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Le Dr Dugardeyn a grandi à Schaerbeek. Il y a fait tout son parcours scolaire en terminant en option scientifique. Depuis sa plus tendre enfance, tout est prétexte à dessiner, peu importe le support. On pourrait penser que le crayon est devenu son sixième doigt. A la fin de ses études secondaires, le jeune étudiant envisage de se diriger vers des études artistiques, les beaux-arts et la décoration placés en tête de liste. Mais le hasard en a voulu autrement. Il obtient un premier prix en sciences, ce qui pousse ses professeurs à l'orienter vers la médecine. Il se demande alors comment combiner l'art et ses études. Finalement il trouve la solution. Il mènera son parcours universitaire tout en suivant des cours du soir aux Beaux-Arts. Il suivra ce rythme intense durant neuf ans. Un défi pleinement relevé, puisque bien des années plus tard, nous sommes face à un homme passionné présentant deux visages: celui du radiologue averti et celui de l'artiste reconnu. "Au début, ma priorité était la médecine, l'art c'était un plus. Je jonglais entre les deux activités sans difficulté, en consacrant le temps qu'il fallait à chacune d'entre elles selon la nécessité, mes envies, mes besoins. Mon emploi du temps basculait d'un côté à l'autre, pour finalement arriver à un équilibre, à mon équilibre", nous confie Christian Dugardeyn. "Quant à la médecine, après avoir été tenté par la pédiatrie, je me suis finalement orienté vers la radiologie. Est-ce parce que j'étais inspiré par l'image du corps humain? L'humain, ma source d'inspiration artistique? Quoi qu'il en soit, une chose est sûre, ce fut le bon choix", ajoute-t-il.Christian Dugardeyn, ou Duga de son nom d'artiste, a les yeux grands ouverts. Il ne s'arrête pas une minute. Curieux, il est toujours à l'affût de nouvelles expériences. S'installer dans son atelier, déposer une toile ou un bout de carton par terre, mettre un peu de musique, reprendre un pinceau abandonné et se lancer, voilà ce qui anime son quotidien. "Au départ je ne sais jamais ce que je vais faire, vers où aller. Mon impulsivité me lance et mon instinct me guide. Petit à petit les choses se mettent en place, mon oeuvre se construit. Quand est-elle finie? Une toile n'est jamais finie mais à un moment donné, j'estime que la composition est harmonieuse, je sens qu'une couche supplémentaire serait celle de trop et je signe. Le résultat peut être très minimaliste ou beaucoup plus chargé, en fonction de l'humeur dans laquelle je suis", explique-t-il.Au début, le peintre illustrait l'humain de manière très figurative, réaliste, expressionniste. En 2020, le confinement nous a tous bousculés. Notre manière de vivre, de penser et d'agir a forcément été touchée. Les choses ont évolué. L'artiste a progressivement déformé ses personnages. "En les déformant", nous dit-il, "on se rapprochede la réalité, de la complexité de chaque individu et des relations humaines." Ses toiles se révélèrent de plus en plus abstraites. "Aujourd'hui, je suis arrivé à un mix entre figuration et abstraction, tout en préservant ce côté brut, spontané, vital, centré sur l'humain. Je pense avoir trouvé mon propre style, ma propre écriture. Mais je sais que mes explorations artistiques me guideront encore vers d'autres voies", nous affirme-t-il.En effet, il y a quelque temps, maître Duga s'est lancé dans la digitalisation. Il est approché par une association qui s'occupe de NFT. Sans hésiter, il saisit cette opportunité. Entre un morceau de carton mis à terre et une tablette numérique, la technique est bien entendu quelque peu différente. Cette innovation lui a permis de créer des liens entre ses compétences, d'intégrer du dessin au scanner, de tirer parti de l'aspect scientifique du corps humain pour en faire une oeuvre artistique. Le support change, le style reste. Que ce soit le Dr Dugardeyn ou Duga, notre interlocuteur est une source de richesses intarissable. Richesses récoltées au fil du temps, au fur et à mesure de ses rencontres. Animé par une immense curiosité, son besoin vital est de continuellement découvrir, expérimenter, s'aventurer. Se remettre en question, tout tester, telle est sa devise pour avancer et trouver son identité. "Quand je rentre dans mon atelier, je ne pense plus à rien, j'ai décroché, je ne vois pas les heures passer. Il faut le vivre pour le comprendre. C'est presque thérapeutique, on oublie l'actualité parfois difficile, on s'envole du stress quotidien, on est suspendu hors du temps qui semble s'être arrêté. Mon atelier, c'est ma bulle d'oxygène, m'y réfugier me permet de respirer", nous confie Duga.D'autres formes d'art passionnent-elles aussi notre artiste? "Ce que j'aime c'est tout simplement me sentir libre de créer selon mes envies, que ce soit à travers le dessin, la peinture ou encore la sculpture. La musique fait également partie de mon univers, elle m'inspire. J'en écoute toujours en peignant. J'ai voulu me mettre au piano, mais faute de temps, j'ai dû mettre cette idée entre parenthèses. Pourtant, composer de la musique me plairait également, qui sait, peut-être un jour? Sans oublier la photographie. En voyage, je prends beaucoup de plaisir à saisir des moments de la vie quotidienne. C'est l'humain au coeur d'une situation anodine qui suscite mon regard". Lorsqu'on pose la question de la peur du regard des autres, l'artiste répond: "Il n'y a aucun message dans mes toiles, chacun est libre d'interpréter ce qu'il veut selon son ressenti. Mon plaisir est de réussir à interpeller mon spectateur et si possible à le faire rêver. Si mes toiles le poussent à s'interroger et à raviver certaines émotions, je me sens utile. Ce sont ces échanges qui me font grandir et évoluer."Enfin, les oeuvres de Duga reflètent l'humanité avec toutes ses faiblesses, ses failles, ses blessures mais aussi ses forces, ses richesses, sa beauté. Telle une fracture décelée au scanner, l'artiste dessine des personnages brisés. Mais un accident permet de se relever. C'est probablement pour cette raison que l'on perçoit de la joie au-delà des visages fracassés. L'humain sous tous ses aspects, ses joies et ses tristesses, sa cruauté et sa bonté, ses doutes et ses convictions, c'est la complexité de l'homme qui fascine notre passionné. Il y a quelques années, il a entièrement revisité son livre d'anatomie (Sobota). A partir de planches anatomiques, il dessinait au trait continu ce qu'il ressentait. Le résultat est plus que probant. Nous sommes au croisement de l'anatomie et du regard d'enfant, au coeur d'une réalité qui à la fois nous trouble et nous dévoile. (A découvrir).