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La sarcopénie est une baisse de la masse et de la force musculaire, liée à l'âge, qui a un impact sur le quotidien", précise le Dr Dupont. "Cet impact peut être limité mais aussi avoir un retentissement considérable sur la vie d'un senior. Le patient peut éprouver plus de difficultés à jardiner parce qu'il a du mal à s'agenouiller et à se relever, alors qu'il y parvenait sans problème un an plus tôt. Une autre personne aura peut-être du mal à porter ses courses, à effectuer une longue promenade, etc. La sarcopénie accroît également le risque de chutes, de fractures, d'hospitalisations et de mortalité précoce." Dans la définition européenne la plus récente [1] de la sarcopénie (EWGSOP2, European Working Group on Sarcopenia in Older People), l'accent est passé de la masse à la force musculaire. Initialement, la sarcopénie était avant tout définie comme une perte quantitative de la masse musculaire. La nouvelle définition utilise un algorithme diagnostique utilisable au quotidien: on commence par mesurer la force musculaire de la personne âgée afin de diagnostiquer la sarcopénie. "Cela peut s'effectuer très simplement, à l'aide d'un dynamomètre à main", poursuit le Dr Dupont. "On parle de diminution de la force de préhension si celle-ci est inférieure à 16 kg pour les femmes et à 27 kg pour les hommes. Le test de la chaise (chair stand test) est encore plus simple: le patient doit s'asseoir et se lever d'une chaise cinq fois d'affilée. Il y a perte de force s'il lui faut plus de 15 secondes."Le EWGSOP2 distingue trois degrés de sarcopénie: · Sarcopénie probable: la force musculaire de la personne est réduite ; · Sarcopénie confirmée: la force et la masse musculaires ont diminué ; · Sarcopénie sévère: la diminution de la force et de la masse musculaire a un impact sur le fonctionnement physique du patient. Elle se traduit par une démarche ou un test get-up-and-go plus lent. "Cette définition en trois stades est utile pour la recherche", commente Jolan Dupont. "Au quotidien, le médecin doit surtout être attentif au premier stade: y a-t-il diminution de la force musculaire? Si c'est le cas, il doit envisager un traitement." L'inflammaging est une des principales causes de sarcopénie. Avec l'âge, l'inflammation chronique de faible degré augmente dans le corps. Cette inflammation ralentit le développement musculaire et accélère la fonte. L'inflammaging est donc partiellement à l'origine de la résistance anabolique qui se manifeste à un certain âge. Cela signifie que le patient a besoin de stimuli anaboliques plus marqués (par exemple des exercices ou des protéines) pour renforcer sa masse et sa puissance musculaires. Le même exercice, effectué avec une charge identique, permettra à un jeune de développer plus de masse musculaire qu'à une personne âgée. L'âge modifie également la structure de la jonction neuromusculaire. La stimulation du muscle est donc moins efficace et la formation de muscles est ralentie. Enfin, une carence en vitamine D peut accélérer la fonte musculaire. Il faut souligner qu'à côté de la sarcopénie chronique, il existe aussi une forme aiguë, qui est généralement la conséquence d'une immobilisation (provisoire), par exemple durant une hospitalisation. Une adaptation du style de vie constitue l'aspect principal du traitement de la sarcopénie. Des conseils diététiques et un programme d'exercices adaptés en constituent les pierres angulaires. "On conseille souvent aux personnes âgées atteintes de sarcopénie de marcher régulièrement", constate le Dr Dupont. "Il faut certainement encourager les gens à marcher, mais cela ne suffit pas à contrer la fonte musculaire liée à l'âge, à cause de la résistance anabolique.""Cela complique le traitement car la mobilité des personnes âgées est souvent réduite, par exemple à cause de pathologies articulaires ou d'une diminution du potentiel cardiorespiratoire. Bien évidemment, on ne prescrit pas le même schéma d'exercices à un senior qu'à une personne plus jeune. Les exercices doivent être adaptés aux aptitudes et aux besoins du patient, sous la direction d'un kinésithérapeute expérimenté."En ce qui concerne le type d'exercices, il existe un consensus, basé sur des preuves scientifiques: l'entraînement de résistance est le plus efficace dans le traitement de la sarcopénie. Cela consiste à entraîner différents