perte de cette notion de "passion" et obligera les plus consciencieux à se cantonner à un horaire strict, sans possibilité de faire leur travail comme ils l'entendent. Pourquoi? Parce qu'il n'est pas passé inaperçu auprès des institutions et maîtres de stage que les heures supplémentaires seront dues. Par conséquent, on nous encourage (oblige) à faire respecter les horaires, afin, justement, de ne pas devoir rémunérer ces dépassements d'horaire. Vous n'êtes sans doute pas sans savoir que les finances des institutions hospitalières, qui sont d'ailleurs des ASBL pour la plupart, ne sont pas extensibles et fragiles (d'autant plus dans le contexte sanitaire actuel). D'aucuns réfléchissent même à ne plus prendre (autant) d'assistants, car, en cas de dépassements, ils représenteront un coût trop élevé pour le service. Et des assistants se retrouveront alors sans lieu de stage. Qui plus est, l'assistant de garde, débutant à 18 heures, devra sans doute travailler plus dur, puisqu'il ne restera plus que lui dans l'hôpital à cette heure. Enfin, la formation sera moins bonne car il n'est pas rare qu'une situation survienne parfois en fin de journée et s'avère être souvent enrichissante pour l'assistant, ce dont il ne bénéficiera plus au risque de dépasser les heures prévues. Et que penser des assistants de chirurgie, pour qui respecter ces horaires relève de l'utopie? Par ailleurs, en tant que superviseur de salle, on me demande de faire respecter un horaire, quoi qu'il arrive, et j'estime que là n'est pas mon rôle. De plus, je considère qu'un assistant (de 25 à 30 ans en moyenne) est majeur et responsable de ses actes et que cette responsabilité ne doit pas être reportée sur nous, les maîtres de stage ou l'institution d'accueil. La charge de travail ne justifie d'ailleurs pas des dépassements systématiques d'horaire, mais nous constatons que certains assistants choisissent de rester malgré tout au-delà de l'horaire. Pourquoi l'institution devrait-elle assumer financièrement leur choix? Ce système conduira et conduit déjà à des dérives (...). Ce système pervers impose un rythme "fonctionnaire" qui est incompatible avec la discipline médicale, celle-ci requérant un réel investissement (...). Une réflexion qui me semble également importante à exprimer c'est la discrimination qui risque de résulter de cette décision. La conscience professionnelle est à mon sens une vertu ; et elle me semble incompatible avec un rythme de travail trop strictement encadré. Il y a et aura toujours des personnes qui accepteront d'aller au-delà du temps et des règles. A tort parfois, mais également à raison: en entretenant cette soif d'apprendre et cet amour du métier, ils sont et seront ces futurs praticiens que les institutions hospitalières souhaiteront engager, au détriment de ceux qui se seront "contentés" de prester leurs heures. J'entends ce souhait, omniprésent désormais, dans la quasi-totalité des professions, de chercher l'équilibre entre vie privée et vie professionnelle. Et si je ne suis moi-même pas partisan de cet ancien système où les médecins s'abandonnaient corps et âme à leur métier, je maintiens qu'on ne peut le faire convenablement, en tout cas en milieu hospitalier, qu'en acceptant parfois, de se sacrifier. Je pense donc qu'il faudrait reconsidérer cette mesure, sous peine de diminuer la qualité de la formation de nos jeunes médecins, avec risque d'épuisement professionnel, de diminution de place dans les différentes institutions, etc. S'il est louable et important de mettre la question de la "surexploitation" des assistants sur la table, il me semble toutefois important de rappeler que de telles dérives et de tels abus ne doivent concerner que quelques endroits et/ou spécialités. Il s'agit d'une réponse générale à quelques cas particuliers. Une nouvelle fois, comme malheureusement bien souvent dans notre société, il s'agit d'une réponse, à mon sens, disproportionnée. Cette dernière a-t-elle fait l'objet de concertations suffisantes avec les principaux intéressés? D'un côté, les institutions hospitalières et maîtres de stage quant aux réalités de terrain, de l'autre les assistants quant à la perspective d'une formation amoindrie? N'y aurait-il pas d'autres mesures à prendre au préalable comme un contrôle accru des institutions et/ou praticiens réputés trop "exigeants"? Lors de mon assistanat, nous avions la possibilité, de manière anonyme, d'évaluer notre stage et de commenter le milieu d'accueil, la formation, le personnel sur place et les relations avec lui... Quelle réponse est donnée à ces évaluations? Ne permettent-elles pas déjà d'identifier les abus et de veiller, si pas à les sanctionner (quoique...), tout le moins à les contrôler? J'ai conscience de jeter une bouteille à la mer, et espère que mon message sera entendu tôt ou tard.