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Karolien Hollanders, pharmacienne de formation et mère d'un enfant atteint d'une maladie orpheline, a été l'oratrice la plus remarquée du symposium. Elle a subi de plein fouet les conséquences de la fragmentation du paysage de l'e-health dans notre petit pays. Le patient qui recherche des informations sur sa santé sur un des portails disponibles a intérêt à être bien familiarisé avec la structure du paysage de la santé en ligne pour s'y retrouver. À un endroit, Karolien n'a rien trouvé. Ailleurs, elle est tombée sur une longue liste d'ordonnances pour sa petite fille ou sur une série de 400 " PDF plats ". Sur papier, la Belgique dispose d'un formidable système: on peut y trouver l'imagerie médicale, les rapports hospitaliers, les ordonnances d'un patient... Mais en réalité, c'est un véritable labyrinthe dysfonctionnel. Karolien Hollanders plaide en faveur d'un dossier patient central - son compte LinkedIn indique qu'elle est consultante du Belgian Integrated Health Record (BIHR), une feuille de route fédérale destinée à la réalisation d'un dossier unique. Ce plaidoyer est fréquemment revenu lors du symposium Data Disrupting HealthCare, un événement organisé le 12 décembre à la Ghelamco Arena de Gand par le Journal du Médecin, en collaboration avec DataNews. De nombreux orateurs issus du milieu formant la vaste interface entre les technologies de l'information et les soins de santé ont parlé de la divulgation des données de santé, de leur interopérabilité, des principes éthiques, de la télésurveillance et de l'autogestion, de l'intelligence artificielle... " L'interopérabilité " est un mot-clef dans la divulgation et l'utilisation ou la réutilisation des données de santé. Les données parlent-elles la " même langue "? Jan Vekemans est un professionnel de l'informatique et a souffert d'un cancer. Il résume la situation en ces termes: " Ça commence par la qualité des données. Les Belges sont de fervents collectionneurs de données. Celles-ci sont littéralement englouties. Elles disparaissent dans de nombreux systèmes. Elles n'aboutissent pas à la bonne place, elles sont mal intitulées, on n'emploie pas de termes standards... Essayez donc de les retrouver dans ces conditions. Il faut commencer par s'assurer que les données soient claires, disponibles, concrètes et complètes. "Karen Crabbé, de pharma.be, raconte que l'industrie pharmaceutique dépend des " real world data " durant tout le processus de développement d'un médicament - dans la découverte de ressources pour comprendre la pathologie, dans la conception d'essais cliniques pour recruter les bons patients, dans les procédures de remboursement pour une approche " value based " et dans la postcommercialisation pour la surveillance et l'ajustement des traitements. Depuis des années, pharma.be préconise un modèle qui regroupe les données enregistrées par les médecins et les autres prestataires de soins de santé dans leurs dossiers électroniques. De là, dans un premier temps, ces données reviendraient aux prestataires, avec des analyses et des résultats permettant d'ajuster le parcours de soins du patient, de comparer les traitements. Dans un second temps, ces données pourraient servir à la recherche - y compris la mise au point des médicaments et le développement d'outils pour l'utilisation de ces remèdes. L'industrie pharmaceutique n'utilise que des données anonymisées. Le privacy by design constitue le principe de base - par exemple, en envoyant des algorithmes à l'endroit de stockage des données, en effectuant des analyses sur cet îlot blindé et en n'exportant ensuite que des résultats anonymisés et statistiques. L'application des principes " Fair " est prioritaire pour l'industrie pharmaceutique: rendre les données sanitaires " Findable, accessible, interoperable and reusable ". Ensuite, les autorités doivent créer un cadre pour la réutilisation des données - privacy-proof. Cet aspect est en première instance la tâche de l'Health Data Agency - l'agence fédérale récemment fondée au sein du SPF Santé publique afin d'oeuvrer à la diffusion sûre des données sanitaires, avec les autres acteurs du secteur. Il faut maintenant que cette agence obtienne les moyens nécessaires à l'accomplissement de cette tâche, souligne Karen Crabbé. Peter Vermeylen, le CIO de l'UZA, donne un exemple de ce qu'on peut faire grâce à la réutilisation des données. L'UZA collabore avec l'université, les autres hôpitaux anversois, la commune et la zone de première ligne au sein de l'Antwerp Health Harbour. La promotion d'une alimentation saine auprès des enfants de 0 à 12 ans constitue le premier projet. En comparant la courbe de croissance à celle du poids, il doit être possible d'intervenir préventivement dès qu'un problème apparaît. " Mais les données dont nous avons besoin se trouvent partout et nulle part. Nous devons les chercher auprès de Kind en Gezin, des PMS, des médecins généralistes et des hôpitaux. " La première tâche, très difficile, consiste donc à rassembler ces données. " Mais vous pouvez imaginer de nombreux cas d'utilisation lorsque vous cartographiez les données de santé de cette manière et que vous les superposez, par exemple, à des mesures de la pollution de l'air ou de la pollution sonore. "Comment accélérer le processus de (ré)utilisation des données sanitaires pour de meilleurs soins, une prévention active et des recherches pertinentes? Pascal Verdonck, professeur de technologie médicale à l'UZ Gand et vice-président de l'Association belge des directeurs d'hôpitaux, demande qu'on commence à y travailler, sans plus attendre. " Nous devons toutefois améliorer notre infrastructure. Nous n'avons pas de base de trafic des données permettant d'assurer la continuité des soins. Nous avons besoin que des personnes dotées du bon profil s'engagent dans le domaine de la santé. Les hôpitaux doivent embaucher ces personnes en puisant dans leurs ressources, limitées. Ils doivent investir eux-mêmes. Le BFM ne dispose pas de l'argent nécessaire. Il est urgent de s'y mettre: nous devons bâtir cette culture. Enfin, il y a la gouvernance. La pandémie m'a donné l'occasion de collaborer à la " datagovernance " de notre pays - comment l'organiser à l'hôpital? Le premier élément qui en est ressorti est que l'hôpital doit améliorer la qualité des données. Je suis donc arrivé à la même conclusion que Jan, par un cheminement complètement différent. "Qu'est-ce que cela signifie pour les prestataires de soins? " Ce que nous savons faire, c'est le 1 pour 1 ", remarque Karolien Hollanders. " Le médecin parle à son patient et enregistre les renseignements dans le dossier. Le médecin traitant doit aussi collaborer avec les autres acteurs de première ligne, le spécialiste hospitalier au-delà de ses murs avec la première ligne. Nous ne parvenons pas à faire communiquer entre eux tous les acteurs, à opérer un lien avec la situation à domicile, le bien-être, les aidants... " La communication, c'est parler la même langue, dit-elle. On en revient à l'interopérabilité des données. Mais faut-il pour autant obliger tous les prestataires à enregistrer toutes les données - ou au moins une partie - de manière structurée? Comment le " natural language processing " peut-il être utile, en pratique? Tout cela ne va-t-il pas alourdir encore un peu plus la bureaucratie, alors que les prestataires de soins sont déjà confrontés à une surcharge administrative? " What's in it for me? ", demandent-ils. Actuellement, ils sont bien peu récompensés de ce travail supplémentaire. Karolien Hollanders en conclut qu'il faut un retour sur investissement clair.