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Les médecins généralistes, mais également les prestataires de soins en général, sont de plus en plus confrontés à des patients agressifs, selon Elke Fierens. Formatrice chez Impuls, elle dispense des formations en gestion de l'agressivité dans le secteur social. Elle met l'accent sur la prise en compte de l'impact et l'intériorisation de l'événement. "Après un incident, les organisations se concentrent souvent d'abord sur que faire pour éviter de tels incidents à l'avenir ou pour les anticiper à temps - de l'installation d'un bouton d'alarme à la participation à des formations pour apprendre à désamorcer un conflit. Bien sûr, l'attention portée à la prévention et à l'intervention est très importante. Cependant, on néglige souvent l'impact de l'incident. Il est également nécessaire de réfléchir à ce que signifie l'agressivité pour la personne qui en est victime. Les collègues peuvent jouer un rôle crucial à cet égard."L'agressivité revêt différentes formes. On regroupe aujourd'hui sous le terme " agressivité" plus de situations qu'auparavant, et la perception de l'agressivité est très personnelle, explique Elke Fierens. "C'est donc important de mettre de côté son propre point de vue lorsqu'on parle avec quelqu'un qui a vécu un incident. Les réactions des individus à des événements similaires peuvent également varier considérablement. Bien sûr, l'impact sera plus important en cas d'événements traumatiques que pour un incident quotidien, mais l'accumulation de petits incidents peut également conduire à ce que la coupe de quelqu'un déborde soudainement. Et c'est souvent ces petites situations qui sont négligées. Cependant, l'agressivité a toujours un impact, peu importe la taille de l'incident."Selon une recherche de la VUB menée auprès des médecins belges (2017), la grande majorité d'entre eux ne signale pas les épisodes de violence. Rien qui ne surprenne Elke Fierens: "Les victimes d'agression sur le lieu de travail ont souvent tendance à cacher ou à minimiser l'impact qu'elles subissent après un incident. Comme si ce n'était pas professionnel d'être impressionné par un événement. Cette attitude est souvent renforcée par la culture d'entreprise." Chez les personnes confrontées fréquemment à l'agressivité, une certaine accoutumance se produit: "Elles ne considèrent plus certains événements comme de l'agressivité, même si elles en ressentent toujours l'impact. Insidieusement, leur coupe se remplit, et à un moment donné, un petit incident peut la faire déborder."Même si les médecins ou d'autres professionnels de la santé sont très habiles pour contenir et stopper l'agressivité, il arrive souvent que les autres ne voient pas qu'ils ressentent aussi l'impact. "Pour désamorcer un conflit, il faut temporairement mettre de côté ses propres émotions. Mais ensuite, une fois le patient parti, l'impact se fait sentir, même chez les personnes qui ont des années d'expérience."En situation où un collègue soignant est victime d'un patient agressif, Elke Fierens conseille de prendre du temps pour être là pour lui. "Prenez l'initiative vous-même - les personnes ayant vécu de l'agression sur le lieu de travail auront rarement l'initiative de sonner l'alarme pour dire qu'elles souffrent." Résistez à la tentation de donner immédiatement des conseils et de proposer des solutions en matière de prévention et d'intervention: "Cela viendra plus tard. Écoutez avec empathie et continuez à poser des questions. 'On dirait que tu te sens un peu inconfortable, est-ce exact? ' Essayez de mettre en lumière les sentiments et les besoins qui se cachent derrière, afin de découvrir comment vous pouvez l'aider. Après un incident, les gens ont généralement besoin de reconnaissance et de confirmation, d'appréciation et de réconfort."Il est également très important, en termes de prévention, de veiller à ce que les incidents soient discutés au sein du cabinet ou de l'hôpital. Informez explicitement les nouveaux collègues ou les assistants en médecine générale qu'ils peuvent parler de ce qu'ils vivent - les médecins plus jeunes ou de genre féminin sont plus souvent confrontés à l'agression. "Assurez-vous qu'ils osent montrer comment ça les affecte. Quand sa coupe est pleine - ou même à moitié remplie - c'est beaucoup plus difficile de mettre de côté ses émotions lorsqu'on est confronté à l'agression. Il est alors plus compliqué d'étouffer dans l'oeuf l'incident. Une bonne communication est la meilleure prévention."Elke Fierens distingue l'agression instrumentale et l'agression par frustration. "Dans le cas de l'agression par frustration, quelqu'un perd son sang-froid en raison d'impuissance, d'incertitude, de tristesse... et vous avez simplement la malchance que ce patient ait rendez-vous avec vous ce jour-là. Derrière l'agression instrumentale, les mêmes sentiments peuvent être présents, mais ici, l'agression est utilisée comme un instrument pour obtenir quelque chose. Cela peut être volontairement dirigé, ou alors un comportement inconscient. L'agression instrumentale est parfois très claire, mais parfois aussi très subtile. Il s'agit souvent d'un jeu mental de pouvoir, de menaces, de manipulation, de provocation, voire de harcèlement. Dans notre société, l'agression instrumentale est rarement perçue comme de l'agression, avec le risque qu'elle s'ancre dans la situation et s'intensifie."Certaines personnes sont très sensibles à l'agression instrumentale, tandis que d'autres ont plus de mal à faire face à l'agression par frustration, explique Elke Fierens. "Il est utile de réaliser de toute façon que l'agression n'a rien à voir avec la personne contre laquelle elle est dirigée. Lorsque les gens se comportent de manière agressive, ils ne disent quelque chose que sur eux-mêmes: ils éprouvent certains sentiments et ne sont pas capables de les exprimer autrement que par l'agression. Cette prise de conscience peut aider à ne pas prendre l'agression personnellement. Cela peut également contribuer à rester calme pendant un incident, ce qui évite l'escalade du conflit et limitera finalement l'impact."