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Conçue par le collectif Le Muséotrope, la scénographie s'inspire de l'univers des laboratoires. La présentation des collections est pensée comme une invitation à les étudier et analyser. Le mobilier et le graphisme suivent une évolution chronologique, du tracé d'un simple chemin de terre au Néolithique jusqu'aux carreaux des paillasses modernes. Des éclairages de grande dimension, aux formes de béchers, fioles ou tubes à essai, mettent en valeur les objets. Les couleurs pastel, chaleureuses, évoquent le soin. Chaque partie est introduite par un totem graphique, illustrant les voies empruntées par les épidémies évoquées: un bateau romain, une pompe à eau du 19e siècle, un poilu pendant la Grande Guerre ou encore un couple d'amoureux d'aujourd'hui. Pour mieux comprendre les épidémies à travers les siècles, l'exposition propose également le registre de la recherche épidémiologique et de l'enquête historique. Des cartes des grandes épidémies abordées, ainsi que leur "carte d'identité" ponctuent le parcours, documentant origine et propagation. Des capsules sonores et audiovisuelles font aussi appel à la curiosité des visiteurs. En faisant irruption dans nos vies en 2020, le covid-19 a rappelé que nos sociétés vivent avec les épidémies depuis des millénaires. Cependant, bien au-delà des humains, elles touchent l'ensemble du monde vivant. C'est donc en analysant aussi les relations entre espèces que nous pouvons comprendre ces phénomènes complexes, à la fois biologiques et sociaux. Exemple d'épidémie illustrée dans l'expo, la peste qui, déjà connue sous le règne de Justinien dans l'empire byzantin au 6e siècle, voit sa deuxième vague atteindre le continent européen entre 1347 et 1352 et emporter entre 30 et 60% de sa population. Ce choc démographique correspond à l'introduction en Europe d'une nouvelle souche du bacille de la peste en provenance d'Asie mineure. La "peste noire" marque le début de la deuxième pandémie de peste, dont les vagues récurrentes marqueront l'Europe jusqu'au 18e siècle. Entre les 14e et 18e siècles, d'une vague à l'autre, des mesures se précisent: déclarer et isoler les pestiférés, interdire la fuite, enlever les cadavres. Le peintre Michel Serre compte parmi les témoins de l'épidémie de 1720 à Marseille. Son tableau rappelle qu'en période d'épidémie, les personnes au bas de l'échelle sociale assurent les tâches les plus risquées. C'est le cas des galériens, réquisitionnés pour jeter les cadavres dans la tour servant de fosse. Pour tenter de donner du sens aux catastrophes collectives que sont les vagues successives de peste, des pratiques magiques et religieuses (une statue de saint Roch l'illustre comme celle de la Vierge Noire au Puy-en-Velay) se superposent aux mesures sanitaires. Mais, puisque la peste est considérée comme un châtiment divin, ces actes de dévotion ne suffisent pas. Un processus de désignation de boucs émissaires, jugés coupables des péchés de la collectivité, se met en place. Parmi eux, les Juifs, dont une estampe d'Émile Schweitzer illustre le supplice en 1349, tout comme celui des femmes désignées comme sorcières et envoyées sur le bûcher. Un vaste débat s'engage entre savants à partir du 16e siècle: la peste se propage-t-elle par un air chargé de miasmes (comme en témoigne un poêle à fumigations disposé au coin des rues) ou par la contagion directe des corps entre eux (une mallette de chirurgien présentant des cautères à long manche)? Au-delà de ces théories, les médecins deviennent des figures importantes dans la gestion des épidémies de peste (Koch, Yersin...). Certains se spécialisent dans la veille sanitaire, d'autres recommandent des antidotes fabriqués par les apothicaires (splendide pharmacopée datant du 19e siècle). Grâce à la collaboration d'archéologues, de biologistes moléculaires et d'historiens, la peste noire et ses répliques sont aujourd'hui mieux connues. Des questions restent cependant ouvertes, suscitant des enquêtes scientifiques complexes, notamment sur le rôle des changements climatiques dans la propagation de la peste - en lien avec la répartition des rongeurs infectés. L'exposition montre au travers d'un document sonore et la dépouille d'une marmotte empaillée que, suite à la petite période glaciaire entre le 16e et la fin du 19e siècle, ce rongeur descendit dans les vallées en contaminant la population humaine. Dans le cas de la pandémie de la grippe espagnole, un documentaire précise, suite à des recherches récentes, qu'elle tua entre 50 et 100 millions de personnes sur une population mondiale de moins de deux milliards. L'expo est très complète, aérienne dans sa présentation et éloquente dans son propos qui met en exergue aussi bien les aspects historiques, scientifiques, médicaux (elle présente le spectaculaire appareil photo micrographique d'Emile Roux, collaborateur de Pasteur, qui permettait de filmer des microbes) que socioculturels des épidémies et pandémies. Et insiste dans sa conclusion sur la perte de diversité de l'écosystème et les conséquences de l'élevage intensif dans la propagation récente de certaines maladies à l'homme. À l'heure où les maladies émergentes attirent notre attention sur l'exploitation intensive des écosystèmes, l'enjeu, conclut cette passionnante exposition, est désormais de prendre soin de l'ensemble du vivant.