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Le terme " dénutrition " désigne un déficit protéino-calorique et les conséquences fonctionnelles qu'il entraîne, ce déficit pouvant être secondaire à une diminution des apports ou à un problème d'absorption ou de digestion des nutriments. Les conséquences de la dénutrition sont nombreuses et graves, mais elle peut être dépistée précocement : " Il faut y penser et faire enregistrer les pertes de poids ", a souligné le Pr Jean-Charles Preiser (Erasme, ULB) lors du 10e Congrès Médecine et Nutrition (Liège, 7 mars 2020). Face à la divergence et au grand nombre de critères utilisés pour diagnostiquer une dénutrition, un groupe de travail piloté par un consortium européen, américain et asiatique, le GLIM (Global Leadership Initiative on Malnutrition), a proposé d'utiliser un langage commun. " Il a fait une proposition de critères diagnostiques : pour dire qu'il y a une dénutrition, il faut d'abord qu'il y ait un risque de dénutrition, par exemple une maladie grave, une perte involontaire de poids ". La suite du screening passe par une évaluation des critères phénotypiques (perte de poids involontaire (5% en 3 mois, 10% en 6 mois), BMI <20,5, masse musculaire réduite) et les critères étiologiques (diminution de la prise ou de l'assimilation des nutriments, maladie grave avec une inflammation importante). " Il suffit qu'il y ait un critère phénotypique et un critère étiologique pour dire qu'il y a dénutrition. C'est le consensus actuel qui est progressivement utilisé dans le monde entier ", indique-t-il. Une fois le diagnostic posé, il faut évaluer la sévérité. Les normes relatives au BMI diffèrent selon les régions du monde. " Par exemple, en Asie, la limite inférieure de normalité est à 18,5, mais elle est à 20 (pour les moins de 70 ans) dans le monde occidental. Le pourcentage de perte de poids involontaire est similaire : pour la dénutrition modérée, 5 à 10% dans les derniers six mois ou 10 à 20% en plus de six mois, et plus de 10% dans les six mois ou >20% en plus de six mois, pour une dénutrition sévère. Quant à la réduction de masse musculaire, le déficit est dit modéré ou sévère selon les normes et la technique utilisées ". " La dénutrition ne se limite pas à l'hôpital : 90% des dénutris vivent chez eux ou en maison de repos. L'histoire de la dénutrition est celle d'un patient qui souffre d'une maladie chronique, qui perd progressivement du poids, en parallèle, avant ou après d'autres symptômes pour lesquels il consulte alors qu'il a déjà perdu pas mal de poids ", fait observer le Pr Preiser. Assez peu de données permettent de connaître la prévalence de la dénutrition en Belgique. " A l'hôpital, elle concerne 10 à 70% des patients selon les enquêtes, avec une moyenne à 40% de risque de dénutrition avérée. Ce sont des chiffres anciens qui ne dépendent donc pas des nouveaux critères du GLIM. Les pourcentages sont similaires en maison de repos et de soins et à domicile ". S'il y a à peu près 50% de dénutris à l'entrée à l'hôpital, ils sont encore plus nombreux à la sortie : " La dénutrition est acquise à l'hôpital pour plusieurs raisons : la maladie sous-jacente, les investigations, la chirurgie, la douleur, les médicaments et le régime imposé avec modification des habitudes alimentaires. Enfin, l'isolement, qu'il soit social ou pour raisons hygiéniques : des études ont montré que s'il faut mettre un masque, des blouses etc. et que l'on passe beaucoup moins souvent dans la chambre, les patients en isolement sont 'moins' bien soignés simplement pour cette raison-là ", explique le spécialiste. Les conséquences de la dénutrition à l'hôpital sont multiples: augmentation de la mortalité et de la morbidité, prolongation de la durée d'hospitalisation, diminution de la qualité de vie, coût des soins, réinsertion retardée... " Les conséquences sont négatives pour le patient (moindre qualité de vie et autonomie, infection, retard de cicatrisation et de rétablissement...), pour le soignant (quantité et lourdeur des soins) et pour la santé publique (nombre et durée des hospitalisations, traitements médicaux moins efficaces, comme par exemple, une tolérance moindre aux effets secondaires d'une chimiothérapie anticancéreuse)". Les liens entre poids et taux de décès dans les 30 jours de l'hospitalisation sont éloquents : s'il y a une perte de poids inexpliquée, la mortalité est par exemple multipliée par 2,5. " On observe une belle proportionnalité entre la diminution des ingestats et l'augmentation de la mortalité hospitalière dans les 30 jours ". " Est-ce une fatalité ? ", s'interroge le Pr Preiser. " Certainement pas. On peut dépister les patients, développer un plan nutritionnel (approche multidisciplinaire et individualisée, à l'hôpital et en dehors) et assurer le suivi. Il faut disséminer les critères simples du GLIM pour diagnostiquer la dénutrition. En étant rigoureux, systématique et individualisé, il y a moyen d'améliorer l'état nutritionnel des patients et de limiter les complications induites par une dénutrition préalable ou acquise à l'hôpital. Faire reprendre du poids à un dénutri ou du muscle à quelqu'un qui a une faiblesse musculaire, cela prend du temps mais cela en vaut la peine ", conclut-il. *ESPEN recommandations, Clin Nutrition 2019 ; 38 : 1-9 www.sbmn.org Coordination: michèle.langendries@roularta.be