Pour compléter ses explications sur les spécificités du coeur féminin, le Dr Eva De Caluwé évoque quelques syndromes cardiaques que l'on rencontre plus souvent chez les femmes que chez les hommes.
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-Dysfonctionnement microvasculaire. Un nombre important de patients développent un angor en l'absence de maladie coronarienne obstructive (sténoses > 50%) à l'angiographie. Ce phénomène est beaucoup plus fréquent chez les femmes que chez les hommes. Environ la moitié des cas d'angor sans sténose des grandes coronaires épicardiques sont dus à un dysfonctionnement microvasculaire. Il s'agit d'un dysfonctionnement des pré-artérioles et artérioles distales, plus petites. Ces vaisseaux sanguins distaux sont responsables de l'approvisionnement en sang du lit vasculaire capillaire du myocarde par le biais de la constriction et de la dilatation. L'extraction d'oxygène dans le myocarde est presque de 100% au repos, ce qui signifie que lorsque les besoins en oxygène augmentent, davantage de sang doit affluer vers le lit capillaire, par la dilatation des (pré)artérioles. En cas de dysfonctionnement microvasculaire, cette dilatation (pré-)artériolaire ne se produit pas. La cause en est principalement un dysfonctionnement endothélial, caractérisé par un déséquilibre dans la production par l'endothélium de substances dilatatrices par rapport aux substances constrictrices. En outre, il peut être question d'un dysfonctionnement des cellules musculaires lisses de la paroi des vaisseaux sanguins. La plupart des patients atteints de dysfonctionnement microvasculaire présentent une athéromatose diffuse dans les grandes artères coronaires épicardiques. Il n'y a pas de sténose prononcée à un seul endroit, mais en raison du rétrécissement diffus, l'apport sanguin au lit vasculaire capillaire est sous-optimal. Les patients présentant un dysfonctionnement microvasculaire réagissent par exemple à l'acétylcholine par une vasoconstriction, alors que c'est une vasodilatation qui devrait se produire sous son influence. Le diagnostic peut être établi à l'aide de techniques invasives (par exemple la coronarographie) et de techniques non invasives (par exemple le PET-scan). Dans les deux cas, on cherche à mesurer la réserve de flux coronaire (RFC), c'est-à-dire l'augmentation maximale du flux sanguin du coeur à l'effort, comparée au flux sanguin au repos. En pratique, on la mesure en administrant une substance vasodilatatrice. Pendant longtemps, le dysfonctionnement microvasculaire n'a été guère étudié, mais on sait maintenant que les personnes ayant une faible réserve de flux coronaire (RFC < 2) ont un risque plus élevé d'événements cardiovasculaires majeurs. Ce risque est plus élevé chez les femmes que chez les hommes. Comme indiqué précédemment, le traitement consiste à nouveau à s'attaquer aux facteurs de risque cardiovasculaire classiques via des adaptations du mode de vie, en plus d'un traitement médicamenteux à base d'aspirine, de statine et d'inhibiteur de l'ECA, ainsi que d'agents antiangineux (bêtabloquants, antagonistes du calcium, nitrates à longue durée d'action, ivabradine). -MINOCA (myocardial infarction with non-obstructive coronary arteries) ou infarctus du myocarde avec maladie coronarienne non obstructive. Dans ce syndrome, les patients se présentent avec des symptômes de douleur thoracique typiques, avec ou sans anomalies à l'ECG et un 'rise and fall' des troponines typique, mais sans sténose > 50% à la coronarographie. Le substrat sous-jacent varie d'un cas à l'autre. Le patient présente souvent une athéromatose coronarienne étendue et parfois une rupture de plaque non obstructive. Un dysfonctionnement microvasculaire s'observe chez 50% des patients. Des spasmes coronaires et une dissection de l'artère coronaire sont d'autres causes possibles. Après un infarctus du myocarde, un MINOCA est diagnostiqué beaucoup plus souvent chez les femmes que chez les hommes. Les patients atteints de MINOCA ont une survie légèrement supérieure à celle des patients ayant subi un infarctus du myocarde et souffrant d'une maladie coronarienne obstructive, mais leur pronostic reste moins bon que celui des personnes asymptomatiques ne souffrant pas d'une maladie coronarienne. Si une athéromatose diffuse est diagnostiquée dans un MINOCA, le pronostic est même similaire à celui des patients présentant des sténoses > 50% sur une, deux ou trois artères coronaires. Les patients atteints de MINOCA ne doivent donc pas être simplement rassurés sans prise d'autres mesures: ils présentent un risque accru d'hospitalisation répétée pour des symptômes d'angor, de deuxième infarctus du myocarde, d'accident vasculaire cérébral et d'insuffisance cardiaque à fraction d'éjection préservée (HFpEF). Une prévention secondaire classique conforme aux recommandations pour le syndrome coronarien aigu est également nécessaire dans ce groupe de patients. -Dissection spontanée de l'artère coronaire (SCAD). Cette anomalie survient dans 90% des cas chez les femmes, généralement en présence d'un profil de risque cardiovasculaire faible. L'âge moyen des patients est de 50 ans. On estime que la SCAD est à l'origine d'un quart des cas d'infarctus du myocarde chez les femmes de moins de 50 ans. Le traitement est conservateur. Il convient de dépister la dysplasie fibromusculaire, une anomalie de la paroi des vaisseaux connue pour être un facteur de risque de SCAD. -Cardiomyopathie de tako-tsubo ou 'syndrome du coeur brisé'. Il s'agit d'un syndrome aigu qui survient suite à un stress sévère et aigu. Cette cardiomyopathie est provoquée par une libération excessive de catécholamines, entraînant une hypo- ou une akinésie, généralement localisée à la pointe du coeur. L'anomalie se manifeste par une douleur thoracique. Elle est en principe réversible, mais le pronostic durant la phase hospitalière est comparable à celui de l'infarctus du myocarde, ces patients présentant un risque similaire de choc cardiogénique et d'arythmies ventriculaires. Environ 90% des patients sont des femmes.