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"F in des années 90, les soignants commencent à être concernés par le burnout mais, chez les médecins, c'est à partir de la crise des subprimes en 2008, spécialement dans les pays les plus avancés sur le plan économique. Depuis 2018, les Américains estiment que le burnout des médecins est en constante augmentation, les populations à risque étant les femmes, les généralistes et les jeunes en formation", précise le Dr Serge Goffinet, psychiatre et président du Réseau burnout, à l'occasion de la conférence sur "L'impact de la pandémie Covid-19 sur le burnout des médecins". (1) Le burnout peut se définir comme un stress chronique décompensé. Or, pendant la pandémie, les médecins ont été exposés à des stress pouvant être associés à une réponse psychotraumatique: nombre inhabituel de décès, maladie grave ou mort d'un collègue, sentir sa vie menacée... S'y ajoutent l'obligation d'abandonner les patients pour distanciation sociale, l'incapacité de répondre par manque de moyens, les contacts avec des familles en deuil et dans le reproche, les conditions de travail perçues comme dangereuses, le lockdown, les difficultés de communication avec les proches... " Pour toutes ces raisons, le stress des médecins a crû pendant la pandémie", indique-t-il. "Une revue de la littérature, parue en novembre 2021(2), a démontré que près de la moitié des travailleurs de la santé ont souffert d'épuisement professionnel pendant la pandémie: 52% des médecins (66% des infirmières) (vs 33% dans les grandes études antérieures), surtout de l'épuisement émotionnel (51%) et de la dépersonnalisation (52%)." " L'impact de la pandémie sur le burnout des médecins a été extrêmement violent, surtout les trois premiers mois", constate le Dr Goffinet . "Il est passé de 40% en 2018 à 61% en 2021. Les femmes médecins sont le plus impactées, les employés plus que les indépendants, les généralistes plus que les spécialistes, 57% signalent de la colère, de l'anxiété, de la tristesse." Ceci ne semble pas s'être traduit par une augmentation directe des suicides: " Mais le suicide peut être une conséquence indirecte d'un burnout plus sévère. Donc la prévention de cette tentation suicidaire peut être de rigueur dans la prise en charge de ces médecins." La première vague de la pandémie a été marquée par le traumatisme: " Il s'agit bien d'un psycho-trauma, une sensation de mort imminente avec une angoisse de mort importante et la nécessité de développer de la résilience par le partage d'expérience (débriefing collectif) pour trouver les ressources suffisantes pour réagir. Or, on a été empêché au début de la pandémie", souligne le psychiatre. " Pendant la crise sanitaire, une série de facteurs d'angoisse se sont rajoutés par rapport au phénomène classique de la médecine. Il y a aussi la place du travail chez les médecins (pas les plus équilibrés en général) et l'objectif du Post Traumatic Growth qui consiste à dépasser le traumatisme grâce à des techniques psy: 'j'accepte, je peux, je veux, je remercie et puis je rêve'. Accepter qu'on ne peut pas tout, capacité de rêver son avenir et de retourner vers des objectifs autres que la médecine pour permettre d'évoluer." " Le trouble de stress post-traumatique (TSPT) est une des caractéristiques du burnout des médecins directement exposés au Covid-19. En Italie, près de un agent de santé sur deux rapporte des symptômes de SPT: c'est très élevé. Le burnout est souvent accompagné d'angoisse et de TSPT, mais ici c'est très majoré", estime-t-il. Pourquoi une telle augmentation du burnout? Parce que de nombreux changements sont survenus dans la société et la profession. Pour le Dr Goffinet, cette augmentation provient principalement de l'intensification des facteurs étiologiques déjà connus de burnout (surcharge de travail, horaires longs et atypiques, plus grande autonomie, relations de travail toxiques, conditions de travail dégradées, manque de reconnaissance, réorganisation permanente...). " Le traitement et la prise en charge doivent être multidisciplinaires par des gens spécialisés dans le domaine spécifique de l'interaction clinique/travail. Plusieurs professions peuvent être mobilisées pour augmenter la qualité de vie de chaque médecin et en même temps éviter la réorientation professionnelle (18% des médecins hospitaliers l'envisagent)." "La question de la reconnaissance est extrêmement importante", note-t-il. "Le français est la seule langue où le mot reconnaissance est aussi synonyme de gratitude. C'est un phénomène essentiel pour les individus, en plus de la rémunération, et c'est plus profond qu'un simple 'merci'. La reconnaissance consiste à identifier l'autre dans son essence, elle touche aussi à l'adhésion de la personne à la sphère du travail, à la place du travail dans la vie. Cela va au-delà d'une satisfaction narcissique."" Or, les choses continuent vers une transformation de la médecine qui ne va pas dans le sens d'une prise en compte de la souffrance des médecins au travail, mais plutôt vers une rationalisation des moyens, vers une mesure permanente de leur efficacité. On ne peut donc qu'être d'un optimisme mesuré sur l'avenir de la médecine telle qu'elle est vue par les instances européennes", se désole Serge Goffinet. "Les professionnels de santé ont besoin de reconnaissance de la part de la société sinon on va accroître le burnout", insiste-t-il . "Le moral n'est pas bon chez les médecins après la pandémie. Il ne faut pas oublier que la qualité des soins dépend aussi de la qualité de travail et de vie des médecins. Il faudra réfléchir pour que l'exercice de la médecine puisse continuer à se faire en faveur des patients."