groupes musculaires par flexion contre une résistance ou en utilisant des poids. L'accent est mis sur les membres inférieurs, qui ont le plus d'impact sur la fonction (marche, équilibre, risque de chute avec fracture, etc.). Outre l'entraînement de résistance, il faut améliorer l'endurance par (l'incitation à) la marche. L'entraînement de l'équilibre constitue la troisième composante. Il vise à réduire le risque de chute et la peur qui y est liée. L'alimentation est l'autre volet du traitement. "La malnutrition est un facteur de risque important de sarcopénie", souligne le Dr Dupont. "Il ne s'agit pas uniquement de malnutrition calorique mais de la composition de l'alimentation. Les protéines jouent un rôle crucial dans le développement musculaire. Une étude néerlandaise révèle que de nombreuses personnes de plus de 65 ans consomment trop peu de protéines [2]. Il est conseillé d'adresser le patient à un diététicien afin de trouver une solution durable. Un régime adéquat permet d'obtenir une ingestion suffisante de protéines, tout en tenant compte des goûts du patient. L'alimentation est en effet la meilleure source de protéines mais les compléments permettent d'accélérer la reconstruction musculaire, certainement après une hospitalisation."La gestion nutritionnelle comporte un second pilier: la correction d'une carence en vitamine D. Celle-ci a un impact considérable sur le bon fonctionnement musculaire et l'équilibre. "Ma recherche actuelle porte sur le rôle possible des suppléments en omega-3", poursuit le Dr Dupont. "L'effet des acides gras omega-3 sur les affections liées à l'âge, comme la maladie d'Alzheimer, a déjà fait l'objet de diverses études. Le régime méditerranéen, bénéfique pour la santé selon de plus en plus de données, est particulièrement riche en omega-3. Des études démontrent aussi que des doses élevées d'acides gras omega-3 (issus du saumon et d'autres poissons gras, de certaines sortes de noix...) peuvent stimuler le développement musculaire en cas de sarcopénie. Nous disposons actuellement de trop peu de données scientifiques pour donner des compléments en omega-3 à tout le monde, mais recommander à chacun d'adopter un régime varié comprenant deux à trois portions de poisson, de préférence gras, par semaine, ne peut pas faire de mal. On peut espérer que ce régime ait une influence positive sur la sarcopénie."La masse et la force musculaire atteignent leur sommet entre 30 et 40 ans, puis diminuent progressivement à partir de 50 ans. "Se constituer une bonne réserve pendant la jeunesse ou le début de l'âge adulte permet de se prémunir contre la sarcopénie. À l'âge mûr, il faut alors faire de son mieux pour entretenir ce maximum, puis limiter cette perte à un âge plus avancé. Plus la réserve constituée à la période la plus propice est importante, mieux on est armé en prévision de la phase suivante", explique Jolan Dupont. "Il est encore possible de développer sa musculature au-delà de la cinquantaine, mais cela nécessitera plus d'efforts. Il faut donc prévenir la sarcopénie des décennies avant l'âge auquel elle survient. C'est au moins aussi important que la mise en oeuvre d'un traitement au moment où on diagnostique la sarcopénie." Comme nous venons de l'écrire, on constate une perte progressive de la masse et de la force musculaires à partir de 50 ans dans la population. D'où cette question: quand le médecin doit-il considérer que la perte est pathologique? Et surtout, quand le patient y pense-t-il? Va-t-il consulter son médecin s'il estime que sa perte de force est un phénomène lié à l'âge? Jolan Dupont: "Le médecin doit certainement réagir et mesurer la force musculaire d'un patient qui signale une perte, ne serait-ce qu'au moyen du test tout simple de la chaise.""Il est également possible que le patient ne songe pas à parler à son médecin de sa perte de force. Après tout, les attentes en matière d'aptitudes fonctionnelles et de leur diminution au fil des ans varient d'une personne à l'autre. C'est pour cela que l'ICFSR (International Clinical Practice Guidelines for Sarcopenia) préconise d'intégrer l'examen de la force à l'examen général effectué par la première ligne durant les contrôles de routine des personnes âgées [3]. Cela ne demande guère d'efforts: le patient doit se lever quelques fois de sa chaise et le médecin doit intervenir s'il n'y parvient pas dans le délai prescrit."