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Le camostat (ou camostat mésylate en version longue) a longtemps été un médicament largement inconnu dans nos contrées, puisqu'il n'est commercialisé nulle part en Europe. Au Japon, on l'utilise toutefois depuis plusieurs décennies dans le traitement des pancréatites chroniques et oesophagites de reflux postopératoires. Sa sécurité est donc amplement démontrée, tout comme les larges possibilités de le combiner avec d'autres médicaments. Le camostat a retenu l'attention des chercheurs très tôt dans le décours de la pandémie en raison de sa capacité à inhiber la TMPRSS2, une protéine de surface de la cellule-hôte qui scinde la protéine spike du Sars-CoV-2 et lui permet ainsi de pénétrer dans la cellule. Des recherches in vitro ont confirmé que le camostat peut empêcher le virus de s'introduire dans la cellule et son effet protecteur contre une issue fatale de l'infection par le Sars-CoV-2 a été établi dans dans des modèles animaux. Il s'agit d'un médicament à prise orale. Le DAWN Camostat Trial est porté par un consortium auquel participent, outre la KU Leuven, l'université de Liège, la VUB la VUB, l'université d'Anvers et l'université de Gand et plus précisément leurs départements de médecine générale. Son financement est assuré par le KCE. Le journal du Médecin: Pouvez-vous nous dire quelques mots de la conception de l'étude? Pr Ann Van den Bruel: Elle repose sur un protocole randomisé, en double aveugle et contrôlé par placebo. Notre objectif est de recruter 1.306 patients ambulatoires avec une infection Covid-19 symptomatique récente ne nécessitant pas d'hospitalisation, confirmée par test antigénique rapide ou PCR. Nous recherchons exclusivement des personnes de plus de 40 ans. Nous testons le camostat chez des patients ambulatoires parce qu'il s'agit d'un traitement antiviral ; nous savons en effet aujourd'hui qu'au moment où les malades se retrouvent à l'hôpital, la phase virale de l'infection est pratiquement terminée. Quels sont les critères d'évaluation? Nous avons défini deux critères d'évaluation primaires: le temps écoulé jusqu'à résolution des symptômes et le risque d'hospitalisation ou de décès au 30e jour après randomisation. D'autres études ont-elles déjà été publiées concernant l'effet du camostat sur le décours de l'infection Covid-19 chez des patients ambulatoires?Il s'agit d'un champ de recherche encore très récent. Plusieurs études avec le camostat sont actuellement en cours partout dans le monde, e.a. au Danemark et aux États-Unis. Il faut garder à l'esprit que les hospitalisations et décès liés au Covid-19 sont des incidents relativement rares, en particulier maintenant que tant de personnes sont déjà vaccinées dans une grande partie du monde. Pour démontrer l'effet favorable d'un médicament sur ces événements, il faut donc un grand nombre de patients. C'est pour cela qu'il est important que les différents groupes de recherche restent en contact afin de pouvoir combiner leurs résultats et parvenir à un plus grand degré de certitude quant au potentiel du produit. Quelle aide pourraient vous apporter vos collègues généralistes?Les patients peuvent se manifester spontanément par le biais de notre site, mais ce serait formidable si les médecins nous soutenaient en attirant l'attention des personnes qui répondent aux critères d'inclusion sur notre étude et en les encourageant à y participer. Dès que le patient s'est inscrit, c'est l'équipe de recherche qui prend le relais. Son médecin de famille n'a donc aucun effort supplémentaire à fournir." (voir cadre: un trajet bien organisé) Entre-temps, la FDA a approuvé deux médicaments oraux pour la prévention d'un décours défavorable chez les patients ambulatoires atteints d'une infection covid-19, et il est fort probable que ces produits reçoivent aussi le feu vert de l'EMA. Pourtant, il semble donc encore nécessaire d'élargir l'offre? Le Lagevrio (molnupiravir) est un médicament prometteur, mais qui n'est vraiment pas bon marché... et s'il s'avère que le camostat est efficace, ce traitement reviendra nettement moins cher que le molnupiravir. Dans le cadre de notre étude, nous envisageons du reste, à un certain stade, de réaliser une comparaison entre le camostat et le molnupiravir en termes de rapport coût-efficacité. Le Paxlovid, lui, contient du ritonavir (ainsi que du nimratrelvir), une molécule qui est responsable d'un nombre considérable d'interactions médicamenteuses potentiellement sévères et ne peut donc pas être utilisée chez n'importe qui. De ce fait, je m'attends à ce que les médecins de famille soient un peu mal à l'aise avec ce produit dans un premier temps, même si ce problème peut être résolu par des formations ciblées. Il faudra toutefois aussi régulièrement écarter certains patients qui prennent déjà d'autres médicaments - comprenez, principalement des malades chroniques et personnes âgées qui présentent justement le risque le plus élevé d'évolution défavorable en cas de covid-19. Comme je l'ai déjà dit, le camostat peut au contraire facilement se combiner avec d'autres traitements. En outre, le fait de disposer d'un plus large spectre d'antiviraux ouvre aussi la perspective de traitements combinés. Le traitement de l'infection par le VIH nous a en effet appris que les virus peuvent devenir résistants aux antiviraux et que les combinaisons peuvent limiter ce risque. Ces considérations expliquent en grande partie ma motivation à réaliser l'essai DAWN Camostat. Je travaille moi-même comme généraliste et je suis demandeuse de plus d'options thérapeutiques pour mes patients Covid-19. Je pense que, en tant que médecins de famille, nous devons saisir tous ensemble l'opportunité d'élargir notre arsenal grâce à cette étude. Les deux molécules évoquées plus haut ont été testées dans une population de patients présentant un risque accru d'évolution défavorable en cas de covid-19 symptomatique - un risque accru qui ne fait pas partie des critères d'inclusion de DAWN Camostat Je ne formulerais pas tout à fait les choses de cette manière. Le Lagevrio et le Paxlovid ont été testés dans des études chez des patients à risque accru de tous âges, alors que DAWN Camostat n'inclut que des personnes de plus de 40 ans. Sachant que l'âge semble justement peser très lourd dans le risque que l'infection connaisse un décours sévère, nous pouvons donc globalement partir du principe que le risque moyen est comparable dans DAWN Camostat et dans les études réalisées avec les deux autres produits. En même temps, un simple critère d'âge est très pratique à utiliser pour le recrutement et permettra de généraliser facilement les résultats. Le variant omicron - avec son potentiel pathogène probablement plus faible - est-il une mauvaise affaire pour cette étude, en ce sens qu'il risque d'être plus difficile de démontrer l'effet du traitement lorsqu'on part d'un plus faible risque d'évolution défavorable?Pour l'instant, rien ne donne à penser que le timing de l'évolution des symptômes serait différent avec le variant omicron. Pour notre premier critère d'évaluation, ça ne change donc pas grand-chose. Pour ce qui est du second, par contre, c'est une toute autre histoire. Il semble en effet que le risque d'hospitalisation ou de décès soit moitié moindre au cours de la vague omicron qu'au cours des précédentes - en partie parce que ce variant est moins agressif, mais aussi parce que cette vague touche une population avec une immunité plus développée. Cela pourrait signifier que nous aurons besoin de recruter plus de patients ou de combiner nos données avec celles d'autres études. Mais d'une manière ou d'une autre, nous nous adapterons à la situation.