Avec une prévalence d'environ 4 à 15% selon les pays et les études, le syndrome de l'intestin irritable (appelé anciennement syndrome du côlon irritable, à l'époque où on ignorait qu'il ne se limitait pas nécessairement au gros intestin) mérite de s'y intéresser régulièrement. Cette prévalence élevée a forcément un impact en termes de coûts pour la société, notamment par l'absentéisme qu'il engendre.
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"L' année dernière, nous avons fait le point avec des confrères gastro-entérologues belges intéressés par les maladies fonctionnelles, et nous avons abouti à un consensus publié par les Acta Gastro-enterologica Belgica [1]", explique Hubert Louis, gastro-entérologue à l'hôpital Erasme (ULB). "Le syndrome de l'intestin irritable (SII) est beaucoup mieux défini depuis quelques années, ce qui ne l'empêche pas d'être encore rébarbatif pour beaucoup de médecins. Ils sont nombreux à être découragés, pensant qu'il n'y a pas grand-chose à faire pour aider le patient, alors que c'est inexact." On sait que les examens complémentaires ne montrent rien de particulier dans le SII. Cependant, il existe des mécanismes qui peuvent expliquer le syndrome. "Ainsi, par exemple, jusqu'à un tiers des patients souffrant de diarrhée fonctionnelle présentent une malabsorption des acides biliaires, ce qui peut se mettre en évidence." Le domaine des probiotiques est également exploré actuellement, et il arrive que des cas de gastro-entérite débouchent sur une sensibilité intestinale alors que l'agent infectieux a disparu. En fait, il s'agit plus précisément d'une sensibilisation de la muqueuse intestinale à des allergènes alimentaires qui étaient tolérés jusque-là. S'y ajoutent encore les problèmes de motilité intestinale, l'impact de certains aliments, sans oublier les importantes interactions entre le cerveau et l'intestin (GBA, gut-brain axis), associées notamment au stress, à l'anxiété et à l'état dépressif. Le consensus belge a permis de faire l'état des lieux non seulement sur le plan des connaissances, mais également sur les recommandations pouvant être faites sur base de la littérature et du niveau de preuve. Il rappelle que le consensus de Rome IV définit le SII comme des douleurs abdominales chroniques présentes dans le courant des trois derniers mois, sans lésion organique associée, et apparues six mois avant le diagnostic et associées au moins à deux des critères suivants: ces douleurs sont liées à la défécation, associées une modification de la forme des selles, ou associées à une modification de la fréquence de défécation (constipation, diarrhée, ou alternance des deux). Le bilan à réaliser comprendra une biologie sanguine, qui permettra notamment d'exclure une maladie coeliaque. "Certaines personnes se disent intolérantes au gluten, mais il s'agit en réalité d'une intolérance aux fructanes, ces hydrates de carbone présents dans l'enveloppe des céréales et qui font partie du groupe des FODMAPs. Mal digérées, elles entraînent chez ces personnes une fermentation au niveau du côlon, ainsi que des ballonnements et des douleurs abdominales chez celles qui souffrent de SII." La constipation distale doit être également recherchée. Fréquente, elle est généralement liée à une dyssynergie au niveau recto-anal, avec une insuffisance de relâchement au niveau du canal anal. L'origine du problème remonte souvent à l'enfance, avec l'impossibilité de se rendre aux toilettes pendant les cours notamment. "Il faut poser la question au patient, car il en parle rarement spontanément", témoigne Hubert Louis, alors que ce type de constipation peut être traité efficacement par un kinésithérapeute spécialisé, au moyen d'une technique de biofeedback. Le traitement du SII peut s'appuyer sur toute une variété de produits ou de médicaments, comme les chélateurs des acides biliaires à utiliser en cas de malabsorption, le lopéramide, les spasmolytiques, l'huile de menthe poivrée, le psyllium, des fibres, ou des laxatifs en cas de constipation plus tenace. "Il faut également donner des conseils diététiques simples, et certainement pas un régime pauvre en FODMAPs à tous les patients", ajoute Hubert Louis. Les probiotiques peuvent également être envisagés mais cette option thérapeutique, dans le SII, reste encore trop floue sur le plan du probiotique à choisir et de son dosage efficace pour en tirer des conclusions claires. Enfin, un point très important, et qui ne va pas toujours de soi dans le domaine des maladies fonctionnelles: après la réalisation d'un bilan a minima (une coloscopie, par exemple, est généralement inutile chez un patient de 25 ans qui se plaint de constipation), le diagnostic de SII, qui est avant tout clinique, doit être clairement posé puis affirmé positivement au patient qui en souffre. "Sinon, il pourrait se perdre dans des recherches diagnostiques sans fin, s'accrocher à des pseudo-diagnostics comme celui de leaky gut (intestin 'poreux'), ou prendre des traitements à l'efficacité douteuse", insiste Hubert Louis.