L'un est rhumatologue spécialiste de la douleur depuis les années '80, enseignant et consultant au Centre de la douleur de l'hôpital Lariboisière (Paris) et, à ce titre, membre de l'Iasp (International Association for the study of pain). L'autre n'est autre que le dessinateur du célèbre "Lucky Luke". Tous deux se connaissent depuis belle lurette. "Aïe!", le premier opus en bande dessinée de ce duo, s'avère explosif, douloureusement hilarant, sur fond d'anecdotes historiques authentiques égrainées au fil de nos douleurs. Le tout signé chez Fluide glacial, ce qui laisse de suite augurer le style, très Gotlib, qui ne manquera pas de plaire à tous ceux qui ont poussé entre Carmen Cru et Soeur Marie-Thérèse des Batignolles.

L'important est de ne pas sous-évaluer la douleur pour ne pas la sous-traiter.

Sichère, médecin ès phylactères

Le Dr Patrick Sichère est féru de phylactères. Une ferveur née de l'enfance: "J'ai baigné dans la bande dessinée tout petit, je suis le cadet de cinq enfants, le dernier à pouvoir découvrir chaque semaine le Journal de Tintin!", rigole-t-il. Quand il ne consulte pas, il ausculte volontiers le monde de la BD, n'aimant rien tant que d'aller à la rencontre de bédéistes qu'il interviewe pour des chroniques publiées, entre autres, en presse médicale. "Ça fait des décennies que je rencontre des auteurs, en France mais aussi en Belgique - j'ai d'ailleurs mis Tibet comme parrain de l'album", explique-t-il. "Certains sont devenus des patients que je conseille médicalement, d'autres viennent dédicacer lors de congrès médicaux..."

Des amitiés naissent aussi, comme avec Achdé qui, dans une première vie professionnelle, fut manipulateur en électroradiologie. Ce n'est toutefois pas au dessinateur de Lucky Luke que Patrick Sichère s'était adressé en premier pour son projet sur le thème de la douleur, nous glisse-t-il, mais bien à un... Bruxellois (de coeur): Philippe Bercovici, la papa des "Femmes en blanc". Mais il était débordé, Achdé a dès lors accepté de relever le défi pour son ami qu'il surnomme affectueusement 'le médecin de la BD'. "J'ai beaucoup de chances avec Achdé, il a le sens du gag, du découpage, de l'humour à la bonne place, il a joué un rôle très important."

Ludique et instructif

Le rire est une force face à la souffrance. "Le plaisir, la distraction, ont fait la preuve de leur effet antidouleur", pose le Dr Sichère. "L'effet 'distraction' stimule certaines zones du cerveau qui vont un peu court-circuiter la douleur. Si vous avez mal à la tête et que vous croisez Leonardo Di Caprio, vous verrez que vous serez moins douloureuse..." (rires)

Au-delà de la drôlerie, "Aïe" déroule aussi l'histoire de la médecine: "L'idée m'est venue quand j'ai découvert que les éditions Les Arènes sortaient l'histoire de la médecine en bande dessinée. Je me suis dit que la douleur, sujet universel, était mal connue, pourquoi ne pas le proposer?Mon objectif était que ça soit ludique mais aussi informatif, avec des anecdotes historiques, toutes véridiques, qui montrent que la prise en charge de la douleur n'a pas tjrs été top voire, parfois, absurde. Des aberrations ont été commises au nom de la science", rappelle Patrick Sichère, dont l'expérience clinique nourrit chaque bulle. "Vu que je reçois des patients depuis des décennies pour la prise en charge de leur douleur, j'ai pu voir combien d'entre eux - et même des médecins - sont mal informés. Or, je considère que mieux un patient est informé, mieux il se soigne."

Connaître et comprendre sa douleur permet de mieux la gérer: "Comprendre pourquoi on a mal, ça soulage", acquiesce le médecin. "J'ai ainsi glissé un chapitre sur la fibromyalgie, pathologie encore mal comprise et mal connue dont les femmes sont souvent victimes, où je plaide pour elles."

Moins tolérants à la douleur

Fort de sa longue expertise, Patrick Sichère note, par ailleurs, que les progrès de la médecine ont fini par émousser notre tolérance face la douleur par rapport à nos ancêtres qui n'avaient, eux, bien souvent d'autre choix que de la subir. "On se soigne tellement bien aujourd'hui, qu'on ne supporte plus d'avoir mal. Nous avons une vie beaucoup plus confortable, notre acceptation de la douleur est donc moindre qu'autrefois où l'on était plus fataliste. Mais ce n'est pas négatif car plus vite et mieux on traite, plus longtemps on soulage. Et il ne faut pas seulement soulager mais aussi apporter une meilleure qualité de vie."

Sauf que certaines douleurs résistent, encore et toujours... "Celle du zona par exemple, mais on sait que plus vite on traite, mieux c'est. On a de multiples moyens, l'important est de ne pas sous-évaluer la douleur pour ne pas la sous-traiter. Or nous avons encore tendance à sous-évaluer la douleur de l'autre..."

L'objectif, dans la douleur chronique, est aussi de redonner le pouvoir au patient, sa confiance en lui et en son corps. C'est un peu le rôle de Marcel Hippocrate, personnage clé de la BD: "Je tenais à trouver un fil conducteur. Marcel Hippocrate, descendant fictif du père de la médecine - le prénom "Marcel" permet de dédramatiser le personnage et de le rendre plus humain, plus proche de nous -, est le fil rouge qui permet à la fois de remettre les idées en place et de corriger certaines fausses idées, mais aussi de rassurer la personne qui a mal en lui donnant de bonnes indications." Marcel Hippocrate... aka Patrick Sichère. Qui nous confie qu'il en a encore pas mal sous la pédale pour un éventuel second opus.

Achdé et Sichère (2024). Aïe, la douleur se traite aussi avec humour. Fluide glacial.

L'un est rhumatologue spécialiste de la douleur depuis les années '80, enseignant et consultant au Centre de la douleur de l'hôpital Lariboisière (Paris) et, à ce titre, membre de l'Iasp (International Association for the study of pain). L'autre n'est autre que le dessinateur du célèbre "Lucky Luke". Tous deux se connaissent depuis belle lurette. "Aïe!", le premier opus en bande dessinée de ce duo, s'avère explosif, douloureusement hilarant, sur fond d'anecdotes historiques authentiques égrainées au fil de nos douleurs. Le tout signé chez Fluide glacial, ce qui laisse de suite augurer le style, très Gotlib, qui ne manquera pas de plaire à tous ceux qui ont poussé entre Carmen Cru et Soeur Marie-Thérèse des Batignolles. Le Dr Patrick Sichère est féru de phylactères. Une ferveur née de l'enfance: "J'ai baigné dans la bande dessinée tout petit, je suis le cadet de cinq enfants, le dernier à pouvoir découvrir chaque semaine le Journal de Tintin!", rigole-t-il. Quand il ne consulte pas, il ausculte volontiers le monde de la BD, n'aimant rien tant que d'aller à la rencontre de bédéistes qu'il interviewe pour des chroniques publiées, entre autres, en presse médicale. "Ça fait des décennies que je rencontre des auteurs, en France mais aussi en Belgique - j'ai d'ailleurs mis Tibet comme parrain de l'album", explique-t-il. "Certains sont devenus des patients que je conseille médicalement, d'autres viennent dédicacer lors de congrès médicaux..."Des amitiés naissent aussi, comme avec Achdé qui, dans une première vie professionnelle, fut manipulateur en électroradiologie. Ce n'est toutefois pas au dessinateur de Lucky Luke que Patrick Sichère s'était adressé en premier pour son projet sur le thème de la douleur, nous glisse-t-il, mais bien à un... Bruxellois (de coeur): Philippe Bercovici, la papa des "Femmes en blanc". Mais il était débordé, Achdé a dès lors accepté de relever le défi pour son ami qu'il surnomme affectueusement 'le médecin de la BD'. "J'ai beaucoup de chances avec Achdé, il a le sens du gag, du découpage, de l'humour à la bonne place, il a joué un rôle très important."Le rire est une force face à la souffrance. "Le plaisir, la distraction, ont fait la preuve de leur effet antidouleur", pose le Dr Sichère. "L'effet 'distraction' stimule certaines zones du cerveau qui vont un peu court-circuiter la douleur. Si vous avez mal à la tête et que vous croisez Leonardo Di Caprio, vous verrez que vous serez moins douloureuse..." (rires) Au-delà de la drôlerie, "Aïe" déroule aussi l'histoire de la médecine: "L'idée m'est venue quand j'ai découvert que les éditions Les Arènes sortaient l'histoire de la médecine en bande dessinée. Je me suis dit que la douleur, sujet universel, était mal connue, pourquoi ne pas le proposer?Mon objectif était que ça soit ludique mais aussi informatif, avec des anecdotes historiques, toutes véridiques, qui montrent que la prise en charge de la douleur n'a pas tjrs été top voire, parfois, absurde. Des aberrations ont été commises au nom de la science", rappelle Patrick Sichère, dont l'expérience clinique nourrit chaque bulle. "Vu que je reçois des patients depuis des décennies pour la prise en charge de leur douleur, j'ai pu voir combien d'entre eux - et même des médecins - sont mal informés. Or, je considère que mieux un patient est informé, mieux il se soigne." Connaître et comprendre sa douleur permet de mieux la gérer: "Comprendre pourquoi on a mal, ça soulage", acquiesce le médecin. "J'ai ainsi glissé un chapitre sur la fibromyalgie, pathologie encore mal comprise et mal connue dont les femmes sont souvent victimes, où je plaide pour elles."Fort de sa longue expertise, Patrick Sichère note, par ailleurs, que les progrès de la médecine ont fini par émousser notre tolérance face la douleur par rapport à nos ancêtres qui n'avaient, eux, bien souvent d'autre choix que de la subir. "On se soigne tellement bien aujourd'hui, qu'on ne supporte plus d'avoir mal. Nous avons une vie beaucoup plus confortable, notre acceptation de la douleur est donc moindre qu'autrefois où l'on était plus fataliste. Mais ce n'est pas négatif car plus vite et mieux on traite, plus longtemps on soulage. Et il ne faut pas seulement soulager mais aussi apporter une meilleure qualité de vie."Sauf que certaines douleurs résistent, encore et toujours... "Celle du zona par exemple, mais on sait que plus vite on traite, mieux c'est. On a de multiples moyens, l'important est de ne pas sous-évaluer la douleur pour ne pas la sous-traiter. Or nous avons encore tendance à sous-évaluer la douleur de l'autre..."L'objectif, dans la douleur chronique, est aussi de redonner le pouvoir au patient, sa confiance en lui et en son corps. C'est un peu le rôle de Marcel Hippocrate, personnage clé de la BD: "Je tenais à trouver un fil conducteur. Marcel Hippocrate, descendant fictif du père de la médecine - le prénom "Marcel" permet de dédramatiser le personnage et de le rendre plus humain, plus proche de nous -, est le fil rouge qui permet à la fois de remettre les idées en place et de corriger certaines fausses idées, mais aussi de rassurer la personne qui a mal en lui donnant de bonnes indications." Marcel Hippocrate... aka Patrick Sichère. Qui nous confie qu'il en a encore pas mal sous la pédale pour un éventuel second opus.